Peut-on encore parler de la trisomie 21 sans qu’il s’agisse de se préoccuper de son dépistage prénatal et bientôt préimplantatoire ? Deux informations publiées de manière concomitante, l’une aux Etats-Unis, l’autre en France permettent d’actualiser la douloureuse problématique concernant cette pathologie. La première est une publication de la nouvelle revue Science Translational Medicine.1 La seconde est le dernier avis du Comité consultatif national français d’éthique (Ccne) concernant les différentes pratiques de diagnostic prénatal.2
La publication est signée par un groupe de chercheurs dirigé par le Dr Ahmad Salehi (Université Standford). Cette équipe américaine a mené ses travaux sur un modèle sur des souris génétiquement modifiées et elle explique en substance avoir observé, pour la première fois, que la stimulation de la production d’un neurotransmetteur spécifique peut améliorer les fonctions cognitives défaillantes.
« Si on intervient suffisamment tôt, on pourrait aider les enfants trisomiques à mémoriser et à utiliser les informations, explique le Dr Ahmad Salehi dans un communiqué. Théoriquement, cela pourrait conduire à une amélioration de leurs fonctions mentales », explique-t-il. En écho, le Pr William Mobley, spécialiste de neurologie à l’Université de Californie (San Diego) coauteur de cette publication : « Nous avons observé qu’en dépit d’une dégénérescence avancée des neurones dans le noyau sous-cortical de ces souris, nous avons pu inverser leur incapacité à apprendre contextuellement avec une substance similaire à la noradrénaline. Il reste encore à démontrer que ces neurones jouent également un rôle dans l’apprentissage contextuel chez l’homme, mais on sait que ces mêmes neurones sont affectés par d’autres maladies neurodégénératives humaines dont la maladie d’Alzheimer. » Pour le Pr Mobley, spécialiste reconnu des recherches sur la trisomie 21, les résultats obtenus sur le modèle animal sont « vraiment spectaculaires » et pourraient ouvrir la voie à une thérapeutique spécifique chez des personnes souffrant de trisomie 21 qui éprouvent de grandes difficultés à mémoriser les informations spatiales et contextuelles et à évoluer de manière autonome dans des environnements complexes.
« Ce travail a porté sur des souris ayant une trisomie partielle du chromosome 16 qui compte un certain nombre de gènes du chromosome 21 humain. Les chercheurs américains ont donné à ces souris un précurseur de la noradrénaline qui a permis d’obtenir une amélioration très importante des fonctions cognitives, principalement de la mémoire », résume, dans les colonnes du quotidien catholique français La Croix, le Dr Henri Bléhault, directeur de la recherche de la Fondation Jérôme-Lejeune qui finance une série de programmes de recherche sur les maladies génétiques de l’intelligence. Selon lui, cette publication confirme les résultats très prometteurs enregistrés ces deux ou trois dernières années, toujours chez le modèle souris.
« Aujourd’hui, il est admis dans les milieux scientifiques que la mise au point d’un traitement du déficit cognitif de la trisomie est une perspective tout à fait imaginable, ajoute le Dr Bléhault. Il faut bien sûr rester prudent et ne pas susciter de vains espoirs chez les parents. On peut quand même dire que des essais cliniques chez l’homme pourraient être engagés prochainement. Et que dans les dix ans à venir, on devrait enregistrer des avancées très significatives pour la mise au point d’une thérapeutique. Mais pour y parvenir, il est absolument indispensable que l’industrie pharmaceutique s’engage dès maintenant dans cette voie de recherche. » L’industrie pharmaceutique sera-t-elle intéressée ? Ou, pour le dire au risque de heurter, le marché potentiel justifie-t-il les investissements nécessaires puisque, qu’on le veuille ou pas, parler trisomie c’est avant tout parler dépistage.
Et c’est précisément sur le dossier dépistage que viennent de plancher, en France, les membres du Ccne qui se sont auto-saisis de la problématique du diagnostic prénatal (DPN) et du diagnostic préimplantatoire (DPI). Résumons au plus vite le fruit de leurs réflexions. Ceux que les médias présentent souvent comme des « sages » estiment que le cadre juridique français actuel est « globalement satisfaisant » puisque « des garde-fous suffisants ont été placés par le législateur pour faire obstacle aux dérives ». Satisfecit accompagné d’une proposition : lever, pour ce qui est du DPI, l’interdiction de procéder en outre à la détection d’une trisomie 21 avant le transfert d’embryon.
Mais pourquoi détecter une trisomie 21 alors que le DPI est mis en œuvre à d’autres fins ? « Parce qu’il s’agit de l’anomalie chromosomique la plus fréquente, qui fait déjà l’objet d’un dépistage », précise le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet (Institut Curie, Paris) co-rapporteur de l’avis. Tout en continuant à « réserver le DPI aux couples ayant des antécédents familiaux », le Ccne recommande de « lever l’actuelle interdiction de procéder à la détection d’une trisomie 21 avant de transférer les embryons non atteints de l’anomalie recherchée, afin d’éviter le risque d’une trisomie révélée au cours de la grossesse ».
« On a les chromosomes sous les yeux, cela ne coûte rien de regarder si l’embryon qu’on veut implanter n’est pas atteint de trisomie 21. Et cela peut éviter de recourir, ensuite, à un éventuel avortement », estime le Pr Israël Nisand, chef du service de gynécologie-obstétrique au CHU de Strasbourg sur le site de l’hebdomadaire catholique français La Vie.
Mais il ajoute : « Certains s’inquiètent qu’on entrouvre une porte avec ce double dépistage, alors qu’on a ouvert une véritable autoroute avec la généralisation du dépistage prénatal ! On avorte 99% des trisomiques dans notre pays. Pour moi, il s’agit d’un dépistage eugénique et économique qui ne dit pas son nom. N’oublions pas que le dépistage de la trisomie coûte bien moins cher que la prise en charge par la société des personnes atteintes. Les conséquences éthiques du DPN me paraissent bien plus graves que l’extension du DPI qui ne concerne qu’une centaine de couples par an. »