L’étiologie d’un état fébrile avec de multiples adénopathies chez une patiente VIH positive fut découverte tardivement sur la base d’un rapport anatomopathologique. Ce cas fut l’objet d’un colloque anatomopathologique et a permis d’aborder le diagnostic différentiel et la stratégie diagnostique de ces situations complexes d’états fébriles chez les patients immunosupprimés. Le raisonnement clinique qui a conduit à un diagnostic de probabilité sur la base d’informations cliniques, biologiques et radiologiques fut non seulement un exercice difficile pour l’orateur mais surtout une riche source d’enseignements pour notre communauté médicale.
Il s’agit d’une patiente de 32 ans, originaire du Kenya vivant en Suisse depuis plusieurs années. En raison d’une infection VIH diagnostiquée en 1994, actuellement de stade C3, elle bénéfice depuis un mois d’une trithérapie de Kaletra (lopinavir et ritonavir) et Truvada (emtricitabine et ténofovir). Cette patiente souffre par ailleurs d’un vitiligo, status post-varicelle en 1998 et mentionne plusieurs infections cutanées à germes indéterminés.
Elle consulte en septembre pour un état fébrile, des diarrhées, des douleurs abdominales et une fatigue. Les examens paracliniques dévoilent un syndrome inflammatoire avec une CRP (C-réactive protéine) à 197 mg/l et des leucocytes dans la norme (6,7 G/l). Un CT-scanner cervico-thoraco-abdominal montre la présence d’une iléite avec plusieurs petites lymphadénopathies axillaires, inguinales et rétro-péritonéales, ainsi qu’une discrète splénomégalie. Une ultrasonographie endovaginale est normale. Sur la base de coprocultures, le diagnostic d’iléite à Campylobacter coli avec coïnfection à Giardia lambia est posé. L’évolution est favorable sous traitement antibiotique et antiparasitaire (ciprofloxacine et ornidazole). Dans le bilan microbiologique effectué, on signale une PCR (polymerase chain reaction) négative pour CMV (Cytomegalovirus) et Parvovirus B19, positive pour EBV (virus d’Epstein-Barr, 2400 copies/ml), un test pour la malaria à deux reprises négatif, des antigènes à Cryptococcus négatifs et une PCR sanguine pour TBC négative.
La patiente est réhospitalisée après un mois en raison de la réapparition d’une asthénie, des diarrhées, de douleurs abdominales et de vomissements.
Elle est en mauvais état général, subfébrile, normotendue et tachycarde. L’auscultation cardiaque révèle un souffle systolique 2/6 max au point d’Erb pas décrit auparavant. La palpation abdominale est diffusément douloureuse, sans détente ni défense. Présence d’adénopathies au niveau de toutes les aires ganglionnaires.
Un syndrome inflammatoire est toujours présent avec une CRP à 215 mg/l. L’hémogramme dévoile une pancytopénie avec une hémoglobine à 92 g/dl (MCH 26 pg, MCV 76 fl), les leucocytes à 1,9 G/l et les thrombocytes à 110 G/l. Il n’y a pas de troubles électrolytiques. Les valeurs des tests hépatiques et de la fonction rénale sont dans la norme. Les taux de LDH sont à 236 U/l. Le taux de ferritine est à 715 μg/l.
Les CD4+ sont effondrés à 6 cell/mm3 et la virémie VIH s’élève à 4,67 x 102 copies/ml.
Un CT-thoraco-abdominal montre une augmentation discrète en taille des adénopathies et de la splénomégalie (figure 1). Le reste est normal.
Le bilan microbiologique (hémocultures, cultures d’urines, coprocultures avec parasitologie et recherche de Clostridium difficile (toxine et culture), la recherche d’antigènes à Cryptococcus, CMV et Parvovirus B19) est négatif. La recherche de Microsporidium, Cryptosporidium, Isospora et Zhiel est négative.
Une ponction-biopsie de moelle révèle la présence d’une moelle hypercellulaire avec une dysmyélopoïèse, une plasmocytose polyclonale et une lymphocytose interstitielle et focale d’allure réactionnelle. Il n’y a pas de blastes et les cultures sont négatives pour la Leishmania.
Sous antibiothérapie empirique par imipénem et métronidazole, l’évolution est rapidement défavorable, avec augmentation des douleurs abdominales, des diarrhées, plusieurs pics fébriles intermittents et développement d’une importante anasarque.
Un nouveau CT-scanner montre une augmentation de la splénomégalie et des adénopathies ainsi que l’apparition d’une infiltration diffuse du tissu sous-cutané et du tube digestif.
Un examen est effectué et permet de poser le diagnostic (figure 2).
La présence de diarrhées, de lymphadénopathies et d’une splénomégalie chez une patiente souffrant d’une infection VIH avec un taux de lymphocytes CD4 effondré génère un large diagnostic différentiel incluant en particulier des étiologies infectieuses et tumorales (tableau 1).
Alors qu’elles causent des diarrhées, les bactéries comme les salmonelles, les shigelles ou les Campylobacter spp et les parasites comme Microspidium spp et Cryptosporidium spp ne permettraient pas d’expliquer tout le tableau clinique et en particulier les adénopathies. Avant l’ère des traitements antirétroviraux hautement actifs (HAART), Mycobacterium avium complex (MAC) était fréquemment documenté chez des patients VIH avec des CD4 inférieurs à 50/mm3, fébriles, souffrant de diarrhées, de douleurs abdominales, d’une perte de poids et d’une anémie ; l’infection due à MAC favorise aussi l’apparition de volumineuses adénopathies abdominales.1 Ce diagnostic apparaît cependant peu probable au vu des hémocultures Bactec négatives (dont la sensibilité est supérieure à 90%). Une infection disséminée à Mycobacterium tuberculosis a été décrite chez 23 patients VIH+2 avec un tableau clinique comparable à celui d’une mycobactériose atypique, mais la majorité de ces patients présentait une perturbation des tests hépatiques ou/et des lésions pulmonaires d’allure miliaire (70%). La présence d’adénopathies homogènes sur les tomographies parle aussi contre une infection due à des mycobactéries puisque ces dernières causent des ganglions avec des centres hypodenses.3 Au vu de tous ces éléments, une infection disséminée à MAC ou à M. tuberculosis peut être exclue.
Le Cytomegalovirus était la cause d’une infection gastro-intestinale chez 5% des patients VIH+ avec un taux de CD4 inférieur à 50/mm3 avant l’ère des HAART, même en l’absence d’une virémie détectable. L’atteinte digestive la plus fréquente se localisait à l’œsophage et au côlon. Le CT abdominal démontrant une infiltration intestinale, une infection est peu probable chez cette patiente recevant un HAART.4 Une infection fongique disséminée doit être aussi évoquée au vu du nombre effondré des CD4. L’histoplasmose est endémique en Afrique et peut causer une grave infection disséminée.5 Elle peut favoriser des symptômes et signes dont se plaignait la patiente. Le diagnostic est posé sur la base de cultures de moelle osseuse, de recherche par PCR ou d’une détection antigénique dans l’urine.6 Il n’est pas fait mention dans le résumé de culture ou de recherche d’antigénurie d’Histoplasma capsulatum : par conséquent, l’histoplasmose ne peut être exclue d’emblée. La blastomycose présente en Afrique cause des lésions cutanées mais l’absence d’atteinte pulmonaire permet d’exclure ce diagnostic. La cryptococcose est peu probable au vu d’une antigénémie négative. La coccidioïdomycose n’entre pas en considération puisqu’il s’agit d’une infection observée en Amérique. Pneumocystis jirovecii peut causer une atteinte multiorganique en touchant les ganglions, la rate, le foie, les reins, les yeux ou la thyroïde, mais cette infection disséminée est, dans la majorité des cas, associée à une atteinte pulmonaire.7
La leishmaniose viscérale peut survenir chez des patients VIH+ en provoquant une splénomégalie, des adénopathies, une atteinte de l’intestin grêle, une pancytopénie et de la fièvre : elle est rapportée dans des pays tropicaux et autour du bassin méditerranéen.8 Le CT-scan suggère que la splénomégalie est liée à une compression de la veine splénique par les adénopathies, ce qui diminue la possibilité d’une leishmaniose.
Une infection due à Bartonella henselae ou quintana est aussi possible chez cette patiente. L’apparition d’un souffle cardiaque avec hémocultures négatives pourrait être due à une endocardite à Bartonella spp.9 qui n’expliquerait cependant pas les volumineuses adénopathies. Une angiomatose bacillaire peut causer une atteinte digestive mais l’attente cutanée domine.
Une origine tumorale doit être envisagée chez cette patiente avec un sida en présence de lymphadénopathies, d’une splénomégalie et d’un état fébrile. Les lymphomes non hodgkiniens sont plus fréquents en présence d’une infection VIH, de l’ordre de 100 fois : une stimulation antigénique chronique et une immunodéficience constituent des facteurs favorisant l’apparition de lymphomes principalement de type B et «high grade».10 Après l’introduction des HAART, l’incidence des lymphomes non hodgkiniens a significativement diminué (de 6,2 à 3,6/1000 personnes-année).11,12 Le lymphome plasmablastique est un autre lymphome B apparaissant chez les patients VIH+, plus fréquent chez les hommes (rapport 7/1). Il se localise à la bouche mais aussi à d’autres sites comme le tractus gastro-intestinal et les ganglions.13 L’Herpes humain 8 (HHV-8) est un autre virus associé à l’apparition d’une affection tumorale d’origine vasculaire chez les patients séropositifs. Il cause en particulier le sarcome de Kaposi et une atteinte digestive est retrouvée dans 40% des cas. Il n’est pas fait mention dans la description du cas de lésions cutanées suggestives. L’incidence du sarcome de Kaposi a significativement diminué après l’introduction des HAART mais une étude révèle l’apparition d’un sarcome de Kaposi trois à six semaines après le début d’un HAART.14 HHV-8 est aussi responsable d’un syndrome lymphoprolifératif associé au VIH, la maladie de Castelman multicentrique. Les patients présentent en plus des adénopathies multiples et des symptômes B. Ce syndrome lymphoprolifératif peut apparaître en même temps qu’un lymphome ou un sarcome de Kaposi.15 Cette patiente présente plusieurs manifestations cliniques et biologiques décrites dans une revue récente sur cette entité16 telles que la fièvre, la lymphadénopathie diffuse, la splénomégalie, une pancytopénie, une CRP élevée et une plasmocytose médullaire.
En conclusion, plusieurs possibilités du tableau 1 ont été exclues. L’histoplasmose reste possible chez cette patiente africaine fortement immunosupprimée ; elle pourrait aussi causer l’atteinte colique et une endocardite à hémocultures négatives. Cette infection ne cause en général pas de volumineuses adénopathies. L’étiologie la plus probable est une maladie lymphoproliférative au vu des images tomographiques abdominales caractérisée par une rapide progression des adénopathies et de l’infiltration diffuse du tube digestif et du tissu sous-cutané. Cette origine tumorale serait à même d’expliquer tout le tableau clinique survenant chez cette patiente, l’apparition du souffle cardiaque systolique étant mis sur le compte de l’anémie. Il n’est pas possible de déterminer s’il s’agit d’un lymphome B high-grade ou d’une maladie multicentrique de Castelman et seule une biopsie d’une adénopathie permettra de poser un diagnostic précis.
Diagnostic clinique : maladie lymphoproliférative (lymphome B non hodgkinien ou maladie de Castelman multicentrique).
Le matériel adressé correspond à un ganglion axillaire de 2,5 cm de grand axe. A la coupe, il montre une surface homogène, de couleur beige.
Aux colorations standards, l’architecture ganglionnaire est en partie conservée. Les follicules lymphoïdes du cortex montrent un centre germinatif involué, typiquement centré par un vaisseau à paroi épaissie. La zone parafolliculaire et la médulla sont le siège d’une plasmocytose composée d’éléments matures mais aussi de foyers composés de plasmablastes. Il n’y a pas de prolifération vasculaire.
A l’examen immunohistochimique, le marqueur CD21 confirme une densification du réseau de cellules dendritiques au niveau des centres germinatifs. Les plasmocytes matures expriment le CD138, le IRF4/MUM1 et les chaînes légères Kappa et Lambda de manière polytypique. Par contre, les plasmoblastes expriment de manière monoclonale les chaînes légères Lambda et lourdes IgM avec un taux de prolifération MIB1 élevé. Présence également d’une expression nucléaire de Human Herpes Virus 8 (HHV-8).
La PCR étudiant le réarrangement V-J du gène IgH montre un clone B sur les deux prélèvements effectués sur matériel frais. Au total, l’image histologique ainsi que le profil immunohistochimique sont typiques d’une maladie de Castelman.
La maladie de Castelman fut décrite en 1956 par la présence d’hyperplasie angiofolliculaire au niveau de ganglions lymphatiques médiastinaux. Il s’agissait d’une atteinte très localisée. En 1978, fut reconnue une forme multicentrique de la maladie de Castelman. Cette forme systémique est associée avec des polyadénopathies, hépatosplénomégalie, fièvre et transpirations nocturnes. Cette maladie systémique est fortement associée à l’immunosuppression VIH et une infection au virus de l’Herpes 8 (HHV-8). Dans le contexte de cette affection, le risque de développer des maladies lymphoprolifératives (lymphome non hodgkinien) et sarcomes de Kaposi est augmenté. Il existe également une association avec le syndrome de POEMS (polyneuropathie, organomégalie, endocrinopathie, gammapathie monoclonale et atteintes cutanées). ■
L’étiologie d’un état fébrile avec de multiples adénopathies chez une patiente VIH positive fut découverte tardivement sur la base d’un rapport anatomopathologique. Ce cas fut l’objet d’un colloque anatomopathologique et a permis d’aborder le diagnostic différentiel et la stratégie diagnostique de ces situations complexes d’états fébriles chez les patients immunosupprimés. Le raisonnement clinique qui a conduit à un diagnostic de probabilité sur la base d’informations cliniques, biologiques et radiologiques fut non seulement un exercice difficile pour l’orateur mais surtout une riche source d’enseignements pour notre communauté médicale.