La chute chez le sujet âgé est un syndrome gériatrique grevé d’une morbidité et d’une mortalité importantes. Dans notre système de santé actuel, il incombe au médecin de premier recours de pouvoir dépister mais également coordonner les différentes interventions des pluriprofessionnels de santé. Pour ce faire, il a besoin d’outils simples de dépistage mais également de réseaux structurés (filières) sur lesquels s’appuyer. L’offre actuelle est très variable d’un canton à l’autre. Cet article tente de donner quelques outils validés de dépistage mais également des possibilités d’intervention des différents professionnels de santé et des possibilités offertes par certaines associations d’utilité publique ou de services de soins de prise en charge à domicile.
Ce ne sont pas moins de 400 000 personnes de plus de 65 ans, qui chutent chaque année en Suisse, représentant 90% des accidents recensés.1
La chute est reconnue comme un problème de santé publique et, depuis peu, également comme un marqueur indépendant de fragilité. Elle est associée à une morbidité et à une mortalité accrues qui ne s’expliquent pas seulement par les suites de l’incident mais qui en font un syndrome gériatrique à part entière.
Plusieurs études ont démontré l’efficacité d’interventions multifactorielles et ciblées permettant d’améliorer la marche et de diminuer le risque de chute. Il s’agit de mettre en place un programme d’exercices physiques, de revoir la médication du patient et d’adapter son lieu de vie par exemple.2
Afin d’être le plus large et efficient possible, le dépistage des différents syndromes gériatriques et, en particulier celui des chutes, devrait se faire lors des visites de contrôle chez le médecin de premier recours.3 Néanmoins, le taux d’adhésion aux différentes recommandations en termes de dépistage chez les personnes âgées est faible. En effet, seulement un médecin sur quatre dit faire un relevé annuel des chutes chez ses patients de plus de 65 ans. De plus, si les chutes n’ont pas entraîné de conséquences délétères, elles sont rarement rapportées par les patients à leur médecin, car bon nombre d’entre eux estiment qu’elles font partie des impondérables dus à l’avancée en âge. Elles sont donc souvent banalisées. Si le médecin de premier recours ne pose pas régulièrement la question de manière spécifique, il y a fort à parier qu’il restera dans l’ignorance et ne pourra de ce fait pas proposer une prise en charge visant à prévenir de futurs accidents grevés de conséquences plus ou moins néfastes.
L’objectif de cet article est de sensibiliser les médecins de premier recours quant à l’importance de leur implication dans le dépistage des chutes et de leur prise en charge, en leur proposant des tests et des recommandations simples et applicables en cabinet. Il vise aussi à leur fournir un aperçu non exhaustif de l’offre de soins en Suisse romande.
30 à 45% des personnes âgées de plus de 65 ans, et vivant à domicile, ont chuté au moins une fois dans l’année écoulée et 15% d’entre elles sont victimes de chutes à répétition. Ces chiffres augmentent avec l’âge, puisque 50% des patients de 80 ans et plus chutent au moins une fois par an.4
Le risque de chuter à nouveau est de vingt fois supérieur après une première chute, et le risque de décès augmente de quatre fois dans l’année suivant la chute.4-6
Sans entraîner une issue fatale, 5% des chutes se soldent par une fracture et, dans environ un cas sur cent, par une fracture de l’extrémité supérieure du fémur. Sachant que la moitié des patients admis à l’hôpital pour une chute sont institutionnalisés à la sortie 4 et que les patients ayant fait une chute présentent dans 25-55% des cas une peur de chuter induisant une restriction de leurs activités et indépendance, il apparaît que le dépistage précoce et la prise en charge de ce syndrome sont indispensables.
Les chutes sont généralement d’origine multifactorielle. Plus de 400 facteurs différents ont été identifiés dont les principaux sont les antécédents de chute, l’âge supérieur à 85 ans, la marche instable et le déclin cognitif.
Il existe trois catégories bien définies de facteurs de risque : les facteurs intrinsèques, extrinsèques et environnementaux ou situationnels. Ils permettent de déterminer, à terme, des actions préventives ciblées.
Certains facteurs de risque sont intimement liés au vieillissement. En effet, ce dernier affecte l’équilibre tant par la diminution des afférences, telles que les informations visuelles et auditives, ou la proprioception, que par la diminution de la sensibilité des récepteurs labyrinthiques et l’augmentation des temps de réaction.
Au niveau musculaire, la sarcopénie, inhérente à l’altération de la balance catabolisme/anabolisme, à la dénutrition et la sous-utilisation des masses musculaires, ainsi que l’augmentation de la contractilité des muscles antagonistes conduisent à un maintien de l’équilibre plus précaire chez l’âgé.
La polymorbidité est identifiée comme un facteur majeur de risque de chute, risque qui augmente de façon linéaire avec le nombre de comorbidités comme la maladie de Parkinson, l’arthrose, les troubles cognitifs, l’hypotension orthostatique pour ne citer que les plus importants.
La polymédication, et principalement l’utilisation des psychotropes et des antidépresseurs, augmente significativement le risque de chute.5,7
L’environnement et les activités à risque, comme par exemple monter et descendre les escaliers, sont jugés «responsables» de la chute dans 30 à 50% des cas. Les lieux particulièrement incriminés étant la chambre à coucher, la salle de bain et, bien entendu, les escaliers.
Les patients âgés auraient tout intérêt à être systématiquement dépistés afin de prévenir un déclin fonctionnel et retarder autant que faire se peut l’entrée en dépendance fonctionnelle.
La valeur prédictive positive de tout test de dépistage dépend de la probabilité prétest de présenter la maladie (prévalence). La prévalence des chutes étant déjà de 30% à 65 ans, il paraît raisonnable, à partir de cet âge, d’effectuer un dépistage du risque de chute.
La Société américaine de gériatrie a, dès 2006, modifié son algorithme de prise en charge des chutes en incluant lors du dépistage annuel des questions relatives à la récidive de chute, la présence de troubles de la marche et d’une éventuelle peur de tomber (figure 1).8
Néanmoins, au cabinet, il paraît raisonnable de poser à chaque consultation ou au minimum une fois par an la question : «Avez-vous chuté durant cette dernière année ?» et d’observer attentivement le patient lorsque l’on va le chercher en salle d’attente. Porter une attention particulière à sa manière de se lever de la chaise qu’il occupe, à son équilibre une fois debout, à sa marche. Est-il capable de marcher et parler tout à la fois ? Comment s’assied-il ?6,9,10
Le risque de chute existe, bien entendu, si le patient répond oui à la première question mais également si l’une ou l’autre des observations décrites ci-dessus s’avère anormale.
Dans ce cas, il est indispensable de procéder à un interrogatoire ciblé en recherchant spécifiquement les différents facteurs de risque et, en particulier, les circonstances de la chute, la prise de médicaments ou d’alcool.
Les conséquences telles que d’éventuelles lésions, la peur de tomber ou la perte d’indépendance doivent être notifiées et feront l’objet d’une prise en charge spécifique.
Lors de l’examen clinique, il conviendra de rechercher particulièrement une hypotension orthostatique (test de Shellong), les déficits visuels et auditifs ainsi que l’atteinte de la mobilité générale et plus spécifiquement de la nuque.
Effectuer un bilan sanguin est à ce jour controversé s’il n’y a pas à l’examen clinique de signes d’appel. Néanmoins, la plupart des experts proposent de rechercher d’éventuels troubles électrolytiques, une hypovitaminose B12 ou un déficit en vitamine D.
Seul, l’examen clinique ne permet pas de juger du retentissement fonctionnel d’une maladie ostéoarticulaire ou neurologique. Afin d’évaluer les capacités fonctionnelles effectives de la personne âgée, des tests simples, reproductibles et sensibles ont été élaborés.
Ce test rapide et simple à effectuer consiste à mesurer le temps nécessaire pour se lever d’une chaise, marcher trois mètres, tourner de 180°, revenir à la chaise et s’y rasseoir, le patient peut employer un auxiliaire de marche si indiqué.
Le temps normal affecté à une telle opération est inférieur à quatorze secondes. Au-delà de vingt secondes, on considère qu’il y a une diminution de la mobilité et qu’elle est importante au-dessus de trente secondes. Ses sensibilité et spécificité sont de 87% pour une valeur seuil de quatorze secondes.
Ce test évalue la capacité de rester, sans appui, en équilibre sur une jambe pendant cinq secondes. Il est parfois proposé comme test de dépistage en cabinet car il est facile à réaliser. Néanmoins, ses spécificité et sensibilité ne sont pas connues et diffèrent passablement entre une population âgée en bonne ou en mauvaise santé. Il semble fiable pour prédire le risque de chute entraînant une lésion mais pas pour le risque de chute en général.11,12
Le POMA ou test de Tinetti est, de loin, le plus couramment utilisé en milieu spécialisé. Il comprend deux volets, un évaluant l’équilibre, l’autre la marche. Le test se rapporte à un score global, maximal, de 28 points. Tout résultat inférieur à vingt points est associé à un risque de chute élevé avec une sensibilité de 80% et une spécificité de 74%.13,14 La pratique de ce test demande, outre du temps, une certaine expertise. Il peut être effectué sur délégation par un physiothérapeute.
L’évaluation de l’environnement, en particulier du lieu de vie, doit être réalisée par des professionnels impliqués dans les soins aux personnes âgées. Dans plusieurs cantons, les équipes de soins à domicile sont composées de pluriprofessionnels : ergothérapeute, physiothérapeute, infirmière ou tout autre professionnel de santé formés à cette évaluation. Dans d’autres cantons, il peut exister des équipes de gériatrie ambulatoire composées, outre des professionnels sus-cités, de médecins spécialistes.
Le bilan des facteurs de risque permet avant tout de dépister des patients à risque élevé, mais également d’élaborer un programme de prise en charge individuel adapté en corrigeant ou modifiant dans la mesure du possible les facteurs de risque spécifiques mis en évidence.
Il doit au minimum inclure :
Ce type d’intervention multifactorielle permet de réduire le risque de récidive de chutes jusqu’à 40% ainsi que d’anticiper les conséquences négatives telles que les fractures.17-20
La prise en charge de la chute doit être multidisciplinaire c’est pourquoi le médecin traitant doit effectuer une partie du bilan mais doit être aussi le prescripteur, le coordinateur et l’intégrateur des différentes interventions des autres professionnels impliqués. Le tableau 1 propose un exemple de prise en charge coordonnée et donne quelques pistes permettant au médecin de premier recours de trouver dans sa région les professionnels ad hoc.
Le dépistage au cabinet du médecin de premier recours, doit permettre la mise en œuvre de stratégies d’interventions multifactorielles et individualisées.
Ces interventions requièrent une évaluation pluridisciplinaire qu’il n’est pas toujours facile de coordonner en médecine ambulatoire.
Dans certains cantons, des consultations spécialisées ont été mises en place dans le but de simplifier la prise en charge du patient chuteur. Elles offrent une prise en charge multidisciplinaire permettant de combiner les différentes interventions et actions entreprises.
En fonction des besoins exprimés par les différents prestataires de soins, une réflexion doit être entreprise pour développer des programmes ambulatoires concertés entre spécialistes et médecins traitants. ■
> Dépistage pour tout patient de plus de 65 ans : «Etes-vous tombé cette année ?»
> Importance de travailler en multidisciplinarité avec les prestataires de soins en ambulatoire (physiothérapeute, ergothérapeute, soins à domicile…) tant pour l’évaluation que le suivi thérapeutique
> Penser à prescrire de la vitamine D
La chute chez le sujet âgé est un syndrome gériatrique grevé d’une morbidité et d’une mortalité importantes. Dans notre système de santé actuel, il incombe au médecin de premier recours de pouvoir dépister mais également coordonner les différentes interventions des pluriprofessionnels de santé. Pour ce faire, il a besoin d’outils simples de dépistage mais également de réseaux structurés (filières) sur lesquels s’appuyer. L’offre actuelle est très variable d’un canton à l’autre. Cet article tente de donner quelques outils validés de dépistage mais également des possibilités d’intervention des différents professionnels de santé et des possibilités offertes par certaines associations d’utilité publique ou de services de soins de prise en charge à domicile.