A l’heure où la France commence à découvrir, médusée, les coulisses médicamenteuses et médicales de «l’affaire du Mediator» voici que l’on vient de découvrir – toujours en France – les nouvelles vertus d’un médicament qui fut un moment dénoncé comme une forme d’archétype d’un scandale médicamenteux : la fluoxétine, mieux connue du plus grand nombre sous sa dénomination commerciale de Prozac. Ce rapprochement ne manque pas de sel qui voit cette spécialité pharmaceutique controversée basculer de la sphère de la psychiatrie à celle (jadis voisine) de la neurologie. En clair, la prise de chlorhydrate de fluoxétine (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine utilisé à de multiples fins «antidépressives») serait de nature à faciliter la récupération de la motricité au décours d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques.
Telle est du moins la conclusion d’un travail mené par des chercheurs de l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dirigés par François Chollet (Unité Inserm «Imagerie cérébrale et handicaps neurologiques»). Leurs résultats viennent d’être publiés sur le site de The Lancet Neurology.1 Selon les résultats de l’essai thérapeutique FLAME (Fluoxetine for motor recovery after acute ischaemic stroke), «prescrire l’antidépresseur fluoxétine (Prozac) précocement après un accident vasculaire cérébral peut améliorer la récupération de la motricité et augmenter l’indépendance des patients souvent lourdement touchés» résume-t-on aujourd’hui auprès de l’Inserm. Point n’est besoin de rappeler ici que l’accident vasculaire cérébral ischémique représente un problème majeur de santé publique dans la plupart des pays industriels. En France, il est la troisième cause de mortalité prématurée et la deuxième cause de handicap de l’adulte, affectant chaque année environ 130 000 nouvelles personnes.
«Quelques études préliminaires avaient suggéré que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine pouvaient améliorer la motricité après accident vasculaire cérébral. La même équipe avait montré en 2001, sur un petit nombre de patients, que ce médicament était susceptible d’améliorer la motricité en augmentant l’activation et l’excitabilité des neurones des aires motrices cérébrales. Cette première étude a conduit à la réalisation de l’essai clinique dont les résultats viennent d’être publiés» résume l’Inserm. Ainsi l’objectif de l’essai FLAME était-il de déterminer si la fluoxétine pouvait ou non augmenter la récupération de la motricité dans un groupe de patients plus important.
Résumé de l’étude : entre mars 2005 et juin 2009, 118 patients hospitalisés pour hémiplégie au sein de neuf unités neurovasculaires en France ont pris 20 mg de fluoxétine par jour (59 patients) ou un placebo (59 patients) et ce durant les trois mois suivant leur accident vasculaire cérébral ischémique. Tous les patients ont bénéficié d’une rééducation. Des tests moteurs ont été effectués au début puis au bout de trois mois de traitement. «Cette évaluation de la motricité incluait à la fois la réalisation de mouvements simples du membre supérieur et du membre inférieur (flexion-extension des doigts, du poignet, du pied…) ainsi que des gestes plus complexes (mettre la main dans le dos, attraper un objet…) inclus dans une échelle d’évaluation motrice, validée par la communauté scientifique, résume-t-on encore auprès de l’Inserm. Dans les jours et les mois qui suivent l’accident, tous les patients récupèrent une partie de leurs capacités de manière spontanée. Toutefois l’ampleur de la récupération fonctionnelle reste imprévisible. Or, une amélioration plus importante de la motricité a été observée chez les patients sous fluoxétine par rapport à ceux sous placebo. Ce gain était présent à la fois au niveau de la récupération motrice des bras et des jambes. De manière générale, la régression de la paralysie est supérieure chez les patients sous fluoxétine par rapport aux personnes sous placebo. Parallèlement, après trois mois de traitement, le nombre de patients indépendants dans la vie quotidienne (marche, toilette, gestes courants, déplacements…) était plus important sous fluoxétine que sous placebo. »
Globalement, le traitement a été bien toléré et les effets secondaires limités. Des troubles digestifs transitoires ont été observés plus fréquemment sous fluoxétine mais la survenue d’une dépression nerveuse s’est avérée plus fréquente sous placebo suggérant que la fluoxétine peut aussi prévenir les syndromes dépressifs post-AVC. «L’effet positif du médicament sur la récupération de la motricité de ces patients suggère que l’action de la fluoxétine, sur la plasticité des neurones et non pas sur les vaisseaux, constitue une nouvelle voie thérapeutique au moment de la phase aiguë des accidents vasculaires cérébraux, résument François Chollet et les auteurs de cette étude. La fluoxétine est un médicament relativement bien toléré, dans le domaine public et dont le coût est raisonnable.» Selon eux, des développements sont à prévoir dans un futur proche. Il conviendra notamment d’évaluer l’effet à plus long terme, la durée de prescription optimale, l’effet sur les fonctions neurologiques autres que la motricité, l’opportunité de traiter les accidents vasculaires hémorragiques notamment. Viendra ensuite, à court ou à moyen terme, la question de l’évolution de l’autorisation de mise sur le marché dans cette nouvelle indication.