Les incidents liés à l’utilisation de médicaments appelés look-alike, sound-alike ou médicaments de consonance ou d’apparence semblables sont fréquents aussi bien dans les secteurs hospitaliers qu’ambulatoires. Ils sont grevés d’une morbidité et d’une mortalité importantes. Comme bien d’autres, le domaine de l’infectiologie est particulièrement concerné par les dangers liés à l’utilisation de ces médicaments. Des démarches efficaces existent pour réduire ces risques, mais les recommandations disponibles sont globalement peu suivies. La sensibilisation à cette problématique des médecins surtout, mais aussi de tous les professionnels de la santé, des organismes d’accréditation des médicaments et des industries pharmaceutiques permettrait d’améliorer la sécurité des patients et la qualité des soins qui leur est prodiguée.
De nombreux médicaments peuvent être confondus en raison des similarités de leurs noms ou de leurs présentations. Ces confusions sont fréquentes et conduisent souvent à des incidents graves ou même fatals.1 Ces médicaments sont habituellement désignés selon leur dénomination anglophone par les termes de look-alike, sound-alike (LASA). Tous les domaines d’activité médicale sont concernés et cette problématique touche aussi bien le secteur hospitalier que le secteur ambulatoire dans le monde entier. Chaque étape du «circuit du médicament» (depuis la prescription du médicament jusqu’à son administration au patient) peut être à l’origine de confusions entre des produits d’apparence ou de noms similaires.
Depuis quelques années, la littérature médicale s’est enrichie d’articles traitant du sujet des LASA, mais peu de publications sont disponibles en français. Des démarches ont été proposées pour réduire le risque des LASA et plusieurs organisations ont émis des recommandations en ce sens.2 Les aspects d’étiquetage et d’apparence des produits mis sur le marché jouent un rôle prépondérant,3 quand bien même les exigences de fabrication sont rarement corrélées à des dispositions légales. De plus, des considérations économiques l’emportent souvent sur les préoccupations de sécurité.
Le domaine de l’infectiologie est lui aussi concerné par la problématique des LASA, par exemple en raison de l’existence de nombreux médicaments administrés par voie parentérale, des dénominations très proches des céphalosporines ou encore du recours occasionnel à des médicaments peu connus de certains utilisateurs.
Cet article aborde la problématique générale des LASA, puis les particularités propres au domaine de l’infectiologie. Il présente ensuite les recommandations visant à réduire le risque de confusion entre LASA et évoque quelques perspectives d’amélioration.
Les médicaments dont le nom ou l’apparence prêtent à confusion sont appelés look-alike, sound-alike. Ce terme est le plus souvent employé dans la littérature anglo-saxonne, mais aussi non anglo-saxonne. Il est donc fréquemment utilisé dans les publications francophones. Des traductions existent cependant : «médicaments qui se ressemblent ou ont des noms à consonances similaires», «médicaments de consonance semblable ou d’apparence semblable», «produits de santé à présentation et à consonance semblables» (au Canada). Quelques auteurs recourent aux dénominations de «confusion de médicaments similaires par l’aspect ou le nom» ou «médicaments que l’on peut confondre dans leur appellation ou leur apparence».
Les origines des confusions entre LASA sont multiples. Le tableau 1 présente les plus fréquentes. Des confusions peuvent se produire entre plusieurs dénominations communes internationales (DCI), entre DCI et dénominations commerciales (noms génériques) ou entre plusieurs dénominations commerciales. Les noms des produits et leurs présentations sont les principaux facteurs contributifs à l’origine des confusions.
En 1969 déjà, une liste de dix noms de médicaments était publiée pour attirer l’attention des médecins sur des médicaments ressemblants.4 La problématique des LASA n’est donc pas nouvelle, mais le souci d’y remédier est plus récent. Les exemples de confusions possibles pouvant entraîner des conséquences graves et parfois létales se montent à plusieurs milliers.1 Quelques pays ont établi des listes de LASA.5,6 Certaines «paires» de LASA sont particulièrement dangereuses, car elles impliquent des curares, des agents oncologiques ou de puissants sédatifs et des décès en lien avec des erreurs dans l’utilisation de ces produits ont été rapportés pour chacun de ces exemples. Tous les domaines d’activité médicale sont touchés. Les publications les plus récentes ont été publiées cette année dans des domaines tels que l’oncologie7 ou la pédiatrie.8
La plupart des professionnels de la santé sont concernés par les risques que représentent les LASA, en particulier les médecins, les infirmières et les pharmaciens. Dans les hôpitaux, les responsables de l’achat des médicaments ont également un rôle primordial à jouer lors du choix des priorités accordées aux caractéristiques des produits. Des pressions économiques peuvent avoir ici des influences particulièrement néfastes, car la recherche d’économies peut faire passer au second plan des préoccupations de sécurité, comme lors de changements répétés de médicaments génériques.
Au cours des trois dernières décennies, la mise sur le marché de nombreux nouveaux médicaments dans le monde a certainement contribué aux risques liés aux LASA. Les déplacements des patients, leurs achats à l’étranger et le recours croissant à des préparations vendues sur internet ont probablement aussi joué un rôle. Des produits sont souvent exportés sans tenir compte des noms et des présentations des médicaments dans les pays destinataires, ce qui augmente le risque de confusions. Par ailleurs, quand bien même les aspects d’étiquetages, d’emballages et de présentations revêtent une importance fondamentale, les recommandations de fabrication sont rarement contraignantes à l’égard des fabricants. Ceux-ci sont souvent réticents à modifier l’apparence ou la dénomination de leurs produits après leur mise sur le marché.
Certaines données révèlent que les confusions entre différents noms de médicaments représentent environ un quart des erreurs en lien avec leur utilisation.9 Aux Etats-Unis, l’United States Pharmacopeia a estimé à 3170 le nombre de paires de médicaments (associant dénominations génériques et DCI) lors d’incidents survenus suite à des confusions de médicaments.10 Citée dans la même publication, une analyse rétrospective de deux programmes de notifications d’erreurs et d’incidents liés à des médicaments a montré qu’environ 1,4% des patients ont été victimes de ce type d’erreur, certains avec des conséquences fatales. En Suisse, 7% des erreurs recensées dans le système CIRRNET (Critical incident reporting and reacting network) concernent des confusions de médicaments.11 Les données sont rares et doivent être interprétées avec prudence. Il est en effet vraisemblable qu’elles sous-estiment l’ampleur de la problématique au vu du caractère volontaire des systèmes de notification des incidents.
Le domaine de l’infectiologie est particulièrement concerné par la problématique des LASA. Les facteurs contribuant aux confusions potentielles de médicaments sont identiques à ceux des autres classes thérapeutiques, mais il existe aussi quelques caractéristiques propres à certains agents anti-infectieux. Parmi celles-ci, il faut citer entre autres le nombre élevé de médicaments génériques pour un même principe actif, les noms souvent très proches des différentes DCI ou encore la prescription de médicaments parfois méconnus des utilisateurs dans le domaine des antifongiques ou de la thérapie anti-VIH par exemple. A titre illustratif, un registre américain a révélé que la céfazoline avait été confondue avec dix autres médicaments.12
Le tableau 2 regroupe des exemples de LASA propres aux maladies infectieuses et disponibles en Suisse. Les figures 1 à 4 présentent quelques médicaments considérés comme étant à risque de confusion, volontairement restreints au domaine de l’infectiologie et utilisés dans notre hôpital.
Les présentations externes et les emballages internes (blisters) sont très proches pour les trois dosages. La couleur et le style général sont pratiquement identiques.
Les couleurs utilisées sont très proches pour chacun des deux emballages (vert foncé en haut, vert à peine plus clair en bas). Les présentations générales et les volumes des deux boîtes sont presque identiques
Les présentations générales, les volumes et les couleurs des étiquettes des deux ampoules sont très proches. En fonction de la partie de l’étiquette examinée, les deux flacons peuvent être facilement confondus.
Les noms des médicaments sont très proches, de même que les présentations générales, les étiquettes et les volumes des deux ampoules. La différence concernant la voie d’administration est peu mise en exergue.
Aussi, la prévention et le contrôle de l’infection ne sont pas les seuls thèmes touchant aux aspects de sécurité des patients dans le domaine des maladies infectieuses. Les LASA constituent un autre risque important dans bien des situations cliniques, au vu de l’utilisation fréquente d’agents anti-infectieux dans plusieurs activités médicales et chirurgicales.
Des travaux de psychologie cognitive ont permis de comprendre les causes et les circonstances à l’origine de nombreuses situations où des médicaments sont confondus. Un de ces travaux a conclu que les similitudes orthographiques et phonétiques des noms de certains médicaments augmentaient nettement la probabilité de confusion.13 Le recours à un étiquetage particulier des emballages des médicaments, appelé Tall man lettering a été démontré comme plus efficace pour distinguer visuellement certains noms ressemblants. Cette dénomination a plusieurs variantes ; sa principale consiste à mettre en exergue les différences des noms de médicaments ressemblants, en tirant parti des lettres distinctes d’une paire (ou d’un groupe) de LASA. Ces groupes de lettres ont été nommés «portion critique» du mot. Par exemple, pour éviter de confondre «céfuroxime» et «ceftazidime», leurs portions critiques doivent être rédigées en majuscules et les mots écrits «céfUROXime» et «cefTAZIDime».
Une publication parue cette année pourrait toutefois mettre en cause la suprématie de la variante recourant à la portion critique.14 Celle-ci a en effet montré qu’écrire le nom du médicament en toutes lettres majuscules était tout aussi efficace pour éviter de confondre deux médicaments que l’utilisation de la «portion critique». Ces deux variantes présentent toutefois l’avantage d’être moins facilement confondues avec la présentation la plus courante consistant à écrire le nom du médicament en lettres minuscules.
Les principales organisations ayant élaboré des actions visant à réduire les risques liés aux LASA sont regroupées dans le tableau 3.
Ces recommandations s’adressent non seulement aux médecins, mais aussi à tous les professionnels de la santé ayant une activité au contact de patients, aux dirigeants hospitaliers, à l’industrie pharmaceutique, aux agences d’accréditations des médicaments et aux responsables politiques. La présentation et le nom de nouveaux médicaments mis sur le marché constituent des étapes cruciales dans le risque de confusion des médicaments. Les pouvoirs politiques ont donc un rôle primordial à jouer en adoptant ou non des dispositions légales potentiellement contraignantes à l’égard des fabricants. Le tableau 4 cite les propositions les plus fréquemment retenues pour réduire les risques liés aux LASA.
En Suisse, la plupart de ces recommandations ne sont pas couplées à des dispositions légales et sont donc rarement coercitives pour les fabricants. Ceci explique pourquoi elles ne sont pas systématiquement appliquées. Une étude a par exemple montré que les emballages primaire (blister) et secondaire (carton) n’étaient conformes aux normes de l’Affaps que dans moins de 25% des médicaments examinés.15 En réponse à la motion parlementaire 10.3911 déposée en décembre 2010, qui demande de veiller d’avantage aux risques des LASA, le Conseil fédéral a indiqué que «Swissmedic (…) respecte déjà la plupart de ces lignes directrices (concernant le risque de confusions entre médicaments), mais ces dernières devraient être consacrées par la motion. Ces aspects pourraient être pris en compte dans la révision de l’ordonnance sur les exigences relatives aux médicaments (OEMéd ; RS 812.212.22)». Par ailleurs, Swissmedic indique qu’il «tient compte de diverses recommandations, veille aux aspects de l’étiquetage des médicaments et est conscient du risque de confusion entre LASA» (Swissmedic, communication personnelle).
Les médicaments look-alike, sound-alike représentent un risque important pour les patients et des incidents liés à leur utilisation peuvent avoir des conséquences fatales. Au même titre que la plupart des activités médicales, le domaine de l’infectiologie est étroitement concerné par cette problématique. Les étiologies possibles des confusions de médicaments sont nombreuses. Des recommandations visent toutefois à aider les professionnels de la santé à réduire ce risque et à les rendre attentifs aux dangers constitués par les médicaments look-alike, sound-alike. L’aspect visuel et l’étiquetage des produits, de même que les informations mises à disposition des utilisateurs et des patients sont des aspects prépondérants dans la prévention de ces risques. Certaines interventions ont fait la preuve de leur efficacité pour mieux sécuriser l’utilisation des médicaments et devraient être promulguées par tous les intervenants, depuis la fabrication des médicaments jusqu’à leur administration aux patients.
> Pour de multiples raisons, tous les médicaments risquent d’être confondus avec d’autres ; il existe des listes répertoriant les «associations» d’agents thérapeutiques particulièrement fréquentes ou menaçantes
> Au vu de la gravité potentielle des incidents provoqués par la confusion entre certains médicaments, tous les professionnels de la santé devraient être sensibilisés à la problématique des médicaments look-alike, sound-alike ; ils disposent à cet effet de recommandations visant à améliorer les pratiques professionnelles
> Les médecins devraient être attentifs à ces recommandations, non seulement dans leur activité clinique, mais aussi lors de l’acquisition de nouveaux agents thérapeutiques ; ils devraient aussi mettre en garde leurs patients
> Les pharmaciens jouent un rôle fondamental dans la prévention globale des risques liés aux médicaments look-alike, sound-alike ; ils peuvent fournir de précieux conseils aux médecins afin de prévenir cette problématique
> Les fabricants et les agences d’accréditation de médicaments peuvent sensiblement contribuer à améliorer la sécurité d’utilisation des produits, en particulier lors de la conception des emballages et de la mise sur le marché de nouveaux agents thérapeutiques ; la Suisse devrait adopter des dispositions légales visant à renforcer la sécurité de la prescription des médicaments
Incidents linked to the prescription of medications also referred to as «look-alike, sound-alike» are frequent both in the ambulatory and in hospital sectors. These incidents are associated with relevant morbidity and mortality. Next to other specialties of medicine, infectiology is particularly affected. Strategies to reduce these risks have been devised, but available recommendations are frequently poorly observed. A heightened awareness regarding the «look-alike, sound-alike» problem among doctors as well as other health care professionals, regulatory agencies and the pharmaceutical industry would help assure and maintain increased patient safety and quality of care.