Le Désir sexuel hypoactif (DSH) a une forte prévalence dans la population générale, représentant ainsi une importante cause de consultations en sexologie clinique. Bien que le DSH affecte surtout les femmes, il touche aussi la population masculine. Le DSH chez l’homme peut être dû à différents facteurs. La détermination de ces facteurs est essentielle lors du bilan clinique afin d’entreprendre une prise en charge efficace. Le bilan chez l’homme doit suivre un schéma précis qui prend en compte non seulement les facteurs psychologiques mais également les facteurs endocriniens, toxiques et psychiatriques. Une formation spécifique en médecine sexuelle est donc nécessaire pour effectuer une prise en charge optimale du DSH. Cet article présente les points clés du bilan du DSH chez l’homme pour aider tout médecin à évaluer ce trouble dans la pratique clinique.
Des études épidémiologiques ont démontré que la diminution (ou l’absence) de désir sexuel a une forte prévalence dans la population générale, représentant ainsi une importante cause de consultations en sexologie clinique.1-4 Ce trouble est actuellement à l’origine d’un grand nombre de demandes de prise en charge thérapeutique et est souvent à l’origine de crises de couple, de séparations et d’une baisse significative de la qualité de vie. La diminution (ou l’absence) du désir sexuel est classée dans le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux sous le diagnostic « Trouble : baisse du désir sexuel (F52.0) » (tableau 1). Actuellement, on préfère l’appellation de « désir sexuel hypoactif (DSH) ».5 La caractéristique essentielle de ce trouble est un déficit ou une absence de « fantaisies imaginatives d’ordre sexuel (fantasmes sexuels) ou de désir d’activité sexuelle », qui est à l’origine d’une souffrance prononcée ou de difficultés relationnelles. Le sujet souffrant de ce trouble est peu motivé dans la recherche de stimuli sexuels et habituellement ne prend pas l’initiative d’une activité sexuelle ou s’y livre avec réticence quand son partenaire prend l’initiative.5 Bien que la baisse du désir sexuel soit souvent considérée comme étant un trouble qui affecte spécifiquement les femmes (il est le trouble sexuel le plus répandu chez la femme), il touche aussi la population masculine.
Selon la Global sexual attitudes and behaviour study, qui a étudié un échantillon de 13 618 hommes de 29 pays différents, 12,5 à 28% des hommes souffriraient d’une baisse du désir sexuel de manière occasionnelle, périodique ou fréquente et 1,3 à 3,9% des hommes de manière fréquente.6 Selon une autre étude plus ancienne, 14 à 17% des hommes entre 18 et 59 ans présenteraient un intérêt faible pour le sexe. Pourtant, il faut bien le noter, un désir sexuel faible n’est pas synonyme de DSH, la prévalence du DSH étant moindre. Une méta-analyse récente, sur 53 études différentes, a montré que jusqu’à 3% des hommes dans la population générale souffriraient d’un DSH avéré.7
Le DSH chez l’homme peut être dû à des facteurs somatiques non liés spécifiquement à la sexualité, à des facteurs spécifiquement sexuels et à des facteurs relationnels. Par exemple, un des facteurs souvent cités comme agissant sur le désir sexuel est l’âge.1-3 Plus l’âge augmente, plus le désir a tendance à diminuer. Selon une étude américaine, le DSH toucherait 26 % des hommes de plus de 70 ans alors qu’il ne concernerait que 0,6 % des hommes entre 40 et 49 ans.8 Toutefois, malgré cette évolution du désir avec l’âge, un nombre significatif d’hommes continuent à ressentir un désir sexuel significatif après 80 ans et bon nombre de couples âgés continuent à considérer que l’activité sexuelle est un aspect important de leur vie.
D’autres facteurs, comme des troubles psychiques ou psychiatriques, des problèmes émotionnels, une forte consommation d’alcool ainsi qu’une mauvaise santé en général sont aussi associés au DSH.
Il existe toute une série de facteurs qui, sans être en lien direct avec la fonction sexuelle et le désir, peuvent plus ou moins directement les affecter.
On va distinguer dans ce groupe trois grandes catégories de facteurs.
Parmi les facteurs somatiques qui peuvent provoquer un DSH, les troubles endocriniens occupent une place très importante chez l’homme.
Les androgènes sont les principales hormones impliquées dans la fonction sexuelle masculine. Ils sont clairement impliqués dans le désir et l’intérêt sexuel chez l’homme et modulent la réponse sexuelle. Chez les hommes hypogonadiques, l’administration de testostérone a un effet activateur très significatif sur le désir et les fantaisies sexuelles, sur l’excitation, et sur l’activité sexuelle en général.9
Chez les hommes eugonadiques, la réponse à des doses supra-physiologiques de testostérone est plus nuancée que chez les hommes hypogonadiques. Dans ce cas, les androgènes n’auraient qu’un effet partiel sur la fonction sexuelle. Certaines études chez les hommes eugonadiques ont montré, par exemple, une augmentation de l’intérêt et du désir sexuel, sans amélioration de la réponse excitatoire et de la fonction érectile. Chez l’homme, les taux normaux de testostérone totale varient avec l’âge et se situent moyennement entre 10 et 12 nmol/l. Ces taux sont largement au-dessus des valeurs nécessaires pour assurer une fonction sexuelle adéquate. C’est seulement au-dessous d’un certain seuil, qui est sujet à d’importantes variations interindividuelles, que des troubles sexuels commencent à apparaître. C’est à un taux critique inférieur à 6-7 nmol/l que la majorité des patients deviennent symptomatiques. Le traitement par androgènes s’avère donc efficace pour les troubles sexuels, notamment la baisse de la libido, chez les hommes hypogonadiques, mais il doit être considéré uniquement en cas de déficit androgénique. En effet, l’utilisation des androgènes pour améliorer la fonction sexuelle « per se » n’est pas indiquée. L’apport d’androgènes peut augmenter le risque d’événement cardiovasculaire, de cancer prostatique et de troubles hépatiques sévères. Ces thérapies restent du ressort du spécialiste en endocrinologie.
L’effet d’une autre hormone, la déhydroépiandrostérone (DHEA), a souvent été débattu quant à son rôle sur la fonction sexuelle et la libido. La DHEA est un stéroïde, précurseur androgénique et œstrogénique, produit par la cortico-surrénale (zone réticulée), sous le contrôle de l’ACTH hypophysaire. Pourtant, l’effet androgénique de la DHEA est faible. Si certaines recherches montrent un effet positif de la DHEA sur la sexualité des femmes avec une insuffisance surrénalienne ou en postménopause après 70 ans.10,11, l’effet sur la fonction sexuelle masculine, et spécifiquement le désir, s’avère peu concluant. De plus, l’administration de DHEA pourrait avoir des effets secondaires potentiels comme la diminution du cholestérol-HDL et le développement de cancers hormono-dépendants (prostate).
La prolactine est une neurohormone sécrétée par la partie antérieure de l’hypophyse sous le contrôle de PRH (hormone de libération de la prolactine), PIF (facteur inhibant la libération de la prolactine = dopamine) et TRH (hormone-thyréotrope).
Cette hormone inhibe la sécrétion hypophysaire de LH (hormone lutéinisante) et, par conséquent, diminue la sécrétion de testostérone par les cellules de Leydig. L’hyperprolactinémie provoque également une diminution de la production de dihydrotestostérone (DHT) par une baisse de l’alpha-réduction de la testostérone en DHT.12 Du point de vue de la fonction sexuelle masculine, l’hyperprolactinémie diminue le désir sexuel et peut aussi affecter la réponse érectile.9 Le dosage de la prolactine doit faire partie du bilan de la baisse du désir sexuel chez l’homme.
Plusieurs maladies peuvent s’accompagner de troubles de la fonction sexuelle et d’un DSH, comme par exemple les maladies génétiques, des affections urologiques (affections prostatiques), des troubles endocriniens (problèmes thyroïdiens, maladie de Cushing, maladie d’Addison), des maladies neurologiques (épilepsie temporale, sclérose en plaques), des maladies infectieuses (VIH), toute maladie entraînant une douleur chronique, des maladies chroniques (insuffisance rénale ou cardiaque, diabète), une fatigue et des maladies oncologiques.
Il existe toute une série de facteurs toxiques qui peuvent inhiber la fonction sexuelle masculine et la libido. Les drogues, les médicaments et l’alcool en sont les principaux.
Sans vouloir décrire dans cet article les effets des différentes drogues sur la libido, notons que l’utilisation chronique des drogues, tout comme la méthadone, affecte significativement et de manière négative le désir sexuel.13
L’alcool à de faibles doses peut avoir un effet de désinhibition et il est souvent utilisé pour favoriser les contacts sexuels. A plus forte dose, l’alcool a un effet inhibiteur sur le désir sexuel. Cet effet est dû à une action directe sur le système nerveux central et sur le foie en favorisant la conversion de la testostérone en œstrogènes.
Plusieurs médicaments et classes de médicaments sont impliqués dans la baisse du désir sexuel chez l’homme. Les psychotropes, comme les antidépresseurs (sérotoninergiques, tricycliques), les neuroleptiques et les anxiolytiques, affectent négativement la fonction sexuelle et spécialement la libido.14-16 Les autres médicaments typiquement impliqués dans la baisse du désir sexuel sont les antihypertenseurs (thiazides, spironolactone), les antiacides (anti-H2), les œstrogènes et les antiandrogènes.17
Une comorbidité psychiatrique est très souvent associée aux dysfonctions sexuelles et à la baisse du désir sexuel. Il faut ainsi toujours rechercher ces troubles lors de l’anamnèse et du status des patients consultant pour un DSH.
La baisse du désir sexuel est un symptôme classique d’accompagnement de la dépression.
D’une part, environ 75% des patients dépressifs présentent une baisse significative de la libido. D’autre part, la dépression elle-même peut être la conséquence de la baisse de la libido. Enfin, les traitements pharmacologiques avec des antidépresseurs peuvent, comme vu précédemment, influencer négativement le désir sexuel. Il s’agit donc d’un cercle vicieux dont il est difficile de déterminer les causes et les conséquences et duquel il peut être compliqué de sortir. Lorsque la dépression est la cause du trouble sexuel et quand elle est sévère, il faut traiter en premier lieu le patient pour son état dépressif.18
Comme la dépression, les troubles anxieux s’accompagnent souvent de troubles sexuels et de DSH.18 Le trouble panique, certaines phobies, le trouble obsessionnel compulsif, l’anxiété généralisée, et l’état de stress post-traumatique s’accompagnent souvent d’une baisse du désir sexuel. Il est donc important de rechercher systématiquement, lors du bilan pour un DSH, un trouble anxieux. Dans ce cas, tout comme pour la dépression, il est important de prendre en charge en première intention le trouble anxieux.
Les troubles du désir chez l’homme (comme chez la femme) peuvent être provoqués typiquement par des facteurs spécifiquement psychologiques, sexuels et liés au développement psychosexuel. On touche là toute la complexité des troubles sexologiques. Ces facteurs spécifiques peuvent agir à un moment précis de la vie, mais également générer une prédisposition ou une vulnérabilité au développement et au maintien des dysfonctions sexuelles au cours de la vie.
Parmi le très grand nombre de facteurs spécifiques qui affectent la libido, on citera une santé mentale instable (passée et actuelle), une image de soi négative, un stress familial et professionnel, des expériences sexuelles passées négatives, des coutumes et croyances sexuelles conflictuelles, un imaginaire érotique pauvre, absent ou culpabilisant, une éducation sexuelle rigide, une aversion envers certaines pratiques sexuelles, un évitement des perceptions positives, des traumatismes sexuels, une peur de l’échec ou encore des troubles identitaires.
Les facteurs relationnels jouent un rôle très important dans les troubles du désir chez l’homme et chez la femme et sont souvent sous-estimés. Tout conflit, des émotions négatives envers le partenaire, la peur de l’engagement affectif, un changement de rôle au cours de la relation, le désir hyperactif de la (du) partenaire, peuvent se traduire par une diminution du désir sexuel chez l’homme. Dans le contexte d’un DSH chez l’homme, il faut systématiquement chercher avec grand soin les facteurs relationnels.
L’évaluation sexologique est le moment fondamental du bilan clinique. Idéalement, l’évaluation se fera en présence du patient seul et, si cela est possible par la suite, en couple. Bien qu’il soit parfois difficile de rencontrer le partenaire, sa présence se révèle être une aide précieuse.
Au cours de l’évaluation sexologique, différents points seront abordés : la nature précise et l’historique du problème sexuel (DSH), le motif de la consultation à ce moment précis, les risques endocrinologiques potentiels, les éléments les plus importants du développement psychosexuel du patient, sa relation avec sa famille d’origine, son contexte culturel et ses attitudes envers la sexualité, le sentiment identitaire et l’investissement du rôle masculin ainsi que la relation de couple. Une attention particulière sera aussi portée sur la réponse sexuelle et ses différentes phases (désir, excitation, orgasme, résolution).
Le but de ce bilan médical est de procéder à une évaluation fonctionnelle de la sexualité et de faire un diagnostic précis. Le diagnostic de DSH doit s’appuyer sur l’application des critères diagnostiques de manière très rigoureuse (figure 1). Si les critères ne sont pas remplis, un diagnostic de DSH ne sera pas posé. Si, par contre, le diagnostic est retenu, il faut identifier précisément la (les) cause(s) du DSH.
On procédera ainsi à une anamnèse détaillée par système avec une attention particulière à l’anamnèse psychiatrique. Font aussi partie intégrante du bilan, un status physique général et urologique, un status psychiatrique et des examens paracliniques (figure 2). Ceux-ci consistent en une formule sanguine, une chimie de base, la TSH, la prolactine, la LH et la testostérone totale.
Une telle évaluation sexologique détaillée permet ainsi d’établir un diagnostic précis du trouble dans une perspective globale, ce qui s’avère être d’une grande importance pour le choix de la démarche thérapeutique et son succès.
La prise en charge thérapeutique du DSH chez l’homme est complexe et devrait être effectuée par un spécialiste du domaine de la médecine sexuelle et de la sexologie clinique.
Pour cela, une formation spécifique est nécessaire et se révèle précieuse pour tout médecin. En médecine de premier recours et pour tout médecin spécialiste qui s’intéresse aux problématiques cliniques des affections sexologiques (et qui est formé pour le faire), il est possible d’effectuer un premier bilan et un début de prise en charge. Dans cette phase initiale, une fois que le diagnostic de DSH est confirmé, il faut déterminer les causes précises et les éventuelles comorbidités. Si une étiologie somatique et/ou psychiatrique est mise en évidence et explique le trouble sexuel (DSH), le médecin devra la traiter (si cela est possible), mais également fournir un soutien éclairé au patient et au couple. Pour la configuration du traitement, il faudra aussi considérer le facteur âge qui est souvent un facteur important dans le déclin de la fonction sexuelle.
Il existe une vaste palette de thérapies sexuelles efficaces pour le traitement des troubles sexuels et du DSH chez l’homme. Parmi ces sexothérapies, on citera les formes cognitivo-comportementales, psychodynamiques, psychosexuelles ou systémiques, les sexothérapies de couple, les sexothérapies corporelles, les short-term psychothérapies et l’intensive short-term dynamic sextherapy.19 De plus, il existe d’autres approches et modèles sexothérapeutiques qui peuvent se révéler utiles. L’efficacité de ces sexothérapies est variable et ne dépend pas uniquement du modèle appliqué, mais aussi de l’expérience, de la personnalité et de l’engagement du thérapeute.
A savoir que les sexothérapies classiques à inspiration psychodynamique (psychosexuelles), cognitivo-comportementale et récemment les short-term sexothérapies offrent une garantie de qualité, car elles sont fondées sur des bases scientifiques prouvées et reconnues.
De manière plus précise, on peut, pour la prise en charge du DSH, proposer 3-6 sessions de sexothérapie focalisées sur :
les pensées automatiques ;
l’ignorance concernant la sexualité ;
les mythes concernant la sexualité masculine ;
les stratégies pour améliorer le rapprochement émotionnel du couple ;
les stratégies pour améliorer la stimulation érotique ;
la défocalisation de la pénétration comme unique activité sexuelle.
Par la suite, on proposera si/selon besoin une sexothérapie avec le modèle le plus approprié et adapté au patient. Actuellement, il n’existe pas de traitement pharmacologique spécifique recommandé pour le DSH.
Dr Francesco Bianchi-Demicheli
Consultation de gynécologie psychosomatique et sexologie
Département de psychiatrie et Unité d’endocrinologie gynécologique et de médecine de la reproduction
Département de gynécologie obstétrique
Dr Patrick Meyer
Service d’endocrinologie, diabétologie et nutrition
Département de médecine interne
HUG, 1211 Genève 14
fbianchi@worldcom.ch
Pr Stephanie Ortigue
Département de psychologie
Université de Syracuse
Syracuse, New York, Etats-Unis
> Le Désir sexuel hypoactif (DSH) a une forte prévalence dans la population générale et il touche aussi la population masculine
> L’étiologie est à rechercher dans des facteurs somatiques, sexuels et relationnels
> L’évaluation sexologique est fondamentale dans le bilan clinique
> Font partie intégrante du bilan : l’anamnèse détaillée par système, un status physique général, urologique et psychiatrique, et des examens paracliniques
> Il existe une vaste palette de thérapies sexuelles efficaces pour le traitement du DSH chez l’homme
Hypoactive sexual desire disorder (HSDD) has a high prevalence in the population, representing an important cause of consultations in sexual medicine. Although HSDD affects women mostly, it also affects men. HSDD in men can be due to different factors. A precise medical evaluation of these factors is needed to start an efficient therapy. Along these lines, HSDD evaluation must follow a precise schema that integrates psychological factors and also endocrinological, toxic and psychiatric factors. A specific formation in sexual medicine is recommended for an optimal evaluation of HSDD. The present article describes the milestones of the adequate evaluation of HSDD to help the physicians in their daily clinical practice.