L’exposition de mineurs à du matériel pornographique est considérée en Suisse, depuis 1992, comme une forme caractérisée de mauvais traitements sexuels. Que de nombreux pédophiles utilisent un tel matériel pour séduire, tromper, exciter leurs victimes et en abuser est un phénomène connu depuis longtemps. Mais ces dernières années, le phénomène a pris une nouvelle dimension. Avec internet et les nouveaux outils de télécommunication, l’exposition des mineurs aux images pornographiques est en effet très fortement augmentée. Un vaste réseau de criminels intéressés n’a pas manqué de tirer profit de ce dispositif technique offert sur une très large échelle. Une récente enquête1 montre qu’aujourd’hui 87% des jeunes ont accès à internet, et que 42% des jeunes Américains entre dix et dix-sept ans ont été exposés à du matériel pornographique en ligne durant l’année précédant l’enquête.
Devons-nous, comme médecins, nous soucier d’un tel phénomène ? Des situations récentes suivies directement ou lors de supervisions m’inclinent à le penser. Par exemple : des parents gardent de la littérature pornographique dans la bibliothèque du salon. Leur unique fille adolescente devient symptomatique. Son comportement vestimentaire est provocant et inadéquat ; elle continue par là à se mettre en danger.
Ou encore : un père surprend son fils adolescent dans un état quasi second devant l’ordinateur : il regarde un site porno. Ce père se sent mal à l’aise et sort de la chambre sans rien dire.
Une troisième adolescente me raconte avec une gêne évidente que son père se promène nu dans l’appartement, prétextant que cela est bien normal. Malgré les protestations de sa fille, il n’envisage nullement de changer d’attitude.
En famille, l’accès à du matériel pornographique est souvent justifié par des finalités d’éducation sexuelle. Il n’y a rien de bienfaisant dans une telle attitude. De nombreux auteurs2 s’accordent en effet à affirmer que la seule exposition laisse des traces durables.
Les diverses formes de mépris de la pudeur perturbent et portent atteinte au développement des enfants ; les privent d’encadrement et de limites ; portent à une confusion des rôles et des générations. L’état d’excitation non élaboré génère chez eux des formes supplémentaires d’angoisses dont ils n’ont pas vraiment besoin.
Ne pouvant pas élaborer ce qu’ils vivent émotionnellement en étant confrontés à des images « brutes », les jeunes essaient quelquefois de comprendre en passant à l’acte, en tentant d’expérimenter ce qu’ils ont vu sur leur propre corps et sur celui des autres. Ils se mettent ainsi en danger et risquent d’en traumatiser d’autres.
Laisser du matériel pornographique à portée de main des enfants, tolérer des propos ambigus, en rire, encourager dans une telle voie, ou faire preuve d’indifférence ne me paraît pas une attitude protectrice. L’attitude parentale négligente porte surtout à conséquence chez les jeunes les plus vulnérables.
L’apparent laxisme ou la réelle indifférence des parents trouve sa racine dans une société où les valeurs de protection et la notion d’interdit semblent céder le pas à une sorte d’emphase sur la notion d’autonomie, sur la primauté du plaisir individuel.
Les médecins peuvent-ils faire preuve d’un laxisme analogue lorsqu’ils viennent à connaître, dans les familles de leurs patients, de tels phénomènes ?
Le fonctionnement des parents demeure réversible ; il est possible pour les médecins d’entreprendre un travail pédagogique – une guidance parentale – dont la finalité est de comprendre et de faire comprendre que la vigilance et la pudeur, le respect et la confrontation sont bien plus éducatifs qu’une attitude insouciante et légère en matière de vie sexuelle. En tant que médecins, nous avons également une vocation non négligeable en matière de prévention des comportements abusifs chez les jeunes qui auraient été exposés.