L’utilisation de techniques d’imagerie avec produit de contraste iodé ou gadolinium est depuis quelques années évitée chez les patients présentant une insuffisance rénale chronique en raison du risque de néphropathie toxique et de fibrose néphrogénique systémique. Des alternatives souvent moins connues existent. Cette revue fait le point sur quelques techniques récentes qui peuvent aider à obtenir une information morphologique ou fonctionnelle rénale sans risque d’aggravation de la fonction rénale. Les principes de base, les indications, les avantages et les inconvénients de l’ultrason-doppler, de l’échographie de contraste, et du «BOLD-IRM» (Blood oxygenation level dependent-IRM) sont discutés.
De nombreuses explorations radiologiques sont actuellement disponibles pour obtenir des informations pertinentes sur la morphologie du système uro-génital et sur la fonction rénale. Malheureusement, certaines de ces techniques sont contre-indiquées chez les patients souffrant d’insuffisance rénale chronique (IRC), ce qui peut compliquer la démarche diagnostique. Une abondante littérature a évoqué dernièrement les risques de fibrose systémique néphrogénique liés à l’injection de gadolinium lors d’imagerie par résonance magnétique (IRM) en particulier chez les patients présentant une réduction de leur fonction rénale.1 La toxicité rénale secondaire à l’injection de produit de contraste iodé chez les patients insuffisants rénaux est également bien connue.2 Au cours des dernières années, de nouvelles techniques d’imagerie se sont donc développées afin d’obtenir un phénotype rénal tout en réduisant le risque d’effets secondaires pour les patients.
Dans cette revue, nous aborderons surtout les développements dans le domaine de l’échographie et de la résonance magnétique. La scintigraphie rénale, bien que souvent utilisée, ne sera pas discutée.
L’ultrason (US) en «mode B» est depuis longtemps l’examen de choix pour évaluer rapidement, avec des images en échelle de gris, la morphologie rénale. Le doppler permettant la visualisation des structures vasculaires intra et extrarénales est arrivé plus récemment, dans les années septante. On ne peut donc pas vraiment parler ici de «nouvelle» technologie. Cependant, l’index de résistance (IR), mesuré principalement dans les artères segmentaires lors de l’US-doppler, est devenu un outil intéressant pour le diagnostic et le pronostic rénal.
L’index de résistance est obtenu par la formule mathématique suivante (figure 1) :
RMS_idPAS_D_ISBN_pu2011-08s_sa07_art07_img001.jpgA : Vitesse maximale du flux (VmaxA) ; B : vitesse minimale (VedA) ; RI A : Index de résistance (ici : 0,72).
Cet index de résistance représente la résistance rencontrée par le sang lors du passage dans le rein. L’IR augmente lors d’une vasoconstriction intrarénale, mais également lors d’une augmentation de la pression intrarénale secondaire à une néphropathie obstructive.3 La valeur normale de l’IR d’une artère intrarénale oscille entre 0,56 et 0,7 mais va dépendre de nombreux facteurs (tableau 1). En général, l’IR augmente avec l’âge, surtout chez des sujets hypertendus. L’IR est également corrélé aux marqueurs de la rigidité vasculaire comme l’épaisseur de la paroi de l’artère carotidienne et la vélocité de l’onde de pouls.4 En présence d’une néphropathie chronique diabétique et/ou ischémique, l’IR est élevé. L’administration d’un inhibiteur du système angiotensine (IEC) est par contre capable de diminuer l’IR, et la ciclosporine, un inhibiteur de la calcineurine, augmente l’IR.5,6
En clinique, l’IR intrarénal est surtout utilisé comme critère «indirect» d’une sténose de l’artère rénale (SAR). En effet, une différence entre les deux reins de plus que 0,05 parle en faveur d’une SAR du côté de l’IR le plus bas. En utilisant cette méthode, la sensibilité est de 77-100% et la spécificité de 94-99% pour la détection d’une SAR à ≥ 70%.7 En outre, un IR ≥ 0,8 du côté de la sténose est associé à une réduction du succès lors d’une angioplastie rénale.8
En résumé, l’IR est un outil intéressant dans la stratégie diagnostique d’une hypertension rénovasculaire, car il permet d’évaluer la perfusion rénale et d’étudier les effets hémodynamiques de certains médicaments de façon non invasive. Les inconvénients de ce procédé sont la courbe d’apprentissage de l’opérateur (examen opérateur-dépendant), des doutes concernant sa reproductibilité, et un certain manque de standardisation. En outre, la technique est limitée chez les patients très obèses et ne permet pas d’investiguer adéquatement les artères rénales accessoires qui sont assez fréquentes.
L’échographie avec agent de contraste repose sur l’utilisation de microbulles (composées de gaz stabilisé par une enveloppe de lipides ou d’albumine) injectées dans une veine périphérique. Ces microbulles de la taille de globules rouges demeurent exclusivement dans l’espace vasculaire. Ainsi, elles permettent d’obtenir des images détaillées de la circulation tissulaire. Après une injection en bolus, il existe une première phase de rehaussement cortical, suivi par une prise de contraste médullaire, allant de la médulla externe vers la médulla interne. La durée du rehaussement rénal est d’environ 180 secondes, mais dépend de plusieurs paramètres : le type de microbulles, l’état vasculaire, l’âge, le débit sanguin rénal et la sensibilité de la séquence d’imagerie pour la détection des microbulles. Les microbulles sont inertes et éliminées par voie pulmonaire. Elles ne sont pas néphrotoxiques et ne présentent pas d’effets secondaires majeurs hormis d’éventuels maux de tête ou (rarement) des réactions anaphylactiques.
Les indications de l’ECUS (échographie de contraste ultrasonore), recommandées par l’European Federation of Society for Ultrasound in Medecine and Biology, en pathologie rénale sont la caractérisation des masses (non) cystiques, la détection de thrombose des veines rénales, la suspicion d’infarctus rénal et/ou de nécrose corticale, et l’identification d’un traumatisme rénal.9 Son utilisation est conseillée chez les patients présentant une contre-indication à l’utilisation de produit de contraste iodé ou de sels de gadolinium. La valeur diagnostique de l’ECUS pour la détection d’une sténose de l’artère rénale pourrait être supérieure à l’US-doppler standard, surtout chez des patients obèses, même si les résultats restent inférieurs à ceux de l’angio-CT et de l’angio-IRM.10,11 Bien qu’encore au stade de recherche, l’ECUS permet d’estimer la perfusion rénale dans différentes zones d’intérêt (figure 2).
Les microbulles renforcent le contraste entre le cortex, la médulla et le bassinet du rein. Les zones d’intérêt sont définies par des cercles en différentes couleurs (voir texte).
Finalement, les microbulles sont détruites sous un faisceau à haute fréquence ultrasonographique. Ceci permet non seulement de renforcer l’échogénicité des microbulles, mais pourrait également servir à délivrer des substances thérapeutiques incorporées dans des microbulles, en appliquant l’insonification à un organe cible. Une équipe de chercheurs canadiens a ainsi réussi à transporter dans des microbulles spécifiques des plasmides codant pour le VEGF-165 (vascular endothelial growth factor-165) afin de traiter des rats présentant une ischémie artérielle périphérique. Les plasmides libérés sur place ont permis une amélioration significative de la perfusion microvasculaire du membre ischémique.12 Bien que prometteuse, cette dernière application de l’ECUS n’est pas encore intégrée dans la pratique quotidienne.
La plupart des méthodes utilisées pour déterminer l’hypoxie rénale ne sont pas applicables chez l’homme, car trop invasives (par exemple : méthodes de microélectrodes avec capteur de pO2, ou d’immunomarquage sur biopsie rénale). Pourtant, dans les modèles animaux, la survenue d’une hypoxie tissulaire rénale est capable d’induire des lésions rénales aiguës mais aussi chroniques en favorisant le développement de fibrose rénale. L’hypoxie rénale semble également jouer un rôle important dans le développement et la progression de l’insuffisance rénale aiguë, l’IRC et la SAR chez l’homme.13
Le BOLD-IRM (Blood oxygenation level-dependent-IRM) est une nouvelle modalité d’imagerie par résonance magnétique permettant de mesurer l’oxygénation rénale de façon non invasive, en utilisant la désoxyhémoglobine (désoxy-Hb) comme «produit de contraste endogène».14,15
La désoxy-Hb contient un atome de fer ferreux (Fe2+) libre dans la molécule d’hème. Par opposition à l’oxyhémoglobine, elle peut ainsi induire des perturbations dans le champ magnétique, mesurable avec des séquences spécifiques pondérées en T2*. La valeur R2* (= 1/T2*, unité : 1/sec) est inversement proportionnelle à la concentration tissulaire en désoxy-Hb. Afin de calculer les valeurs de R2* dans différentes régions du rein, des régions intérêts (ROI’s) sont tracées manuellement sur une image obtenue lors des mesures (figure 3). Ensuite, plusieurs ROI sont choisies aux niveaux cortical et médullaire. La moyenne corticale et médullaire de R2* est ensuite calculée pour les deux reins, et pour chaque rein individuellement. Les valeurs ainsi obtenues sont hautement reproductibles.16
Les zones en jaune correspondent à des zones hypoxiques (R2* ≥ 30 sec-1 ; en général : médullaires) et les zones rouges aux zones relativement plus oxygénées (R2* < 20 sec-1 ; corticales). Les cercles blancs représentent les ROI’s (voir texte).
Aucun produit de contraste n’étant nécessaire, cette méthode peut être pratiquée chez tous les patients insuffisants rénaux, indépendamment de leur filtration glomérulaire. Les mesures peuvent être répétées plusieurs fois chez la même personne, sans risque supplémentaire. Cette technique est donc idéale pour étudier l’influence de certains médicaments sur l’oxygénation rénale. Comme il s’agit d’une séquence spéciale d’IRM, un programme supplémentaire doit être installé sur l’appareil, ce qui est faisable sur la plupart des types et marques d’IRM.
Les inconvénients de cette technique sont principalement ceux liés à l’IRM : accès limité, coûts et durée de l’examen, contre-indication chez les patients claustrophobes ou porteurs d’éléments métalliques. Les images doivent enfin être effectuées en apnée : pour chaque série d’images, le patient doit pouvoir bloquer sa respiration entre 12 à 17 secondes, et ceci à plusieurs reprises pendant l’examen.
Une baisse de l’oxygénation rénale médullaire a été démontrée avec le BOLD-IRM vingt minutes après l’injection d’un produit de contraste iodé chez des volontaires sains, et pourrait expliquer le développement de la néphropathie de contraste.17 Inversement, une augmentation de l’oxygénation rénale médullaire a été observée après injection du furosémide et après hydratation orale. L’augmentation de l’oxygénation médullaire est ici probablement liée au blocage par le furosémide de la réabsorption tubulaire du sodium qui est un processus actif oxygéno-dépendent.18,19
Non seulement les médicaments, mais également les apports sodés peuvent modifier l’oxygénation rénale. Un régime riche en sel diminue l’oxygénation médullaire par rapport à un régime pauvre en sel, chez des sujets normotendus et hypertendus.20
Il est difficile de prédire quels patients souffrant d’une sténose de l’artère rénale (SAR) vont bénéficier d’une angioplastie. Une équipe de la Mayo Clinique a étudié ce problème en effectuant des examens par BOLD-IRM, chez des sujets hypertendus avec SAR, avant et après l’injection de furosémide. Une scintigraphie rénale, une angio-IRM et une angiographie classique étaient également pratiquées. Ils ont ainsi pu démontrer que les reins de taille conservée avec sténose présentaient une diminution de l’oxygénation par rapport aux reins non sténosés. Les reins atrophiques (≤ 7 cm) et/ou avec une perfusion pathologique à l’angio-IRM ou angiographie avaient par contre une augmentation de l’oxygénation par rapport aux reins normaux.21 En plus, les reins atrophiques et mal perfusés ne présentaient pas de changement d’oxygénation médullaire après l’injection de furosémide, contrairement aux reins sténosés viables et aux reins normaux, dont l’oxygénation augmentait. L’injection de furosémide permet ainsi de tester l’activité métabolique et la «viabilité» des reins dont l’artère est sténosée. Bien qu’il existe des données préliminaires dans ce sens, il reste encore à établir si ce test peut prédire quel rein sténosé bénéficiera d’une angioplastie.
Les techniques radiologiques présentées offrent une alternative intéressante pour les patients insuffisants rénaux chez lesquels une imagerie est nécessaire. L’ECUS permet d’obtenir des informations morphologiques sur les reins. L’US-doppler et le BOLD-IRM donnent des informations plutôt fonctionnelles : l’index de résistance renseigne sur l’état vasculaire et le BOLD-IRM sur l’état tissulaire. Le temps, l’expérience et les études permettront de mieux établir la place et les indications de ces différents examens dans la gamme des examens radiologiques à disposition du médecin.
> Les complications liées à l’injection de produit de contraste iodé ou de gadolinium compliquent la prise en charge des patients avec insuffisance rénale chronique
> L’échographie permet d’obtenir de manière simple, rapide et non invasive une information sur la morphologie rénale. La mesure des index de résistance rénaux est un outil précieux pour la détection de sténose des artères rénales mais apparaît aussi comme outil pronostique et diagnostique dans d’autres domaines
> L’échographie avec injection de microbulles donne une information supplémentaire sur la vascularisation et la perfusion rénale sans effet secondaire majeur
> Le BOLD-IRM permet de connaître l’oxygénation rénale et peut servir à estimer l’influence d’un traitement sur l’oxygénation rénale
L’utilisation de techniques d’imagerie avec produit de contraste iodé ou gadolinium est depuis quelques années évitée chez les patients présentant une insuffisance rénale chronique en raison du risque de néphropathie toxique et de fibrose néphrogénique systémique. Des alternatives souvent moins connues existent. Cette revue fait le point sur quelques techniques récentes qui peuvent aider à obtenir une information morphologique ou fonctionnelle rénale sans risque d’aggravation de la fonction rénale. Les principes de base, les indications, les avantages et les inconvénients de l’ultrason-doppler, de l’échographie de contraste, et du «BOLD-IRM» (Blood oxygenation level dependent-IRM) sont discutés.