Rares étaient ceux qui attendaient des résultats aussi limpides à la votation générale de la FMH sur les réseaux de soins. Deux tiers des voix demandent que l’association soutienne un référendum. Qu’y a-t-il, derrière ce vote ? Un avertissement à la FMH et à son Comité central ? Une manière de lui dire : «le moment est venu de se montrer plus offensif» ? Ou le message est-il destiné à l’extérieur ?
En tout cas, nous voici au début d’une aventure. Principal objectif : qu’elle ne devienne pas un échec mou, sans panache. Qu’elle ne finisse pas, comme l’affaire du tarif de laboratoire, en un coup d’épée dans l’eau suivi de vaguelettes insignifiantes. Ce ne sera pas facile.
■ ■ ■
Premier problème : les médecins – la FMH – sont dans une situation qui fait penser à celle de l’Europe. Les intérêts des spécialistes (surtout ceux pratiquant des gestes techniques) et des généralistes sont devenus tellement divergents que l’éclatement semble de plus en plus inéluctable.
Il faut lire le texte de Margot Enz Kuhn, dans Primary Care de la semaine dernière.1 Elle rappelle les motifs de réticence des Médecins de famille suisses au projet de managed care : la coresponsabilité financière et la suppression du libre choix du médecin. Mais pour mieux souligner que le Parlement a avancé en direction des généralistes, jusqu’à rendre le projet quasi acceptable. Surtout, elle s’inquiète des «intérêts particuliers» tapis derrière la volonté de référendum. Intérêts de qui ? Réponse : «des associations de spécialistes» qui craignent «un déplacement des compétences de pilotage du système de santé vers les médecins de famille».
Bref, si les Médecins de famille suisses décident de soutenir le référendum, ce qui est loin d’être acquis, ce ne sera pas dans un esprit confraternel. Sans compter que la géographie vient ajouter sa dose de discorde. Les généralistes genevois, par exemple, ont une lecture différente des enjeux du managed care et sont en faveur du référendum. L’éclatement pourrait donc s’étendre jusqu’aux sociétés de spécialistes. S’il se concrétisait, son coût symbolique et économique serait énorme.
■ ■ ■
Second problème : le soutien politique au référendum sur le managed care se révèle de plus en plus branlant. Le Syndicat des services publics et l’Union syndicale suisse se tâtent. Très remonté contre les réseaux au début du processus parlementaire, le parti socialiste suisse annonce désormais qu’il soutiendra «peut-être» le référendum, mais ne le lancera en tout cas pas. L’Organisation suisse des patients se dit, quant à elle, satisfaite par les derniers aménagements du projet. En résumé, les médecins ne pourront compter que sur eux-mêmes pour lancer et faire aboutir ce référendum.
■ ■ ■
Troisième problème : l’environnement politique. Il existe, outre celle du managed care, trois autres questions brûlantes. Les caisses maladie, d’abord. Leur pouvoir démesuré, leur absolue opacité, leurs profits, leurs hallucinants accès d’autorité sur les médecins et les patients. Là se trouve la mère de toutes les batailles. C’est pourquoi, il s’agira de faire signer l’initiative des médecins en faveur de la transparence (et peut-être aussi celle de la caisse unique) en même temps que le référendum sur le managed care.
Les DRG, ensuite. Dès janvier prochain, ce sera le grand sujet médiatique. Les patients commenceront à voir la différence dans leur traitement, la population découvrira les effets de la concurrence entre établissements. On ne parlera que de ça. Maintenir en vie le thème du managed care relèvera alors du grand art marketing.
Les coûts de la santé, enfin. C’est-à-dire la première, l’immense préoccupation générale. Celle pour laquelle la population semble de plus en plus prête à fermer les yeux, à se boucher le nez et à avaler toutes les promesses de diminution des primes. Dont le managed care, habilement guimauvisé par ses évangélistes.
■ ■ ■
Le lancement du référendum au managed care s’avère donc à haut risque. Il n’est pas «raisonnable», c’est évident. Mais il est nécessaire. Parce qu’il traduit une révolte. Une indignation. C’est-à-dire le refus d’un système injuste et hypocrite, mais en même temps si puissant et bien infiltré que les modes habituels d’expression semblent dépassés.
Il exprime aussi la volonté que soit à nouveau dessiné un espoir. Car ce qui a disparu, dans le monde de la santé, c’est le mélange de défi et d’espérance qui a longtemps porté les évolutions. On visait le progrès. Le changement devait apporter un accroissement de liberté et l’ouverture de nouvelles dimensions de soins. L’idée d’un système de santé solidaire et tendu vers l’humanisation des nouvelles technologies faisait rêver.
Mais ce rêve est fini. Il y a encore des avancées, certes, mais en bien des points à rebours : vers la disparation soft du libre choix du médecin, le rationnement caché, le secret médical et le sujet humain sacrifiés à «l’optimisation» des traitements. Les médecins ont joué le jeu d’une politique qui leur demandait d’abandonner leur ancien pouvoir – à raison, sans le moindre doute, même si ce n’était pas rien. Mais ce qu’ils découvrent, c’est que c’était pour tomber dans les griffes de systèmes autoritaires dont la seule religion est économique. Et que c’est d’une guerre de religion qu’il s’agit désormais.
■ ■ ■
Que faire, donc, à la suite de cette votation générale ? L’important n’est pas de décider quel sous-groupe de la FMH doit lancer le référendum contre le managed care, ni la somme qu’il s’agit de lui consacrer, ni même sur quels arguments le faire reposer. Non. C’est de repenser l’attitude des médecins et leurs valeurs. De définir une politique qui soit englobante et regarde l’avenir du système de soins.
Il faudra donc que, lors de la prochaine Chambre médicale, l’ensemble des médecins décident de se réunir autour d’un programme. Que ce programme ne se limite pas à lancer un référendum contre le projet parlementaire de managed care, mais propose en même temps un soutien ferme à l’initiative pour la transparence de l’assurance-maladie. Et que ces deux démarches soient enveloppées dans une large vision, où se trouvent explicitées les raisons et valeurs qui font vivre les médecins. Qu’il s’agisse donc à la fois de stratégie et d’éthique.
Mais la Chambre médicale ne peut pas tout. Il faudra aussi que tous les médecins deviennent porteurs de ces messages. Que chacun dans son cabinet, son groupe, son établissement de soins, fasse de la signature de ces textes et de la diffusion de la vision globale une affaire personnelle. Que les jeunes confrères de l’ASMAC, massivement favorables au référendum, montrent leur visage dans les rues et sur les télévisions. Que tout le monde, de toutes les spécialités, plaide l’éthique avant la performance économique, la personne plus que le système.
■ ■ ■
«Dans une démocratie vivante, il faut toujours faire des compromis, et nous ne pouvons pas nous permettre de faire obstacle à l’évolution politique et sociale» écrit encore Enz Kuhn, pour marquer sa réticence face au référendum. Oui, bien sûr, la démocratie est faite de compromis. Ils lui sont consubstantiels. Si les plus puissants, au jeu de l’influence politique, imposent leurs vues aux autres, ce n’est plus une démocratie, c’est un gouvernement par la force. Or justement : n’est-ce pas ce qui arrive aujourd’hui ? N’en sommes-nous pas arrivés à ce point ?
Résister à une manière injuste d’organiser le système de santé ne revient pas à vouloir le conflit pour le conflit. Les médecins savent qu’il faut se résoudre à avancer sans solution. Que comme en médecine clinique, en politique de santé n’existent que des gestions de l’incertitude. D’où leur allergie aux pseudo-certitudes.
■ ■ ■