Chez nos voisins français, l’automobiliste qui aborde une localité s’en voit décliner les atouts historiques – église romane ou prieuré gothique – tandis que d’autres panneaux annoncent les plaisirs plus terrestres de la bonne chère et du bon vin. Nos amis nord-américains n’ont pas de patrimoine aussi antique à faire valoir. Pourtant, la signalisation routière se rattrape sur le nombre d’habitants (à l’unité près) et sur la liste des églises – baptiste, épiscopalienne, méthodiste, presbytérienne... – qui ont clocher sur rue céans. Ce ne sont pas les monuments qu’on célèbre ici, mais bien les vénérables crêpages de chignon théologiques auxquels on doit cette diversité ecclésiale. Certes, à l’instar des vendettas corses, le paroissien moyen ignore probablement les subtilités doctrinales à l’origine de ces querelles, qui remontent généralement au XVIIe ou XVIIIe siècle. Mais c’est précisément l’ancienneté de ces chamailleries qui permet au moindre village perdu dans les blés du Middle West d’entrer de plain-pied dans la Grande Histoire de l’Occident.
Les Helvètes ne faisant rien comme les autres, c’est sur le mode apophatique (c’est-à-dire de la négation) que certaines communes suisses s’affichent aux yeux du voyageur. Elles annoncent fièrement qu’il n’y a pas d’OGM chez elles. La pureté génétique règne. Aucun ADN adultère n’ensemence le sol sacré de la Patrie. Depuis le 29 novembre dernier, ils pourraient mentionner sur leurs panneaux une autre inexistence, celles des minarets. Rien que des clochers baptisés propre en ordre. Non que les Suisses soient particulièrement religieux, l’enthousiasme n’est pas dans leur caractère. C’est la pureté ethnico-religieuse du paysage qui est ainsi défendue. La poutze du phénotype après celle du génotype.
Ainsi en a décidé le Souverain. Il s’ensuivit une discussion embarrassée sur notre régime politique. Cette fameuse démocratie directe que l’étranger (ne) nous envie (pas) et qui ressemble plus à la monarchie absolue qu’à une démocratie représentative. Car, qui dit Souverain dit cour et courtisans. Ceux-ci protestèrent que le Peuple, qui a toujours raison, était oppressé et bâillonné par des «élites» intellectuelles hautaines et affidées à l’Etranger. Remarquez que le dégommage des élites – en gros, les gens qui réfléchissent – loin d’être l’apanage des blogs et des courriers des lecteurs, s’afficha à longueur d’éditorial des journaux à grand tirage. Comme honneur journalistique, on a vu mieux. Et au moins, sous l’Ancien Régime, on pouvait écrire des chansons et des libelles contre le roi, voire même l’écarter légalement du pouvoir s’il était franc fou, comme Georges III d’Angleterre.
Plus d’un monarque l’a aussi noté à ses dépens, le pouvoir absolu ne permet pas de contrôler le cours de l’histoire. Le Souverain suisse est très en forme pour combattre les dangers inexistants, comme le génie génétique ou l’islamisme à la sauce helvétique. Mais que la haute noblesse du Royaume se lance dans l’aventurisme financier, il ne contrôle en rien la débâcle qui en résulte. Ce pays ingouvernable et ingouverné va gentiment à vau-l’eau. En comparaison, les problèmes de la Belgique, souvent cités en contre-exemple au bonheur helvétique, paraissent de simples querelles d’amoureux.