Qu’est-ce que la qualité et comment est-elle jaugée ? Tout d’abord il s’agit d’une notion subjective à la recherche de critères objectifs. Quand on tape le mot «qualité» dans un moteur de recherche, on obtient plus de 83 millions de réponses. Il y a donc de la marge pour l’interprétation. En médecine et plus particulièrement en chirurgie orthopédique comment se mesure la qualité ? Comment est-elle appréciée ? «La beauté est dans les yeux de celui qui la contemple» dit le proverbe. Ces yeux peuvent être ceux du patient, du chirurgien, de l’administrateur, de l’industriel ou du responsable politique.
Au début de la mise au point des implants articulaires prothétiques, les chirurgiens étaient surtout préoccupés par le problème de la faisabilité. Matériaux, dessins et techniques d’implantation prothétique progressaient parallèlement aux avancées en matière de physiologie, d’asepsie, d’imagerie et d’anesthésie. Les patients devaient bien accepter les risques qui découlaient de ces tâtonnements. A cette époque, un succès individuel, même rare, était gage de qualité. L’échec, fréquent, était accepté avec fatalité. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, les procédures chirurgicales se fiabilisent et vers la fin du siècle, les interventions orthopédiques, dont les prothèses de hanche, de genou et d’épaule, deviennent courantes et reproductibles entraînant de nouvelles exigences en matière de qualité.
Historiquement, la notion de qualité dans le processus industriel est apparue en Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale. En effet, dans certaines usines d’armement trop de munitions explosaient en cours de fabrication blessant les ouvriers. Les procédures de contrôle mises en place se sont étendues par la suite à tous les processus de fabrication et ont évolué vers les normes actuelles.
Pour l’industriel, il s’agira d’appliquer les normes ISO qui attestent de la fiabilité du processus de fabrication du produit et de sa traçabilité. Le marquage CE, devenu obligatoire en Europe pour tous les implants et instruments médicaux, offre la garantie de la fiabilité du produit en utilisation clinique. Cependant, ceci ne garantit pas la longévité d’une prothèse donnée puisque les tests sont réalisés dans un laps de temps court, selon une logique industrielle et commerciale. Un implant parfaitement conforme aux normes industrielles peut s’user, se casser, devenir douloureux, ou se desceller dans un laps de temps cliniquement inacceptable, comme par exemple après deux ans. Le désastre de la «Capital Hip», une prothèse de la hanche fabriquée par la firme 3M, en est un des exemples les plus récents et les plus cités. Entre 1991 et 1997, 4669 «3M Capital Hips» ont été implantées en Angleterre. En 1996, plus de 20% de ces prothèses devaient être remplacées. Ces implants en titane étaient fixés au fémur par un ciment acrylique, ce qui est une technique habituelle. La prothèse était impeccablement usinée, le ciment parfaitement élaboré. Toutes les normes étaient respectées. Mais voilà, on ignorait qu’au contact du ciment acrylique le titane se corrode, ce qui avec le temps entraîne des douleurs importantes. L’implant doit alors être retiré et changé ce qui signifie un risque certain pour le patient. Il a fallu une intervention de l’Etat britannique pour que la prothèse soit enfin retirée du marché. Cet épisode, par ailleurs peu glorieux de la chirurgie orthopédique articulaire, a eu finalement un effet extrêmement positif. Le monde de la chirurgie orthopédique s’est rendu à l’évidence de la nécessité de l’élaboration de registres d’implants. Ces registres sont nés dans les pays nordiques où ils sont très développés, l’Australie et le reste de l’Europe ont suivi. Les Etats-Unis, soit dit en passant, ont encore quelques difficultés à mettre en place un système de registre national malgré le million de prothèses articulaires qui y sont implantées chaque année. Il s’agit de répertorier chaque implant dans une base de données et d’en suivre le devenir. Ces registres ont rapidement prouvé leur utilité en identifiant précocement des prothèses et des implants articulaires dont la longévité ou le taux d’ennuis ne sont pas acceptables. En Suisse, le registre national SIRIS (Swiss implant registre des implants suisses) sera fonctionnel dès que la problématique, typiquement helvétique, de la répartition des coûts y relatifs sera surmontée. Pour cela, les acteurs que sont santésuisse, H+, les industriels et la Société suisse d’orthopédie et de traumatologie doivent se mettre à l’unisson. Le patient, le chirurgien, l’industriel, l’administrateur et le responsable politique auront enfin un outil de premier ordre à disposition pour garantir la qualité du devenir clinique des implants articulaires orthopédiques.