La néphropathie diabétique est la première cause d’insuffisance rénale terminale. L’expansion démographique, l’augmentation de l’incidence de diabète de type 2 et l’allongement de l’espérance de vie des sujets diabétiques expliquent l’augmentation importante du nombre de diabétiques dialysés ces vingt dernières années. Aux Etats-Unis, l’amélioration de la prise en charge des diabétiques a cependant permis de diminuer depuis quinze ans l’incidence d’insuffisance rénale terminale dans la population diabétique. Nous avons étudié l’évolution de la prévalence des diabétiques dialysés dans le canton de Vaud entre 2001 et 2009. Dans la population dialysée, elle a augmenté de 18% à 31% et dans la population diabétique, elle a augmenté de 1,1/1000 à 1,9/1000 en huit ans. Ces chiffres indiquent clairement que la prise en charge des sujets diabétiques avec insuffisance rénale pourrait être améliorée.
La néphropathie diabétique est largement en tête des causes d’insuffisance rénale terminale (figure 1). Les données épidémiologiques de nombreux pays montrent une augmentation très importante du nombre de diabétiques dialysés.1 L’accroissement de la population et de l’incidence du diabète, ainsi que la prolongation de l’espérance de vie expliquent en grande partie ces données. Alors que la population dialysée est relativement âgée en Suisse, on constate aux Etats-Unis une augmentation très inquiétante du nombre de diabétiques dialysés chez les 30-39 ans de certains groupes ethniques vulnérables (Noirs Américains, Amérindiens), démontrant déjà des effets dévastateurs de l’épidémie de l’obésité et du diabète chez les jeunes. Les données montrent en effet que le jeune âge ne protège pas les diabétiques de type 2 du risque de néphropathie diabétique.2
L’histoire naturelle de la néphropathie diabétique est complexe et influencée par de multiples facteurs métaboliques, hémodynamiques, inflammatoires et génétiques. Environ 30% des personnes diabétiques sont à risque de néphropathie diabétique, qui se caractérise le plus souvent par l’apparition d’une microalbuminurie, qui évolue vers une protéinurie et un déclin progressif de la fonction rénale (figure 2). Dans 30% des cas, un déclin de la fonction rénale est observé en l’absence de protéinurie, en particulier chez les personnes sous traitement bloqueur du système rénine-angiotensine.3 Pour cette raison, une évaluation tant de la protéinurie que de la filtration glomérulaire est recommandée afin de bien identifier les trajectoires individuelles de la fonction rénale des sujets diabétiques (tableau 1). Pour une filtration glomérulaire donnée, la sévérité de l’atteinte rénale et le risque de complications cardiovasculaires sont aggravés par le degré de protéinurie.
La créatinine plasmatique n’est pas toujours un indicateur fiable pour le dépistage de l’atteinte rénale. Différentes formules sont à disposition permettant de calculer la filtration glomérulaire estimée (eGFR) en fonction de la créatinine plasmatique comme la formule MDRD (Modification of the Diet in Renal Disease) ou la formule de Cockroft-Gault. Ces formules sont bien adaptées pour le dépistage et le suivi annuel des patients. La formule du MDRD en particulier est utilisée par les différents laboratoires car elle permet une évaluation de la filtration glomérulaire automatique sans nécessité de connaître le poids du patient. Cette formule, comme celle de Cockroft-Gault, n’est cependant pas précise pour des filtrations glomérulaires de plus de 60 ml/min/1,73 m2. Des études sont actuellement en cours cherchant de meilleurs indicateurs du déclin précoce de la fonction rénale. Le calcul de l’eGFR basé sur la cystatine semble être un meilleur indicateur de la filtration glomérulaire pour des valeurs de plus de 60 ml/min/1,73 m2. L’attention sera avant tout portée sur les patients présentant un déclin rapide de la filtration glomérulaire (> 3,3%/année ou > 5 ml/min/1,73 m2/année).
Le contrôle glycémique est l’intervention thérapeutique la plus efficace dans le stade précoce de la néphropathie diabétique. Le traitement antihypertenseur, en particulier les bloqueurs du système rénine-angiotensine, permet de ralentir la progression de l’insuffisance rénale dès l’apparition d’une hypertension artérielle ou d’une microalbuminurie.4 Par contre, les données récentes ne montrent pas de bénéfice d’un blocage du système rénine-angiotensine à un stade précoce, avant l’apparition d’une microalbuminurie ou d’une hypertension artérielle.5 Une prise en charge optimale des différents facteurs de risque est une priorité comme le risque de décès des suites d’une maladie cardiovasculaire est supérieur à celui de développer une insuffisance rénale terminale à tous les stades de la néphropathie diabétique.6 Avec la diminution de la fonction rénale, des troubles phosphocalciques et une anémie apparaissent.7 L’insulinorésistance s’aggrave avec l’état urémique, contribuant au développement d’un état de dénutrition avec une perte de masse maigre. Le diabétique dialysé a le moins bon pronostic de survie de tous les patients dialysés avec une mortalité à cinq ans proche de 70%.1
Sur le plan épidémiologique, l’incidence d’insuffisance rénale terminale est d’environ 2-3/1000 patients diabétiques aux Etats-Unis.8 Sur la base des registres américains, l’incidence d’insuffisance rénale terminale dans la population diabétique a diminué à partir de 1996 probablement grâce à un meilleur contrôle tensionnel avec l’introduction plus systématique de bloqueurs du système rénine-angiotensine faisant suite aux études pionnières de Lewis décrivant l’effet bénéfique du captopril sur la progression de la néphropathie diabétique chez les diabétiques de type 1.9 Aussi, suite aux résultats des études DCCT chez les diabétiques de type 1 et UKPDS chez les diabétiques de type 2, un effort particulier sera entrepris dans les années 90 pour améliorer le contrôle glycémique et par conséquent diminuer le risque de microalbuminurie ou de progression de la microalbuminurie à la macroalbuminurie. Aux Etats-Unis, la tendance à une diminution de l’incidence de l’insuffisance rénale terminale persiste depuis 1996 pour atteindre en 2007 une incidence de 2/1000. Ainsi, l’augmentation du nombre absolu des diabétiques dialysés est avant tout liée à l’augmentation de la population diabétique et à une plus grande survie cardiovasculaire de cette population qui atteint un âge plus avancé.
Dans la population dialysée, les personnes arrivant en dialyse en raison du diabète sont 54% aux Etats-Unis et en Malaisie en 2007, plus de 40% au Japon, Taïwan, Israël, Hong Kong et Nouvelle-Zélande. En revanche, dans de nombreux pays européens, tels que la Roumanie, la Norvège, l’Ecosse, les Pays-Bas et le Royaume Uni, ce taux est inférieur à 20%. A l’heure actuelle, aucune donnée récente n’est disponible en Suisse. Devant la grande variabilité des données selon les pays, nous nous sommes intéressés à la situation des diabétiques dialysés dans le canton de Vaud. Ces données ont été mises en perspective par rapport à des données suisses de 2001 publiés par Sandoz et coll. en 2004.10
Nous avons répertorié sept centres de dialyse dans le canton de Vaud, à savoir les centres du CHUV et de Cecil à Lausanne, de Nyon, d’Yverdon, de Payerne, de Château-d’Oex et de Vevey. En collaboration avec les médecins et le personnel soignant en charge dans ces centres, nous avons établi la liste des dialysés diabétiques du canton de Vaud au 31 décembre 2009. Pour être éligible, nos patients devaient avoir une insuffisance rénale terminale, être suivis régulièrement dans un des centres soit par dialyse conventionnelle, soit par dialyse péritonéale et avoir eu un diagnostic de diabète. Nous avons laissé la responsabilité d’identification des cas et du type de diabète aux néphrologues des divers centres de dialyse. Le type de diabète, sa prise en charge ou encore son moment de survenue (avant ou pendant la dialyse) n’ont pas été des critères d’exclusion. Les patients ayant un diagnostic d’intolérance au glucose (impaired glucose tolerance, IGT) ou d’hyperglycémie à jeun modérée (impaired fasting glucose, IFG) n’ont pas été inclus dans l’analyse.
Au total, 101 dialysés diabétiques ont été répertoriés dans le canton avec un sex-ratio homme/femme de 2,15 et un rapport entre les diabétiques de types 2 et 1 de 7,3 (tableau 2). L’âge moyen était de 69,6 ± 10,6 ans et l’IMC moyen de 27,2 ± 4,3 kg/m2. Parmi les 76% de patients sous insuline, la dose journalière moyenne était de 0,53 ± 0,17 U/kg/j et de 0,41 ± 0,29 U/kg/j chez les diabétiques de types 1 et 2 respectivement. L’HbA1c moyenne était de 6,93 ± 1,82%. La durée moyenne du diabète était de 19,7 ± 10,8 ans et le délai moyen entre le diagnostic du diabète et l’entrée en dialyse de 16,2 ± 11,4 ans. La durée moyenne de dialyse était de 3,17 ± 3,56 ans. L’insuffisance rénale terminale avait une origine clairement autre que diabétique dans seulement 18% des cas. Cinquante-quatre pour cent des patients ont développé au moins une complication macrovasculaire du diabète et 64% avaient une rétinopathie diabétique probable, 20% avaient subi une amputation et 19% présentaient des plaies chroniques aux membres inférieurs. La tension artérielle moyenne était de 146/70 mmHg et 136/68 mmHg en pré et post-dialyse respectivement et 82% des patients avaient un traitement antihypertenseur. L’hémoglobine moyenne était de 117,9 ± 11,0 g/l, 57% recevaient du fer et un analogue de l’érythropoïétine et 60% étaient sous un traitement de statines. Presque la totalité avait un traitement chélateur du phosphate, et un peu plus d’un tiers un traitement de vitamine D. Les patients avec un diabète de type 1 étaient plus jeunes, moins lourds, avaient une HbA1c plus élevée et un délai entre la pose du diagnostic de diabète et l’entrée en dialyse plus long que les patients avec un diabète de type 2.
Au 31 décembre 2009, la prévalence des diabétiques parmi les dialysés s’élevait à 35,6%. En comparaison avec une étude effectuée par Sandoz et coll. en 2001,10 le nombre de dialysés a augmenté de 58% dans le canton de Vaud en huit ans et celui des dialysés diabétiques de type 2 de 167% (tableau 3).
Sur la base des données à disposition concernant la prévalence du diabète dans la population vaudoise (tirées des sondages sur des échantillons de la population suisse en 2002 et des résultats de l’étude Colaus), on peut grossièrement évaluer une prévalence du diabète de 4,8% en 2001 et de 7% en 2009. Ceci nous permet de calculer une augmentation de la prévalence des personnes diabétiques dialysées dans la population diabétique de 1,1/1000 à 1,9/1000 en huit ans. Bien que ces données résultent d’une estimation, ce sont de forts indicateurs que la prévalence des diabétiques dialysés dans la population diabétique augmente entre 2001 et 2009.
Nous assistons à une forte augmentation des diabétiques dialysés dans le canton de Vaud. Cette complication reste toutefois rare comme elle ne touche que 1,9/1000 personnes diabétiques. Cependant, il s’agit d’une complication redoutée en raison des coûts très importants engendrés par le traitement de la dialyse, et par l’effet très négatif sur la qualité de vie des personnes atteintes et leur mauvais pronostic. La prise en charge des personnes diabétiques en insuffisance rénale est un exemple où une approche multidisciplinaire pourrait être particulièrement bénéfique pour ralentir le déclin de la fonction rénale et éviter la dialyse. L’identification plus systématique des personnes diabétiques en insuffisance rénale dès le stade 3 pourrait permettre d’instaurer une prise en charge multidisciplinaire avec une collaboration étroite entre médecins de premier recours, diabétologues, néphrologues, infirmières cliniciennes, diététiciennes, podologues et pharmaciens pour améliorer le pronostic et l’adhérence thérapeutique. L’adoption d’une enveloppe budgétaire pourrait cependant prétériter la prise en charge optimale de ces cas complexes et chers. L’offre d’une prise en charge efficace et pluridisciplinaire soutenue dans les réseaux de soins est une solution attractive qui a déjà montré des résultats bénéfiques.11-13
> Le nombre de diabétiques dialysés augmente de façon importante
> L’intégration de la protéinurie et de l’estimation de la filtration glomérulaire est recommandée pour le suivi de la fonction rénale chez le sujet diabétique
> Le traitement implique un bon contrôle métabolique, tensionnel et un traitement précoce et optimal des facteurs de risque cardiovasculaire
> Une approche multidisciplinaire dès l’insuffisance rénale de stade 3 permettrait de ralentir le déclin de la fonction rénale et d’améliorer le pronostic des sujets diabétiques
Diabetic nephropathy is the first cause of end-stage renal disease. The demographic expansion, the increase in the incidence of diabetes and the prolonged survival rates explain the steep increase observed these last 30 years. In the United States, improved treatment has brought to a decline in the incidence of end-stage renal disease in the diabetic population since the mid nineties. We examined the change in prevalence of diabetics on dialysis from 2001 and 2009 in the Canton de Vaud, Switzerland. The prevalence of diabetics on dialysis increased from 18% to 31% in dialysis centers and increased from 1.1/1000 to 1.9/1000 in the diabetic population. These are strong indicators that efforts are needed to improve the renal outcome of patients with diabetic nephropathy.