L’infliximab est utilisé depuis dix ans pour le traitement des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin dans le Service de gastroentérologie et d’hépatologie des Hôpitaux universitaires de Genève. Cette étude rétrospective présente le suivi de ces patients traités avec l’infliximab et met en évidence une fréquence élevée d’effets secondaires cutanés qui, bien que bénins dans la plupart des cas, peuvent entraîner une intolérance définitive au traitement.
L’infliximab (IFX), un anticorps monoclonal chimérique dirigé contre le TNFα (tumor necrosis factor alpha, facteur de nécrose tumorale α), est utilisé depuis la fin des années 90 pour le traitement de la maladie de Crohn (MC)1 et depuis 2005 pour le traitement de la rectocolite hémorragique (RCH).2 Il est reconnu dans le traitement d’attaque et d’entretien de ces deux maladies lorsqu’elles sont réfractaires au traitement conventionnel. Pour de nombreux patients souffrant de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), l’IFX a un impact important sur la qualité de vie, permet de réduire le nombre d’hospitalisations et diminue la prise de corticostéroïdes et donc les effets secondaires liés à ces médicaments.
Cependant, l’usage de l’IFX est associé à certains inconvénients. D’une part, un échappement partiel ou complet après un succès initial est fréquemment observé. D’autre part, l’IFX présente un risque non négligeable d’effets secondaires comme les réactions aiguës, les réactions retardées à type de maladie sérique, les infections opportunistes, les cancers, en particulier les lymphomes, les maladies auto-immunes, les sténoses digestives, les maladies démyélinisantes et les complications cardiovasculaires.
D’autres effets secondaires semblent encore plus fréquents mais sont plus rarement rapportés dans les grandes séries3 ou les revues :4 il s’agit des lésions cutanées.
Nous avons décidé d’évaluer la tolérance, en particulier cutanée, de l’IFX qui est utilisé depuis dix ans pour le traitement des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin dans le Service de gastroentérologie et d’hépatologie des Hôpitaux universitaires de Genève.
Nous avons conduit une étude rétrospective, incluant tous les patients avec une MICI ayant reçu, dans le Service de gastroentérologie et d’hépatologie des Hôpitaux universitaires de Genève, de l’IFX pour les manifestations intestinales de leur maladie entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2008.
La dose standard d’IFX était de 5 mg/kg, dont l’injection se déroulait sur une période de deux heures. Une augmentation de la dose d’IFX à 10 mg/kg avait lieu lors d’une diminution d’efficacité. Le raccourcissement de l’intervalle entre deux injections était proposé lors d’une diminution de la durée de la réponse. Jusqu’en 2002, la majorité des patients a reçu un traitement épisodique. A partir de 2003, la majorité a reçu un traitement d’induction (comprenant trois injections aux semaines 0, 2 et 6) suivi, en cas de réponse clinique, d’un traitement d’entretien régulier toutes les huit semaines.1
Les patients qui ne recevaient pas de traitement immunosuppresseur concomitant ont reçu, dès 2003, une prémédication d’hydrocortisone avant chaque injection d’IFX.5
Un échappement partiel a été défini comme étant une diminution de l’effet ou de la durée du traitement et l’échappement complet comme une disparition de cet effet. L’efficacité du traitement a été évaluée selon les critères suivants : diminution significative des douleurs abdominales, des diarrhées, fermeture des fistules et diminution ou arrêt des corticoïdes en cas de traitement concomitant. Toutes les affections survenant pendant le traitement d’IFX ont été recensées et elles ont toutes été répertoriées comme étant un effet secondaire potentiel de ce traitement.
Soixante-deux patients ont été traités avec de l’IFX entre janvier 1999 et décembre 2008 et inclus dans cette étude. Leurs caractéristiques sont détaillées dans le tableau 1. Le nombre annuel d’injections est illustré dans la figure 1. La durée du traitement avec l’IFX était en moyenne de quinze mois avec une médiane à six mois et un maximum de cinq ans et huit mois. Le nombre moyen d’injections par patient était de 7,6 avec un maximum de 41.
Le traitement d’IFX a été initialement efficace chez 44 (71%) patients. Un traitement d’entretien a été entrepris chez 33 patients (53% du total des patients, 75% des patients avec une réponse primaire). Parmi ceux-ci, le traitement a été interrompu dans quinze cas, après un délai médian de six mois, en raison de la survenue soit d’un effet secondaire (40% des cas), soit d’une rémission (20% des cas), soit d’un échappement complet (13% des cas), soit pour une autre raison.
Il y a eu 31 effets secondaires qui sont survenus chez 24 (39%) patients (tableau 2). Chez onze (18%) patients, les effets secondaires ont entraîné l’arrêt du traitement. Il s’agissait de trois maladies sériques, de deux réactions aiguës, de trois lésions cutanées (eczéma nummulaire, psoriasis pustuleux et vasculite), de deux sténoses digestives (qui ont dû être opérées) et d’un lupus érythémateux systémique sans atteinte cutanée.
Les troubles neurologiques (hypoesthésies et paresthésies localisées) étaient spontanément régressifs et n’ont pas nécessité l’arrêt du traitement. Deux cancers ont été observés : un carcinome papillaire de la thyroïde et un lymphome, découverts respectivement vingt et cinq mois après le début des injections d’IFX. Dans le premier cas, les injections d’IFX ont repris après thyroïdectomie et radiothérapie. Dans le second, l’IFX avait été stoppé en raison de son inefficacité trois mois avant la découverte du lymphome.
Les lésions cutanées, qui sont au nombre de treize, sont illustrées dans le tableau 3. Elles représentent dans notre étude un pourcentage élevé des effets secondaires (42%). Deux patients ont présenté chacun deux réactions cutanées. Trois réactions cutanées ont entraîné l’arrêt du traitement. Il s’agissait d’un eczéma nummulaire (IFX stoppé à la demande du patient), d’un psoriasis pustuleux et d’une vasculite leucocytoclasique.
Les lésions cutanées peuvent être subdivisées en trois catégories : les infections opportunistes, les maladies inflammatoires chroniques (psoriasis et eczéma) et les lésions diverses. Cinq cas d’infections cutanées opportunistes ont été observés chez quatre patients. Il y a eu trois cas de pyodermite superficielle à Staphylococcus aureus (sous forme de folliculites multiples, d’abcès et d’impétigo), un zona thoracique et une dermatophytose plantaire. L’évolution de ces lésions a été favorable sous un traitement topique.
Deux maladies inflammatoires chroniques cutanées se sont manifestées : un eczéma nummulaire et un psoriasis pustuleux, d’évolution favorable sous traitement de corticoïdes topiques.
Enfin, nous avons constaté des lésions diverses comme une urticaire diffuse spontanément résolutive et quatre xérodermies prurigineuses généralisées pour lesquelles un traitement topique de crème hydratante a été efficace. L’IFX a été poursuivi sans interruption chez ces patients. Un cas de vasculite leucocytoclasique a régressé après arrêt de l’IFX.
Les données présentées ci-dessus démontrent la rapide croissance de l’usage de l’IFX pour le traitement des MICI. Elles sont représentatives de l’usage clinique de cette thérapeutique et suggèrent que les effets indésirables cutanés revêtent une importance qui était préalablement sous-estimée.
Le traitement d’IFX a été initialement efficace chez 44 (71%) patients, taux légèrement inférieur à celui trouvé dans des études cliniques.6,7 Il est frappant de voir que bien souvent, le traitement d’entretien a été interrompu après un délai relativement court (médiane : six mois), ceci en raison le plus souvent d’effets indésirables. Le profil observé de ces derniers est similaire à celui décrit dans des séries de plus grand effectif,1 à la différence des effets secondaires cutanés (observés chez onze patients, 18%). En effet, ceux-ci ont été rapportés dans de nombreux cas isolés, et principalement dans des publications de dermatologie,8,9 mais ce n’est que dans des travaux récents qu’une fréquence significative a été décrite.10
Le caractère rétrospectif et le faible effectif de cette étude en limitent la portée. De plus, il n’a pas été possible de procéder systématiquement à une enquête d’imputabilité, de sorte que la responsabilité unique de l’IFX n’est pas établie dans tous les cas. Le taux élevé d’effets secondaires cutanés potentiellement attribuables à l’IFX présente cependant une certaine vraisemblance étant donné que les différentes lésions constatées ont toutes été précédemment décrites en lien avec lui.
Comme ceux qui ont été observés chez nos patients, les effets indésirables cutanés généralement décrits en association avec l’IFX se subdivisent essentiellement en trois catégories physiopathologiques. La première comprend les infections opportunistes, la seconde les maladies inflammatoires chroniques (psoriasis et eczéma) et la dernière inclut des lésions de type et de gravité très variables.
Le risque infectieux est élevé lors d’un traitement d’IFX. Le TNFα joue en effet un rôle important dans l’immunité. Il est une des premières cytokines produite par les macrophages à la suite d’une stimulation infectieuse et favorise notamment le recrutement des polymorphonucléaires. Les infections cutanées rencontrées sont bactériennes et fongiques, occasionnellement virales, et répondent à un traitement topique. Elles n’imposent pas l’arrêt du traitement d’IFX, et ne récidivent pas ou peu à moyen terme.8
Un autre effet secondaire cutané de l’IFX est l’aggravation d’un psoriasis préexistant ou l’apparition de lésions psoriasiformes et plus particulièrement de psoriasis pustuleux palmo-plantaire de novo. Le mécanisme physiopathologique expliquant cet effet est inconnu et paradoxal étant donné que le TNFα a été identifié comme étant une cytokine importante dans la pathogenèse du psoriasis et que l’IFX est reconnu pour le traitement du psoriasis en plaques modéré à sévère, pour lequel une photothérapie ou des thérapies systémiques établies telles que le méthotrexate se sont avérées inappropriées ou insuffisantes.11 Cet effet secondaire cutané peut nécessiter en cas d’atteinte sévère un arrêt du traitement, les lésions ayant tendance à persister en cas de poursuite de l’IFX. L’utilisation d’un autre anti-TNFα peut mener à la récidive des lésions cutanées.12
L’IFX peut favoriser l’apparition d’une autre maladie inflammatoire chronique de la peau : la dermatite atopique. Le développement de cette maladie s’accompagne dans la phase aiguë d’une réponse lymphocytaire à prédominance de lymphocytes T helper 2 (Th2), qui sécrètent les interleukines 4, 5 et 10. Dans la phase chronique, avec l’infiltration des éosinophiles et des macrophages, il y a un changement dans la stimulation des lymphocytes avec l’activation préférentielle des lymphocytes Th0 en Th1 avec comme conséquence la production d’interleukine 2, d’interféron-γ et de TNFα.13 Ces interleukines stimulent la production d’IgE et l’activation des éosinophiles. Les MICI, quant à elles, sont caractérisées, comme la polyarthrite rhumatoïde, par une réponse Th1 avec sécrétion de TNFα. Ainsi, en inhibant le TNFα, l’IFX favoriserait un déséquilibre entre les lymphocytes Th1 et Th2 en faveur des lymphocytes Th2, ce qui pourrait expliquer l’apparition de lésions eczématiformes aiguës.14 Cependant, comme le TNFα joue un rôle clé dans le développement des lésions chroniques de la dermatite atopique et que des taux élevés de TNFα, aussi bien sériques que tissulaires, sont retrouvés chez ces patients,13 l’IFX pourrait aussi avoir une utilité thérapeutique dans ces atteintes cutanées. Il a de ce fait été utilisé dans une étude clinique, étude qui a montré un certain bénéfice qui tendait à disparaître au cours du temps.13 Il est extrêmement intéressant de constater l’effet paradoxal de l’IFX, qui, comme pour le psoriasis, peut aussi bien favoriser l’apparition d’une dermatite atopique que représenter un traitement efficace de cette même maladie.
En cas d’apparition de lésions eczématiformes peu sévères résolutives avec des corticoïdes topiques, l’IFX, peut être poursuivi.9,11
Au nombre de ces autres dermatoses, celle que nous avons observée le plus souvent était une xérose prurigineuse. Cette atteinte dont l’étiologie n’est pas connue est soulagée par l’application d’une crème hydratante et ne nécessite pas l’arrêt du traitement.
La vasculite leucocytoclasique se présente généralement sous la forme d’un purpura, en général situé sur les membres inférieurs (zones déclives), et pouvant évoluer en vésicules, nodules, ulcérations ou nécroses superficielles et s’accompagner d’un prurit.15 Des formes cliniques mineures existent également. Sur le plan histologique, elle est caractérisée par une nécrose fibrinoïde et un infiltrat inflammatoire à neutrophiles des vaisseaux du derme. Le terme leucocytoclasie désigne la présence de débris de polymorphonucléaires. La physiopathologie de la vasculite cutanée médicamenteuse n’est pas élucidée mais semble impliquer aussi bien l’immunité à médiation cellulaire que l’immunité humorale.16 En cas d’apparition d’une vasculite lors d’un traitement d’IFX, il est indispensable d’arrêter ce médicament, d’effectuer un bilan étiologique et de rechercher une atteinte systémique. En cas de vasculite d’hypersensibilité à l’IFX, l’évolution est généralement spontanément favorable mais parfois un traitement de corticoïdes systémiques est nécessaire en cas de lésions cutanées étendues.15 Cette lésion cutanée signe en principe une intolérance définitive au traitement d’IFX mais ne contre-indique pas l’utilisation d’un autre anti-TNFα.9
En cas d’effets secondaires suffisamment sévères pour nécessiter l’arrêt du traitement ou en cas de perte de réponse, ce sont souvent des médicaments de la même classe qui sont envisagés (adalimumab, certolizumab pegol) et ceux-ci partagent en partie les mêmes effets secondaires par effet de classe.12,17 Cependant il n’existe, pour l’heure, pas d’alternative thérapeutique et les études publiées récemment, montrent que le plus souvent, un autre médicament anti-TNFα est efficace et bien toléré lorsque l’IFX ne l’est plus.18-20
En résumé, les bénéfices indéniables de l’IFX s’accompagnent souvent d’effets secondaires qui sont occasionnellement sévères et fréquemment cutanés. Bien qu’apparemment courants, les effets secondaires cutanés ont été partiellement méconnus, et leur fréquence réelle doit absolument être évaluée dans des études de grande ampleur. Il est essentiel de prévenir les patients de leur survenue potentielle et de leur indiquer que dans la plupart des cas ces lésions sont bénignes et ne nécessitent qu’un traitement topique sans interruption ou avec interruption transitoire du traitement. Dans de rares cas, ils peuvent cependant entraîner une intolérance définitive au traitement.
> L’infliximab a un impact positif important sur la qualité de vie des patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin
> Les effets secondaires de l’infliximab sont fréquents
> Les patients doivent être prévenus de la fréquence élevée de lésions cutanées lors d’un traitement d’infliximab
> Ces lésions cutanées sont dans la plupart des cas bénignes
Le Pr Antoine Hadengue est membre des advisory boards d’Essex, d’Abbott et d’UCB.
Infliximab has been used for 10 years in the treatment of chronic inflammatory bowel diseases in the gastroenterology and hepatology department at the University Hospitals of Geneva. This retrospective study shows the follow-up of these patients treated with infliximab and reveals a high rate of cutaneous adverse events, which, although often mild, can sign a definitive intolerance to treatment.