Au cours des dernières années, la prise en charge de l’hépatite C chronique a été marquée par une optimalisation progressive des traitements disponibles. La durée du traitement combiné par interféron α pégylé et ribavirine est maintenant individualisée en fonction de la réponse virologique sous traitement. Cette approche permet d’améliorer la tolérance tout en augmentant le taux de réponse virologique soutenue chez certains patients. Plusieurs nouvelles molécules ayant une activité antivirale spécifique sont actuellement évaluées dans des études cliniques avancées. L’arrivée de ces nouveaux agents améliorera encore les taux de réponse et changera la prise en charge de l’hépatite C chronique de manière significative.
L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) touche 120-180 millions de personnes dans le monde et représente une des causes les plus fréquentes de morbidité et de mortalité d’origine hépatique. La majorité des patients infectés développe une atteinte chronique dont la sévérité est très variable. Le risque de progresser vers une cirrhose est de 2 à 20% sur une période de vingt ans. Certains des cofacteurs qui influencent cette progression sont bien connus aujourd’hui et doivent être pris en considération pour une prise en charge optimale de l’hépatite C chronique (figure l).1 Des projections suggèrent que la mortalité liée au VHC va continuer à augmenter au cours des deux prochaines décennies.2
Le test diagnostique de choix lors d’une suspicion d’infection virale C chronique est le dosage des anticorps anti-VHC. Le dosage de l’ARN VHC ne doit être effectué que chez les patients anti-VHC positifs chez lesquels on envisage d’introduire un traitement antiviral, chez les patients ayant une maladie hépatique inexpliquée avec des anti-VHC négatifs, chez les patients immunosupprimés ou lors d’une suspicion d’hépatite C aiguë. La détermination du génotype est nécessaire lorsqu’un traitement est prévu.
Les raisons de réaliser une biopsie hépatique sont : 1) d’obtenir des informations sur le degré des lésions hépatiques nécrotico-inflammatoires (grade), 2) d’objectiver le stade de fibrose et 3) d’identifier des cofacteurs ou d’autres causes d’hépatopathie chronique (par exemple alcool, stéatose, surcharge en fer). Il existe plusieurs classifications, dont la plus utilisée en Europe est le score de METAVIR qui évalue le degré d’activité nécrotico-inflammatoire (A0-3) et le stade de la fibrose (F0-4). D’autres méthodes d’évaluation de la fibrose ont été développées et validées ces dernières années.3 L’une d’entre elles est l’élastographie impulsionnelle (FibroScan), un outil non invasif grâce auquel l’élasticité hépatique est mesurée au moyen d’ondes ultrasonographiques. Si ce test est utile pour déterminer l’absence de fibrose ou la présence de cirrhose, il est moins efficace pour déterminer les stades intermédiaires de fibrose. Dès lors, la biopsie hépatique reste l’examen de choix pour déterminer précisément le stade de fibrose dans un but pronostique ou pour décider de l’introduction d’un traitement. Avec l’examen histologique, le profil d’expression de certains gènes ou de micro-ARN deviendra probablement dans l’avenir un important facteur prédictif de réponse au traitement4-6 (cf. ci-dessous et tableau 1 pour d’autres facteurs prédictifs).
Le but principal d’un traitement est l’éradication du VHC, la diminution de l’inflammation et la prévention d’une évolution de la fibrose jusqu’au stade de cirrhose pour éviter les complications inhérentes (décompensation cirrhotique, carcinome hépatocellulaire). Plusieurs types de réponses virologiques peuvent être observés au cours du traitement (tableau 2 et figure 2) et serviront d’outils décisionnels pour la durée totale de la thérapie. Un ARN VHC non détectable 24 semaines après l’arrêt du traitement antiviral, soit la réponse virale soutenue (sustained virological response, SVR), témoigne du succès du traitement.
Plusieurs anciennes études ayant cherché à déterminer si la SVR était l’équivalent d’une eradication ont montré des résultats divergents et ont ainsi laissé un doute dans ce domaine. Bien que des disparités existent, elles peuvent être partiellement expliquées par des détails techniques concernant la sensibilité des tests de détection de l’ARN VHC, par la nature des prélèvements utilisés (sérum, tissu hépatique ou cellules sanguines périphériques) et par le moment où le prélèvement avait été effectué. Cette question a été récemment évaluée dans une étude incluant 344 patients ayant eu une SVR.7 La présence de l’ARN VHC dans le sérum, les PBMC (peripheral blood mononuclear cells) et le tissu hépatique ont été recherchés par un test ayant une sensibilité très élevée (transcription-mediated amplification, TMA). Pendant un suivi de plus de trois années en médiane, l’ARN VHC est resté indétectable dans le sérum et les PBMC chez tous les patients. Seuls deux patients avaient un ARN VHC détectable dans le tissu hépatique. Ces résultats démontrent qu’une SVR signifie l’éradication du VHC.
Pendant longtemps, le traitement par interféron α pégylé (PEG-IFN-α) et ribavirine était basé seulement sur le génotype du VHC. Les patients ayant un génotype 1 étaient traités durant 48 semaines par PEG-IFN-α avec dosage de ribavirine dépendant du poids (1000-1200 mg avec le PEG-IFN-α2a et 800-1400 mg avec le PEG-IFN-α2b) et les patients ayant un génotype 2 ou 3 recevaient du PEG-IFN-α avec une dose fixe de ribavirine de 800 mg durant 24 semaines. Récemment, des études ont montré que cette durée fixe de 48 semaines n’était pas optimale pour tous les patients avec un génotype 1. Si l’on sélectionne des patients ayant une charge virale basse avant le traitement (ARN VHC < 6 x 105 UI/ml) et une virémie négative à quatre semaines (réponse virologique rapide, rapid virological response, RVR), on peut obtenir un taux de SVR > 75% avec une durée de traitement de 24 semaines.8-12 Actuellement, le traitement de l’hépatite C chronique génotype 1 dépend de la réponse virologique à quatre et douze semaines de traitement. Ainsi, la RVR et la réponse virologique précoce (early virological response, EVR) sont des caractéristiques cruciales qui déterminent la durée du traitement (figure 3). Les patients avec une charge virale basse avant traitement et RVR peuvent donc bénéficier d’un traitement raccourci de 24 semaines. Ceci est intéressant car la tolérance du traitement sera probablement meilleure tout en entraînant moins d’effets secondaires et en diminuant les coûts. D’un autre côté, les répondeurs lents, soit ceux dont l’ARN VHC ne devient indétectable qu’après 24 semaines de traitement, profiteront d’une prolongation du traitement pour une durée totale de 72 semaines (figure 3).13,14
Les options thérapeutiques pour les non-répondeurs au PEG-IFN-α et la ribavirine sont limitées. Un deuxième traitement avec les mêmes substances aux mêmes doses ne permet d’obtenir une SVR que chez environ 10% des patients et n’est donc pas recommandé.15 Cependant, une étude récente a montré que les non-répondeurs recevant un retraitement prolongé (72 semaines au lieu de 48 semaines) ont plus de chance d’avoir une SVR (14% versus 7%).16 Une deuxième étude, comprenant des non-répondeurs et des patients avec une récidive (relapse), a montré que les facteurs associés à la réussite d’un retraitement sont une infection par les génotypes 2 ou 3, une EVR complète (VHC ARN négatif à douze semaines), l’absence de cirrhose, une virémie de base < 6 x 105 UI/ml et une récidive plutôt qu’une non-réponse au traitement antérieur.17 L’utilisation d’un traitement de maintien par PEG-IFN-α et ribavirine afin de retarder ou d’empêcher la progression de la fibrose a été étudiée dans des études randomisées et les résultats de l’une d’entre elles, HALT-C, ont été publiés récemment.18 Bien que les transaminases, le taux d’ARN VHC et l’activité nécrotico-inflammatoire diminuent significativement, les taux d’évolution vers la cirrhose et de décompensation hépatique étaient comparables chez les patients traités et ceux qui ne l’étaient pas (34% vs 38%). En se basant sur ces résultats, un traitement de maintien n’est donc pas recommandé chez les patients ayant une fibrose avancée ou une cirrhose.
La réponse au traitement avec PEG-IFN-α et ribavirine dépend d’un ensemble des facteurs prédictifs qui sont liés soit au virus, soit au patient.19 A part les facteurs bien connus (tableau 1), des travaux récents ont montré que la séquence du génome viral20 ainsi que des facteurs génétiques de l’hôte jouent un rôle important. Cinq études récentes ont notamment démontré que des polymorphismes du gène IL28B, codant pour l’interféron λ3 étaient hautement prédictifs pas seulement de la réponse au traitement mais aussi de l’élimination spontanée du virus dans la phase aiguë de l’infection.21-25 Par conséquent, il est probable que dans le futur on adaptera le traitement non seulement selon la réponse virologique mais aussi selon des facteurs génétiques du patient.
Ces dernières années, l’acquisition de connaissances approfondies sur le cycle de replication du VHC a ouvert de nouveaux horizons pour le développement d’agents antiviraux prometteurs. Plusieurs substances antivirales dirigées contre différentes protéines virales (protéase NS3-4A, protéine NS5A, polymérase NS5B) sont évaluées dans des études cliniques avancées. Après des résultats très encourageants obtenus en phase 2,26-28 deux inhibiteurs de la protéase NS3-4A, le télaprevir et le bocéprevir, font actuellement l’objet d’études cliniques de phase 3. Utilisées en monothérapie, ces molécules entraînent une diminution initiale rapide du taux d’ARN VHC allant jusqu’à 4 log en un à deux jours. Cependant, on observe rapidement l’apparition d’une résistance antivirale. Afin d’éviter ce problème de résistance et d’améliorer les chances de SVR, l’approche actuelle est de combiner un inhibiteur spécifique au PEG-IFN-α et à la ribavirine, et de donner ainsi une trithérapie. Une trithérapie de douze semaines par PEG-IFN-α, ribavirine et télaprevir suivie d’une bithérapie de douze semaines par PEG-IFN-α et ribavirine permet d’obtenir une SVR chez 61-69% des patients ayant un génotype 1 et qui n’ont pas été traités préalablement (vs une SVR de 46% chez les patients traités avec le standard PEG-IFN-α et ribavirine) (études PROVE 1 et 2).26,28 Cette trithérapie permet donc de diminuer la durée du traitement de 48 à 24 semaines et d’obtenir une amélioration du taux de SVR d’environ 20%.
D’autres substances, dirigées contre des protéines de l’hôte, entraînent une inhibition de la replication VHC et font l’objet d’études cliniques (inhibiteurs de cyclophilines, nitazoxanide, silibinine). Les résultats publiés concernant le Debio-025, un inhibiteur sélectif de cyclophilines utilisé en combinaison avec le PEG-IFN-α et la ribavirine, ont montré une diminution de l’ARN VHC après quatre semaines allant jusqu’à 4,7 log chez les génotypes 1 et 4, et jusqu’à 5,9 log chez les génotypes 2 et 3.29 Le nitazoxanide, un agent oral antiparasitaire n’ayant pas d’effet secondaire majeur, ajouté au PEG-IFN-α et à la ribavirine, a permis d’obtenir une augmentation significative de la RVR et de la SVR chez les génotypes 4 (64 et 79% vs 38% et 50% lors d’une bithérapie conventionnelle).30 Finalement, la silibinine, isolée d’extrait du chardon-Marie, a montré une activité antivirale inattendue lorsqu’elle est donnée en association avec le PEG-IFN-α.31,32
Au cours des dernières années, les connaissances ont permis d’optimiser le traitement antiviral des patients difficiles à traiter. Dans le futur, il sera peut-être possible de déterminer plus précisément les chances de SVR avant de débuter un traitement et d’utiliser de nouveaux agents antiviraux très prometteurs.
> La biopsie hépatique est recommandée pour déterminer le degré d’activité nécrotico-inflammatoire et le stade de fibrose dans un but pronostique et pour décider de l’introduction d’un traitement
> L’obtention d’une réponse virale soutenue, soit un ARN VHC indétectable six mois après la fin du traitement, correspond à l’éradication du virus
> La durée du traitement par interféron α pégylé et ribavirine dépend du génotype, de l’ARN VHC de départ, des virémies à 4, 12 et éventuellement 24 semaines, du stade de fibrose
> Dans un proche avenir, l’adjonction d’un traitement antiviral spécifique (inhibiteurs de la protéase NS3-4A, inhibiteurs de la polymérase, autres) devrait permettre d’obtenir plus de réponse virale soutenue avec des traitements plus courts
Au cours des dernières années, la prise en charge de l’hépatite C chronique a été marquée par une optimalisation progressive des traitements disponibles. La durée du traitement combiné par interféron α pégylé et ribavirine est maintenant individualisée en fonction de la réponse virologique sous traitement. Cette approche permet d’améliorer la tolérance tout en augmentant le taux de réponse virologique soutenue chez certains patients. Plusieurs nouvelles molécules ayant une activité antivirale spécifique sont actuellement évaluées dans des études cliniques avancées. L’arrivée de ces nouveaux agents améliorera encore les taux de réponse et changera la prise en charge de l’hépatite C chronique de manière significative.