Parmi les facteurs impliqués dans les épisodes de suralimentation de nos patients obèses, l’impulsivité tient une place importante. Le modèle de Whiteside et Lynam décrit quatre facettes à l’impulsivité (urgence, manque de préméditation, manque de persévérance et recherche de sensations). Cette conceptualisation multifacettes nous offre un éclairage particulier sur les conduites impulsives de nos patients vis-à-vis de la nourriture.
Pour aider nos patients à gérer leur impulsivité, la technique de résolution de problème est décrite en détail. Elle peut s’avérer efficace pour aider les patients à faire face à leurs compulsions alimentaires puisqu’elle initie l’action et le changement des habitudes.
La nécessité de prendre en charge les personnes obèses est devenue aujourd’hui un enjeu de santé publique. Plusieurs études montrent que 30% au moins des personnes obèses souffriraient d’un trouble du comportement alimentaire, telle l’hyperphagie boulimique.1-3 Cette psychopathologie associe des crises de boulimie avec un sentiment de perte de contrôle sur le comportement alimentaire.4 Les patients souffrant d’hyperphagie n’ont pas de comportements compensatoires qui pourraient limiter les effets des crises sur la prise de poids.
De nombreux facteurs interviennent dans ces crises alimentaires, certains sont plus ou moins stables chez un individu donné, l’impulsivité en fait partie. Nos patients obèses expriment souvent leur désir d’une perte de poids efficace mais surtout rapide. Or, l’impulsivité vis-à-vis de la nourriture peut amoindrir la capacité d’un individu à planifier des repas, à manger de façon régulière ou encore à résister aux fortes envies d’aliments sucrés et/ou gras,5 déjouant ainsi leurs efforts pour perdre du poids.
Le concept d’impulsivité englobe diverses manifestations notamment comportementales et motivationnelles. Le modèle à quatre facettes de Whiteside et Lynam6 recouvre à la fois des aspects exécutifs (trois facettes) et motivationnels de l’impulsivité (une quatrième facette). Pour rappel, les fonctions exécutives constituent un ensemble de processus cognitifs de haut niveau tels que la planification de l’action, la mémorisation ou encore l’attention sélective qui rendent possible la mise en place d’un comportement flexible et adapté au contexte.
Cette première facette est décrite comme la difficulté à résister à de fortes impulsions dans un contexte émotionnel (négatif ou positif). Elle est reconnue comme un facteur de risque pour les crises de boulimie. Bechara et Van der Linden7 ont proposé que l’urgence pouvait être reliée à une forme d’inhibition:8 l’inhibition d’une réponse automatique ou dominante. La réaction boulimique serait considérée comme une réponse devenue dominante et automatique mise en place pour limiter les effets des affects négatifs. Nos patients désirant perdre du poids n’auraient-ils alors pas des difficultés à inhiber leur comportement de «manger» devenu automatique pour faire face à leurs émotions négatives ?
Des recherches menées avec des tâches comportementales ont montré que des femmes en restriction cognitive (ayant des règles strictes concernant la nourriture) avaient des capacités d’inhibition de réponses automatiques moindres que leurs homologues non restreintes.9 Ces personnes, en alternant les régimes sans succès et les comportements alimentaires impulsifs, ne sont-elles pas aux prises de leur «urgence» ? Seraient-ce des difficultés d’inhibition comportementale à la base qui sous-tendraient le maintien des crises de boulimie et autres grignotages pour faire face aux difficultés quotidiennes ?
Il s’agit de la difficulté, voire l’incapacité, pour un sujet de prendre en compte les conséquences positives et négatives d’une action. Cette capacité dépendrait d’une combinaison de processus de prise de décision et de processus exécutifs.10 Peser le pour et le contre peut s’avérer très laborieux quand on a des difficultés à prendre des décisions. Des études ont montré que les patients obèses choisissaient les récompenses immédiates même si celles-ci ont des répercussions à long terme négatives.11,12 Dans le cadre de la perte de poids, nos patients n’auraient-ils pas certaines difficultés à entrevoir les conséquences positives à long terme de leurs efforts (bénéfices sur leur santé, mobilité accrue, meilleure estime d’eux-mêmes…) en préférant celles à plus court terme de leurs dérapages (soulagement, anesthésie émotionnelle…) ? Ce manque de préméditation ne porterait-il pas préjudice à leur motivation ? Ne banaliseraient-ils pas les conséquences négatives à terme de leurs écarts alimentaires sous prétexte d’un besoin immédiat de se sentir mieux dans l’ici et maintenant ?
Cette facette décrit la capacité à rester concentré sur une tâche qui peut être ennuyeuse ou difficile. Elle refléterait la capacité à résister à l’interférence pro-active,7 qui permet l’inhibition de pensées ou de souvenirs non pertinents. La résistance à l’interférence pro-active est impliquée dans la capacité de faire face à l’intrusion en mémoire d’informations précédemment pertinentes, mais qui ne le sont plus pour l’activité en cours. Plusieurs travaux ont montré que la suppression de ce type de pensées pouvait augmenter la fréquence de ces mêmes pensées et contribuer à l’apparition et au maintien de symptômes boulimiques. Ainsi, la tentative de suppression de pensées est contre-productive puisqu’elle augmente le nombre d’obsessions et aboutit à une perte de contrôle sur le comportement alimentaire.13-15 Les personnes hyperphagiques pourraient avoir des difficultés à inhiber des pensées relatives à la nourriture ou encore au poids et à la silhouette. En cela, elles constitueraient des pensées intrusives pouvant perturber les autres activités en cours.
La recherche de sensations renverrait plutôt à un versant motivationnel du comportement. Elle est définie comme latendance à apprécier et à rechercher des activités qui sont excitantes ; l’ouverture d’esprit pour essayer de nouvelles expériences qui peuvent ou non être dangereuses. Cette dimension serait le reflet d’une hypersensibilité aux renforcements positifs par rapport aux renforcements négatifs.16 En effet, cette sensibilité aux récompenses n’est pas contrebalancée par une sensibilité adaptée aux renforcements négatifs (punition). Les personnes impulsives ne sont alors pas capables de différer les gratifications.17 Il a été montré que cette tendance à rechercher des renforcements positifs partageait des liens particulièrement forts avec les crises de boulimie et la prise de poids. Les individus obèses semblent préférer de petites récompenses immédiates qu’une plus grande plus tard. Le plaisir de la nourriture tout de suite serait-il donc plus fort que les bénéfices de leur potentielle perte de poids ? L’incapacité de différer une récompense imminente ou immédiate pour recevoir plus tard une récompense plus importante mettrait-elle en péril les plans de nos patients pour perdre du poids ?
Bien souvent, l’impulsivité du patient provoque chez le soignant la réaction tout aussi impulsive de dispenser des «bons conseils» et des stratégies souvent inutilisables telles quelles pour le patient. Nous connaissons tous l’escalade en parallèle des «oui mais…».
Pour aider nos patients à trouver leurs propres stratégies, nous exposons ici une technique qui a déjà fait ses preuves dans de nombreux domaines18 et qui permet à chacun de discuter du problème avec l’aide d’un cadre, garant de la démarche.
La technique que nous proposons ici est une technique de résolution de problèmes dérivée directement de D’Zurilla et Goldfried19 et présentée en détail par Perroud.20
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’est pas si évident pour le patient d’identifier clairement qu’il y a un «problème à résoudre» dans ce qu’il nous rapporte. Il s’agit d’abord de mettre le doigt sur le problème et d’être convaincu qu’il est possible d’agir dans ce contexte. Cela sous-entend aussi de faire le deuil de certaines croyances telles que «cela ne devrait pas m’arriver» qui mènent à une attitude fataliste. Le soignant a déjà un rôle à jouer dès cette étape, tant dans l’identification du problème que dans la croyance en la possibilité d’y faire face (tableau 2).
Les problèmes présentés par les patients sont la plupart du temps confus et vagues, ils manquent d’informations pour suggérer un but précis ou une direction pour la résolution du problème. Dans cette étape, la personne doit décrire le plus précisément possible le problème en termes de situation, pensées, émotions, comportements consécutifs et conséquences tant négatives que positives. Parfois, on peut même reconstruire un véritable cercle vicieux dans lequel le patient s’est enfermé, les conséquences de ses actions renforçant ses croyances (figure 2).
Après avoir analysé le problème, il est essentiel de se fixer des objectifs (tableau 3). Ils sont, en général, déductibles de l’analyse des conséquences et répondent aux questions: dans l’idéal, qu’est-ce que je voudrais changer ? quelles seraient mes attentes ? comment voudrais-je que les choses se passent désormais ?
Cette étape est inspirée de la méthode du brainstorming. On souhaite la génération des idées même les plus folles, c’est une étape de créativité. Plus la quantité d’idées est grande, plus il y a de chance qu’il y ait des idées utiles. Il est recommandé que les stratégies proposées soient formulées en termes d’actions spécifiques et non de principes vagues, de la même manière que l’on favorise une description spécifique du problème.
Un truc utile pour les soignants : les stratégies générées par les individus peuvent être classées en quatre catégories (tableau 4).
Spontanément, une personne va plutôt avoir des idées qui se rapportent à une ou deux catégories (tableau 5). Ces catégories peuvent aider le soignant à orienter le patient vers d’autres champs et vers des idées nouvelles.
La prise de décision est un processus complexe qui demande de tenir compte de nombreux aspects comme le coût, l’effort, et le bénéfice ou les conséquences escomptées. Tous ces aspects mis ensemble sont très difficiles à estimer pour un individu d’autant plus qu’il s’engage dans un comportement nouveau. A cette étape, le soignant peut aider le patient à évaluer chaque idée en termes d’avantages et d’inconvénients (tableau 6), puis à lui donner une note sur 10, 10 correspondant à une très bonne stratégie qui atteint l’objectif et qui demande peu d’efforts.
Une fois la meilleure solution choisie, c’est-à-dire la plus réaliste et la plus efficace, il est important de préparer concrètement les étapes à accomplir afin de l’appliquer: quand agir ? comment faire ? que dire ? On peut choisir une combinaison de différentes solutions (tableau 7). Certains comportements et craintes tels qu’une remise à plus tard, la peur du jugement ou des critiques peuvent faire hésiter le patient à mettre en application la stratégie choisie. Il est important d’en prendre conscience. Passer à l’action amène un sentiment de satisfaction et augmente sa confiance en soi.
Une fois la solution mise en place et testée, il s’agit d’évaluer le résultat comme satisfaisant ou non (tableau 8). S’il n’est pas satisfaisant, il faut recommencer le processus de résolution de problème. Attention toutefois car dans la «vraie» vie, il faut parfois se contenter d’une solution modérément satisfaisante. Le soignant peut alors aider le patient à être réaliste.
Cette technique de résolution de problème est à faire avec le patient, elle demande d’être extrêmement concret, de planifier et de programmer précisément comment mettre en place les solutions envisagées. Visualiser par avance permet de contrer l’urgence du patient, son manque de préméditation et d’aller au-delà de la récompense immédiate palliant sa recherche de sensations. Une répétition des stratégies adoptées est nécessaire afin de créer de nouvelles habitudes. On encouragera le patient à recommencer encore et encore : souvenons-nous que le manque de persévérance est également une facette de l’impulsivité. Cette technique prend du temps, elle peut être réalisée en plusieurs séances ou utilisée par étapes. C’est une bonne méthode pour contrer l’impulsivité, tant du patient que du soignant !
Parmi les facteurs impliqués dans les épisodes de suralimentation de nos patients obèses, l’impulsivité tient une place importante. Le modèle de Whiteside et Lynam décrit quatre facettes à l’impulsivité (urgence, manque de préméditation, manque de persévérance et recherche de sensations). Cette conceptualisation multifacettes nous offre un éclairage particulier sur les conduites impulsives de nos patients vis-à-vis de la nourriture.
Pour aider nos patients à gérer leur impulsivité, la technique de résolution de problème est décrite en détail. Elle peut s’avérer efficace pour aider les patients à faire face à leurs compulsions alimentaires puisqu’elle initie l’action et le changement des habitudes.