Nous sommes le 12 novembre 1922. C’est un dimanche, jour de parution en France du célèbre Petit Echo de la Mode (1880-1983). Rédactrice en chef : la baronne de Clessy ; téléphone : Gobelins 13-53 ; prix : 25 centimes pour 24 pages. L’hebdomadaire tire alors à plus de 300 000 exemplaires. La une est illuminée par une mariée pastellisée dont on détaille la robe : « En satin charmeuse ou en crêpe de Chine ; forme kimono à manches courtes ; décolleté en bateau bordé de plis en liseré ; taille longue, serrée par des plis bouillonnés formant ceinture. (...) Voile de tulle, retenu par une couronne de boutons d’oranger. »
Pour le reste, l’hebdomadaire est un miracle d’équilibre typographique et de mise en page comme l’époque avait appris à faire avec marbre, plomb et papier. On y parle, bien évidemment, des femmes et des constantes évolutions de la mode. On propose des patrons, on dessine des mannequins. L’époque change à très grande vitesse. On traite des « nouveaux usages du savoir-vivre » ; aujourd’hui il s’agit du « premier bouquet de fiançailles », coutume qui ne saurait être abolie mais qui nécessite quelques aménagements. On détaille les recettes de ce que pourra être « La semaine de la ménagère », déjeuner et dîner. Demain lundi, par exemple : « fritot de poitrine de mouton-carottes catalanes » ; « soupe aux lentilles-œufs à la milanaise-purée de pois cassés ». Il faudra attendre vendredi pour les « maquereaux à la marseillaise » et la « soupe de santé à l’oignon ».
La santé précisément est, après la mode, la grande affaire du Petit Echo de la Mode. Elle est omniprésente dans les réclames : « Aspirine "Usines du Rhône" »; « Savon dentifrice Gellé en boîte aluminium » ; « Baume Dalet pour oignon du pied » ; « Pâte dentifrice du Bon Secours, produit français ». Il y a aussi « Le Thermogène » qui « guérit en une nuit grippe, toux, points de côté, rhumatismes, lumbago, etc. » ; attention aux contrefaçons : « l’image du "Pierrot crachant le feu" doit se trouver au dos de chaque boîte ». On n’oubliera pas le « Rénovateur de l’abbé Le Gros » (curé de Saint-Aubin-le-Cauf, Seine-Inférieure) efficace pour l’essentiel sur la constipation mais aussi contre les maladies du foie, de l’estomac et de l’intestin ; sans oublier les boutons, les dartres, les hémorroïdes, les migraines, les rhumatismes et le sang vicié. Le « Corset Juvénil » favorise quant à lui, de six à vingt ans, « le développement du corps et de l’esprit ».
Tournons les pages. C’est le « Phoscao » pour ceux qui souffrent de l’estomac (aigreurs, tiraillements, pesanteurs, crampes...) ainsi que pour les anémiés, convalescents, surmenés et vieillards. Ce sont les « Pilules Galton » pour maigrir « sûrement et sans danger » et la « Poudre Montavon » la « guérison radicale de l’ivrognerie à l’insu du buveur » (on peut préférer la « Poudre Janehjo » à la fois « inoffensive et sans goût »). Sur un autre rayon, on n’oubliera pas « La Pétroléine du Dr Jammes » qui permet – via les cheveux – de ne pas vieillir puisque « vieillir c’est blanchir ». Plus modestement, le « Sublimior de H. & W. Harris Frères chimistes à Londres » propose de ne plus avoir de cheveux gris ; pour la barbe et les sourcils on préférera, toujours venant de la chimie londonienne, « Le Niger ».
Enfin la – toujours célèbre – « Jouvence de l’abbé Soury » (mise au point en 1745) dans l’indication (féminine) du « retour d’âge » : « les symptômes sont bien connus. C’est d’abord une sensation d’étouffement et de suffocation qui étreint la gorge, des bouffées de chaleur qui montent au visage pour faire place à une sueur froide sur tout le corps, puis ce sont des vertiges, des étourdissements, des spasmes nerveux, des hémorragies, et bientôt la femme la plus robuste se trouve affaiblie et exposée aux pires dangers ». A ce stade, l’heure de la cure est venue. A dire vrai, mieux vaut commencer les cures à partir de quarante ans, avant l’apparition des premiers symptômes. Objectif : prévenir « tumeurs, cancer, métrites, fibromes, maux d’estomac, d’intestins, des nerfs, etc. » autant de pathologies résultant du fait que « le sang n’a plus son cours habituel ». Cette « Jouvence », en régulant le cours devenu pathologique du sang féminin prévient aussi (en s’opposant à sa montée au cerveau) la congestion, l’attaque d’apoplexie, la rupture d’anévrisme, etc. Attention : exiger la Jouvence « véritable », portant la signature « Magloire Dumontier » préparée par l’apothicaire rouennais du même nom et sur le flacon de laquelle figure une reproduction du visage de l’abbé Gilbert Soury.
On se moque ici, bien sûr, d’une époque où tout ou presque était permis dans les allégations publicitaires de ce qui était présenté comme médicament car vendu en pharmacie. Mais ce numéro du Petit Echo de la Mode ne se borne pas à ces réclames. Il nous apprend qu’un journalisme médical existait déjà bel et bien. Ainsi en cette mi-novembre 1922 on trouve – page 3 – une « causerie médicale » intitulée « Une recette pour devenir tuberculeux » signée « Le Docteur ». L’auteur fait œuvre de provocation en fournissant une liste de recommandations destinées à ceux qui souhaiteraient être atteints ; une manière comme une autre de faire de la prévention. Il prophétise que l’espèce humaine ne pourra sans doute jamais se flatter d’avoir réussi à éradiquer cette maladie dont le germe (découvert en 1882 à Berlin) « se trouve partout ». Pour autant, il exhorte ses lecteurs à supprimer dans leur domicile « les foyers d’infections localisés ». Et il conclut en ces termes : « Ainsi qu’on l’a répété avec raison, la tuberculose fait une sélection naturelle parmi ceux qui luttent pour l’existence : elle emporte les faibles, elle respecte les forts ».