Au moment, estival, où nous rédigeons ces lignes, l’actualité internationale vient de réunir une série d’informations venues d’horizons divers mais qui ont la mort prématurée pour point commun ; une série d’informations qui, toutes, soulèvent de multiples questions médicales auxquelles spécialistes et médias d’information générale peinent à fournir de solides éléments de réponses. Exposé en trois points.
I Ce fut tout d’abord la tragédie collective norvégienne : deux attaques qui, le 22 juillet, ont fait 76 morts à Oslo et sur la petite île d’Utoeya. Deux attaques avec un certain Anders Behring Breivik, 32 ans, qui a reconnu avoir perpétré ce carnage. Et une nouvelle fois, comme dans tous les drames de ce type, l’incompréhension des foules ; une fois encore la quête d’une explication plausible pour un geste sous lequel, à l’évidence, pointe la folie. Une affaire d’autant plus complexe que l’homme revendique son geste en avançant non pas l’existence de voix célestes mais bien une forme de croisade personnelle pour défendre ce qu’il perçoit comme une forme de pureté ; une sorte de quintessence norvégienne selon lui détruite par le modèle socio-démocrate au pouvoir. Il projetait ainsi initialement (du moins est-ce ce qu’il affirme) d’assassiner le Dr Gro Harlem Bruntland, 72 ans, ancien chef (à trois reprises) du gouvernement travailliste norvégien, par ailleurs ancienne directrice générale de l’OMS de 1998 à 2003. Plus généralement, il se voit et se vit en sauveur de l’Europe de l’Ouest face, entre autres démons, «au marxisme culturel et à une invasion musulmane».
Comprendre celui qui pourrait rapidement être poursuivi par la justice de son pays pour «crime contre l’humanité» ? Peut-être faut-il ici écouter les paroles tenues par son père lors d’un entretien télévisé réalisé au lendemain de la tuerie. Jens Breivik est un ancien diplomate qui a choisi pour sa retraite le village français de Cournanel dans la région du Languedoc-Roussillon. L’homme n’a depuis longtemps plus de contact avec son fils et ne le reverra plus de son vivant. «Quand je repense à ce qui s’est passé, ça me désespère. Je ne comprends toujours pas comment quelque chose de pareil a pu se produire. Une personne normale ne peut pas faire ça», déclare le père à la caméra, de dos et entre deux gendarmes. Un père doit-il répondre de la normalité de son fils ?
Dans le volumineux manifeste (1500 pages), qu’il a posté sur internet le jour du carnage, Anders Behring Breivik évoque ses rapports avec sa famille.
Il y explique que ses parents ont divorcé alors qu’il n’avait qu’un an et qu’il a grandi avec sa mère. «J’avais une bonne relation avec lui et sa nouvelle femme à l’époque (…) jusqu’à l’âge de quinze ans» dit-il, ajoutant ne plus avoir, depuis, parlé à son père. Mais encore ?
Pour tenter de comprendre, l’Agence France Presse a tendu le micro au Dr Roland Coutanceau, expert psychiatre et spécialiste de criminologie. «Quand il y a des actes aussi organisés, l’acte nous parle plus de l’individu que sa connaissance biographique. Son acte et ses écrits en révèlent plus que ne pourrait le faire l’analyse de sa personnalité et de ses traits de caractère, assure-t-il. On élimine la folie parce que l’acte est trop structuré, trop organisé, trop contrôlé, trop exécuté froidement. Dans la maladie mentale, vous n’avez pas ce degré de contrôle. Sa logique est folle au sens populaire du mot, mais elle n’est pas folle au sens psychiatrique du mot.»
Sommes-nous là face à un «meurtrier de masse» ? «Dans sa forme classique, le meurtrier de masse est un individu souvent déprimé, qui a déjà programmé de se suicider dans la foulée. Bien sûr on est dans un meurtre de masse, mais on est ici dans une autre logique, celle du sujet missionnaire, qui a une mission, une logique terroriste. Un terroriste qui veut affirmer haut et fort la mission qu’il s’est attribuée. (…) Là, le sujet souhaite rester vivant pour justifier son acte. On va retrouver de façon tout à fait typique, comme dans les actes hors normes, les deux problématiques de l’ego, le caractère paranoïaque et la dimension mégalomaniaque. Ces individus sont dans l’abstrait, le conceptuel, ce qui leur permet de geler la dimension émotionnelle humaine de leur acte. C’est une logique du crime de type paranoïaque. C’est un trouble de la personnalité, ce n’est pas un trouble d’ordre psychiatrique. Leur conviction est folle au sens humain du terme, pas au sens psychiatrique.» Aux juges, norvégiens, de trancher.
II Ce fut ensuite une tragédie individuelle, celle d’Amy Winehouse, chanteuse ayant atteint la dimension mythique avant même d’être retrouvée morte, le 23 juillet, à son domicile londonien. Sans que la cause exacte de la mort soit dévoilée par les examens médicolégaux (elle ne l’était toujours pas début août), les commentateurs ont rappelé à l’unisson que cette chanteuse de soul se battait depuis plusieurs années avec des problèmes d’alcool et de drogue. Et d’ajouter qu’elle était sortie récemment d’une cure de désintoxication, avant de tenter un retour dans le cadre d’une tournée estivale de concerts qu’elle avait dû annuler.
Comme souvent, c’est la mise en abyme des dépendances et du refus des actions salvatrices ; une mise en abyme démultipliée par la monstruosité – admirative et compassionnelle – de l’auditoire planétaire. Dans Rehab : «They tried to make me go to rehab, I said no, no, no (…) They tried to make me go to rehab I won’t go, go, go». Dans Back to Black, cinq ans avant de mourir, un cocktail mortifère d’amours impossibles et de dépendances moléculaires lui permet déjà de hurler : «I died a hundred times». Et voici que publiquement la question se pose, de part et d’autre de l’Atlantique : peut-on ou non contraindre une personne dépendante (à l’alcool ou aux psychotropes illicites) à se soigner contre son gré ?
La réponse sera pour d’autres. Amy Winehouse a rejoint le club de moins en moins fermé des rock stars dont la vie n’a pas dépassé la barrière des 27 ans. Leur temps n’est pas celui des Académiciens même s’ils atteignent à leur manière une forme d’immortalité. Le danger, bien évidemment, demeure ici la contagiosité du comportement suicidaire. Mais rien de bien nouveau sous le soleil comme l’avaient montré à compter de 1774, les trop célèbres souffrances du jeune Werther.
III Ce fut enfin la disparition, le 24 juillet, du Dr David Servan-Schreiber victime à 50 ans d’une tumeur cérébrale ; une lésion qu’il avait commencé à combattre il y a près de vingt ans. La place nous manque, ici, pour évoquer les différentes facettes de cette personnalité aussi complexe que dérangeante. Ne cessant de faire le grand écart entre plusieurs mondes, tirant des bords entre la médecine officielle et toutes les autres, devenu auteur à succès avec ses Guérir et Anticancer (avant de fournir un témoignage bouleversant1 à la veille de mourir) c’est peu dire que l’homme déroutait, agaçait. Pour s’en convaincre, il faut observer l’embarras profond de ceux qui signent aujourd’hui ses nécrologies dans la presse d’information générale ; ils avaient pour la plupart pris goût aux provocations précautionneuses de ce lanceur d’alerte avant de découvrir que ce dernier n’avait sans doute jamais véritablement quitté la faculté de médecine et la science neurocognitive qui l’avaient formé.
Celui que l’on avait parfois surnommé le «prophète du bien-être» vient de s’éteindre sereinement «après trois jours passés dans un semi-coma». Lors des obsèques célébrées en l’église Saint-Eustache, un agencier était présent. Il a noté que l’un des trois frères du défunt avait confié que l’homme avait offert à ses proches «une expérience de mort réussie en restant fort et rassurant pour être utile jusqu’au bout ». Sur le parvis, à la fin de la messe rythmée par les grandes orgues et des chants grégoriens, le cercueil de David Servan-Schreiber a été longuement applaudi.