La médecine moderne basée sur les preuves a permis d’approcher la maladie de manière plus rationnelle et scientifique. La recherche clinique a identifié des comportements et des facteurs de risque pouvant favoriser des maladies souvent silencieuses initialement, comme le diabète.
Malgré l’impact de ces éléments sur la santé, la perception du risque au niveau individuel reste faible. De plus, les professionnels de la santé ont très souvent une perception différente qui rend difficile la communication du risque au patient.
Dans cet article, nous décrivons les principes de la perception du risque, la perception du risque du diabète et de ses complications cardiovasculaires, et proposons quelques stratégies et outils pratiques qui pourraient permettre d’améliorer la communication du risque dans notre pratique quotidienne.
La perception du risque est définie comme le processus intérieur qu’un individu élabore lors de l’exposition à un danger ou à un facteur qui menace sa santé. Cette perception peut aussi se définir par la probabilité de survenue d’un événement. L’origine du risque est un des facteurs qui influencent sa perception ; le risque sera interprété comme important s’il est involontaire, « exotique », peu familier ou peu, voire pas contrôlable, et dont les conséquences potentielles sont peu ou pas perçues (tableau 1).1,2 Il s’agit par exemple du risque lié aux nouvelles technologies telles que les centrales nucléaires, les aliments modifiés génétiquement ou certaines vaccinations.1,3 Ainsi, les individus considèrent paradoxalement comme étant plus risqué de voyager en avion que de conduire une voiture.
De plus, les caractéristiques psychologiques propres à chaque individu influencent la prise de risque ; certains sujets aiment prendre des risques (risk seeking), d’autres les évitent (risk averse), certains y sont indifférents (risk neutral).4 Très fréquemment, et indépendamment de ces caractéristiques psychologiques, il existe de manière générale au sein de la population un biais d’optimisme par rapport aux risques ; en effet, plusieurs études ont montré que les individus ont une tendance à sous-estimer systématiquement le risque de développer des maladies par rapport à d’autres personnes.5,6 Ce biais d’optimisme s’oppose à une perception du risque adéquate et en particulier altère des changements de comportements qui pourraient prévenir certaines maladies. Le caractère du risque peut parfois influencer ce biais d’optimisme puisque un risque qui semble contrôlable est souvent perçu comme moins dangereux et induit un biais d’optimisme plus marqué.6
A retenir : la perception du risque, jugement subjectif élaboré face à un risque, dépend en partie des propriétés de ce risque mais aussi des caractéristiques psychologiques propres à chaque individu, et du biais d’optimisme omniprésent dans la population.
Il y a peu de données scientifiques évaluant la perception du risque lié au diabète. Dans la population générale, le risque de développer un diabète de type 2 serait perçu comme faible.7 Cette perception serait un peu plus proche des données épidémiologiques chez les patients à haut risque de développer cette maladie.8 Il existe également une sous-estimation du risque de développer des complications liées au diabète par les diabétiques de type 2.9 Par contre, les diabétiques de type 1 auraient plutôt tendance à surestimer les complications potentielles liées à leur maladie et les bénéfices d’un traitement intensif.10 Enfin, plusieurs études ont montré que la variabilité de la perception du risque est un facteur prédictif important de l’adhérence thérapeutique.11
Le développement de nombreux scores de prédiction (comme le score de Framingham) a permis de fournir de nouveaux moyens d’aide à la décision pour le meilleur traitement adapté au risque cardiovasculaire du patient. Néanmoins, comme pour le diabète, il existe chez les patients une tendance à sous-estimer ce risque cardiovasculaire global.12 Dans une étude hollandaise récente sur un collectif de 490 patients âgés entre 40 et 70 ans, recrutés parmi 34 consultations de médecine générale, environ 30% avaient une perception du risque cardiovasculaire inappropriée par rapport au risque épidémiologique calculé. Cette perception du risque était caractérisée par un biais d’optimisme pour 80% des patients à haut risque ou un biais de pessimisme chez 20% des patients à bas risque.13
De manière surprenante, le diabète, à la différence des autres facteurs cardiovasculaires tels que l’hypertension artérielle, le tabac et l’obésité, est souvent considéré comme peu important dans la perception du risque cardiovasculaire.13,14
Dans la pratique, une analyse systématisée de la perception du risque lié au diabète pourrait s’avérer utile en raison des biais de perception fréquents. Une telle approche a été élaborée par E. A. Walker en utilisant les quatre dimensions du risque définies par Slovic :3,15 la perception du contrôle du diabète (perceived personal control), le biais d’optimisme (optimistic bias), la perception du risque pour des maladies qui affectent ou qui ont affecté le patient (personal disease risk) et la perception du risque par rapport à son environnement (environnemental risk). Ces quatre dimensions ont été complétées par l’analyse des connaissances du patient (risk knowledge) par rapport à son diabète.
Les résultats de l’étude de Walker sur 250 patients diabétiques d’une population vivant dans le Bronx, à New York, ont apporté des informations intéressantes : la perception du contrôle sur les complications de la maladie est influencée par le niveau d’éducation. Les personnes à faible niveau de scolarisation ayant le sentiment de moins pouvoir influencer le cours de leur maladie. Le biais d’optimisme est fortement influencé par le lieu de naissance et par le niveau d’éducation : les sujets nés en dehors de New York sont significativement plus optimistes par rapport aux risques de complications liées au diabète ; de même, ceux qui ont peu fréquenté le collège présentent un biais d’optimisme plus marqué. Finalement, la connaissance du risque est corrélée à la classe d’âge et de revenu annuel. Les patients les plus jeunes (classe 20-52 ans) ont 25% de connaissances en plus que les plus âgés (classe 64-85 ans) ; ceux qui gagnent plus de US$ 15 000.– par an ont 10% de connaissances en plus que la catégorie avec des gains de moins de US$ 15 000.–.
Ainsi, selon E. A. Walker, la perception du risque lié au diabète est fortement influencée par des caractéristiques démographiques, des facteurs socioéconomiques mais aussi culturels.16
Chez les médecins, une étude effectuée sur un échantillon de 535 médecins nord-américains non diabétiques a montré que leur perception du risque de développer un diabète, évaluée par un questionnaire proche de celui de Walker pour des patients diabétiques, était inférieure aux résultats attendus. Ceci, malgré le fait qu’ils présentaient des facteurs de risque cardiovasculaire. Ces résultats sont probablement liés au biais d’optimisme (présent chez 50% des médecins à haut risque de diabète) et renforcé par un sentiment de pouvoir influencer le cours de la maladie.17 Des résultats similaires ont été confirmés dans une étude réalisée auprès de 218 pharmaciens nord-américains.18 Ces résultats suggèrent que la faible perception du risque de développer un diabète chez les soignants pourrait être une entrave à une communication non biaisée du risque entre le soignant et son patient.
A retenir : la divergence de perception du risque en fonction du type de diabète, la sous-estimation du risque cardiovasculaire global et la présence d’un biais d’optimisme, y compris chez les soignants, devraient mieux être prises en compte dans la communication du risque au patient. Une approche systématisée du risque, adaptée aux déterminants socioéconomiques et culturels, s’avère nécessaire.
La communication du risque dans le cadre de la relation thérapeutique impose une connaissance des divergences des perceptions du risque entre patients et soignants. Selon le modèle de Weinstein, une bonne compréhension du risque va dépendre de la communication au niveau de plusieurs dimensions (tableau 2).19 Puis, en fonction du contenu de l’information du soignant en termes de gains ou de pertes sur la santé, de risques comparatifs par rapport à d’autres événements, de présentations chiffrées ou graphiques, et de l’unité de temps utilisée (à court ou à long termes), l’information pourra être perçue par le patient comme peu ou très convaincante (tableau 3).20-24
Différentes techniques visuelles de représenter le risque existent. Une possibilité intéressante est le risk characterization theater (RCT), développé par Rifkin et Bouwer (figure 1).23 Il est illustré par un théâtre de 1000 places représentant les individus soumis à une intervention médicale, une maladie ou un facteur de risque. Les places en noir représentent le nombre de personnes qui seront sauvées par l’intervention, qui décéderont à la suite d’une maladie ou qui présenteront des complications liées à un facteur de risque sur une période de temps déterminée. Ce moyen simple permet de visualiser le risque lié à une intervention, à une maladie, à des facteurs de risque et peut permettre aux patients de mieux comprendre leur risque.
Une autre possibilité est l’utilisation des Palettes de Paling (figure 2).25 Cet autre moyen simple de communication permet lui aussi de « voir » le risque : le médecin marque sur un graphique avec 1000 personnes celles qui seront touchées par les conséquences d’un risque dérivant d’une maladie ou qui s’amélioreront suite à un choix thérapeutique.26
A retenir : la communication du risque est cruciale ; elle devrait être un dialogue avec l’aide de différentes techniques et moyens de communication. Les divergences de points de vue, lorsqu’elles existent, vont ainsi être explorées ensemble entre le patient et son soignant.
La communication des risques liés au diabète doit tenir compte des divergences fréquentes des perceptions du risque entre le soignant et son patient relatives aux complications potentielles de la maladie. Une approche systématisée associée à l’usage de modèles de représentation visuelle du risque peut faciliter une meilleure compréhension des perceptions propres à chacun.
> Il existe des divergences importantes dans la perception du risque lié au diabète entre patients et soignants, à l’origine probablement de difficultés dans la communication du risque
> La perception du risque lié au diabète et à la maladie cardiovasculaire doit être explorée de manière systématisée, tenant compte des caractéristiques propres des facteurs de risque, des composantes psychologiques, socioculturelles et d’un éventuel biais d’optimisme du patient et du soignant
> La communication du risque par le soignant doit intégrer les dimensions propres du risque (Weinstein) ainsi que des modes de formulation les plus convaincants. L’utilisation de représentations visuelles simples comme le Risk characterization theater (Rifkin et Bouwer) peut s’avérer utile
> Tout soignant devrait s’intéresser à la perception du risque de son patient en vue de devenir un meilleur « communicateur du risque » 27
Evidence-based medicine has enabled to approach disease in a more rational and scientific way. Clinical research has identified behaviours and risk factors that could cause disease often « silent » at the beginning, such as diabetes. Despite the clear impact of these evidences on public health, it seems that the individual risk perception level remains weak. To mention as well, the health professionals very often have a different views, which makes it difficult to communicate the risk with patients. In this article we describe the principles of risk perception, the diabetes related risk perception concerning cardiovascular complications, and suggest some practical strategies and tools which could improve risk communication in the everyday practice.