Ronchon, jamais totalement satisfaite, elle défie le tarif en me demandant des conseils pour Barry le Westie à la santé délicate. Comme son nom l’indique c’est un petit tonneau pourri de suppléments alimentaires : «J’aimerais savoir si le vétérinaire a raison», – «mais je ne suis pas vétérinaire...», – «je sais, mais vous aimez les bêtes».
Elle défiera bientôt les règles de la bureaucratie, quand il faudra l’hospitaliser avec une étiquette pour ses symptômes étranges. La dernière fois j’ai évoqué un ictus transitoire ; mais était-ce suffisant de bafouiller durant une demi-heure le matin au réveil avant de trouver le téléphone pour demander une visite urgente ? J’accours : elle gît sur le lit matrimonial, privé du conjoint décédé il y a quelques années, dont Barry a pris la place. Pas de latéralisation et pas de trouble du rythme. Etat rassurant. J’avoue que j’allai les jours suivants jusqu’au doppler carotidien, au Holter et au cardiologue avec ses microbulles. Après tout, elle est hypertendue, mal observante et mange souvent la fondue, sans parler de son histoire familiale d’artères encombrées. Rien. A posteriori le regard noir du préposé aux courbes de Gauss me poursuit dans mon sommeil : j’ai dépensé l’argent de la communauté pour une Simone qui va bien. Lui prescrirai-je tout de même de l’aspirine ?
Avant que je ne puisse soupeser le pour et le contre, elle me téléphone. «J’ai compris, ce qui s’est passé, mais j’aimerais en parler en tête à tête» – j’organise une visite pour le samedi suivant : elle ne vient plus au cabinet depuis que le canal étroit l’a frappée. Elle me reçoit cette fois dans son salon, l’occiput sur une broderie en point de croix, sous une photo de la chapelle de Tell. Barry arbore un magnifique collier Heimatwerk avec des edelweiss. Un coucou fait tic tac et chante les quarts d’heure. Sur le guéridon, ses bulletins de vote pour ou contre les minarets et je crois apercevoir qu’elle a coché la case pain et fromage. «Que se passe-t-il ?» – «Je sais ce qui se passe, on m’a fait quelque chose» – «comment ça ?» – «c’est du vaudou» – «qu’est-ce qui vous fait penser cela ?» – «comme je me sentais toujours mal, j’ai téléphoné à une dame dans le canton de Fribourg, qui m’a dit que c’était ça» – «du vaudou en pays de Vaud ?» – «c’est la première femme de mon mari qui nous fait ça, c’est cette dame qui me l’a dit» – «mais enfin du vaudou, on n’est pas en Afrique ici…» – «avec tous ces Africains qui traînent par là, elle est allée en voir un qui a fait ça» – «mais, Madame Simone, vous savez bien que je suis généraliste, je ne crois pas à ces choses. Moi je trouve que c’est terrible de penser que l’ex-femme de votre mari vous veut tant de mal : il y a de quoi s’en rendre malade…» – «mais la dame a déjà fait quelque chose qui me soulage. Elle aimerait que vous lui disiez mon diagnostic pour pouvoir continuer…» – «vous pouvez lui dire que ce sont probablement des petits troubles circulatoires mais qu’on n’a rien trouvé de grave. Vous savez bien qu’avec vos médicaments pour la pression vous ne devez pas vous lever trop brusquement» – «mais alors qu’est-ce que je lui dis ?» – «une petite chute de tension…» – «c’est tout ?» – «c’est tout».
Je repartis en songeant que les sorciers vont nous demander des diagnostics, comme les assureurs, ces marabouts du néolibéralisme exigent déjà des DRG. Il n’y a plus guère aujourd’hui que les médecins qui se méfient des étiquettes.