Le virus de l’hépatite E (VHE) est la première cause d’hépatite virale dans le monde et, selon certaines estimations, le tiers de la population mondiale aurait été infectée par ce virus. La majorité des cas survient dans les pays en voie de développement, où le virus se transmet à l’homme par la consommation d’aliments contaminés insuffisamment cuits. Mais on assiste aussi à l’émergence de cas dans de nombreux pays industriels. Cette infection peut être associée à une mortalité élevée chez les personnes âgées, les femmes enceintes et les personnes souffrant d’une pathologie hépatique sous-jacente. Elle peut aussi évoluer sur un mode chronique, notamment chez les personnes immunodéprimées.
L’infection chronique peut quant à elle évoluer vers une cirrhose et, dans le cas d’une greffe hépatique, elle peut conduire à la perte du greffon. La prévalence de l’infection chez les patients greffés est estimée entre 0,4 % (dans les zones de faible endémie) et 1,9 % dans les zones où l’endémie est plus élevée. Aujourd’hui, le diagnostic de l’infection par le VHE est basé sur la détection de l’ARN viral dans le sang, les selles ou les biopsies du foie ainsi que sur la présence d’IgM et d’IgG spécifiques. Chez certaines personnes infectées, les données sérologiques ne sont pas toujours pertinentes du fait notamment de faux négatifs.
C’est aussi et surtout une infection sans thérapeutique efficace démontrée (à l’exception, chez des personnes greffées, de quelques cas associant traitement immunosuppresseur et interféron α) ; d’où l’importance que l’on peut accorder (en dépit de son caractère préliminaire) à la publication que vient de faire un groupe de cliniciens français dans Annals of Internal Medicine.1 Vincent Mallet, Philippe Sogni, Stanislas Pol et leurs équipes de l’Institut Cochin et du groupe hospitalier Cochin Saint-Vincent de Paul (Paris) rapportent l’efficacité d’un traitement antiviral simple chez deux personnes souffrant d’une infection chronique par le VHE. Des essais cliniques devraient être réalisés rapidement afin de valider et d’étendre ce traitement.
Les cliniciens français ont proposé à deux patients immunodéprimés souffrant d’une infection chronique par le VHE un traitement à base de ribavirine. On sait que cet antiviral connu de longue date est un analogue de la guanosine doté d’une activité à large spectre contre les virus à ARN et l’ADN ; il est actuellement utilisé dans le traitement de certaines infections virales respiratoires chez l’enfant et certaines fièvres hémorragiques. Il est également utilisé dans le traitement de l’infection par le virus de l’hépatite C. Le premier patient était un homme diabétique, âgé de 40 ans qui, après deux ans d’hémodialyse, avait bénéficié d’une greffe de rein en novembre 1998. Le second était une femme âgée de 57 ans présentant une lymphopénie et ayant un lourd passé médical (insuffisance respiratoire chronique, infection chronique cutanée et génitale compliquées par un papillomavirus humain, maladie de Bowen, cancer spinocellulaire, cancer primaire du sein).
La ribavirine a été administrée quotidiennement par voie orale à raison de 12 mg/kg de poids corporel et ce pendant douze semaines. Après deux semaines de traitement chez les deux patients, la fonction hépatique est redevenue normale. Après quatre semaines de traitement, le virus est devenu indétectable dans l’organisme. Enfin, respectivement six et trois mois après l’arrêt du traitement, la fonction hépatique restait normale et le VHE indécelable. Les effets secondaires ont été considérés comme bénins.
Pour les auteurs de ce travail, le rétablissement spectaculaire des deux patients montre a priori le potentiel de la ribavirine comme traitement des formes graves d’infection par le virus de l’hépatite E. Pour autant, la démonstration est encore loin d’être apportée. «Il faut toutefois rester prudent, souligne le Dr Vincent Mallet. En raison du manque de recul, on ne peut encore affirmer la guérison totale des patients, mais notre travail est une véritable avancée. Des tests cliniques doivent maintenant être menés pour trouver la dose, la formulation et la durée adéquates pour traiter les formes graves d’infection par le VHE.» Auprès de l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale, on précise que ces travaux ont fait l’objet d’un dépôt d’une demande de brevet.