Dans leur éditorial du mois d’avril 2011, les professeurs D. Lew et T. Calandra parlaient de «ces superbactéries qui viennent d’ailleurs», qui résistent aux antibiotiques, qui tuent, qui consomment des ressources, qui nous menacent chaque année un peu plus et que nous devons affronter dans ce qu’il faut appeler une guerre. Ils mentionnaient brièvement les entérocoques résistant à la vancomycine, qui ont colonisé dès le début de l’année des patients dans plusieurs établissements hospitaliers de Suisse romande.
Revenons-y, pour discuter de la question de la communication dans les situations épidémiologiques difficiles et de manière plus générale.
La maîtrise de la communication a de tout temps été un élément fondamental dans l’art de la guerre. De nombreuses batailles ont été gagnées par des troupes modestes mais bien renseignées et donc en mesure de développer une stratégie astucieuse, alors que de puissantes armées ont été défaites en raison d’une collecte et d’une exploitation de l’information déficientes.
Dans l’affaire des entérocoques, qui a touché l’Hôpital intercantonal de la Broye, le CHUV et l’Hôpital fribourgeois, les discussions sur la stratégie de la communication ont été le sujet de bien des séances réunissant les personnes impliquées dans la gestion de la crise.
Communication aux médias, aux patients et à leur famille : avec ces entérocoques qui passent si facilement d’un patient à l’autre, on est bien face à une épidémie, mais ose-t-on utiliser ce mot ? Il amène rapidement aux images de la peste et du choléra. «Sa signification n’est pas la même pour le grand public et pour l’épidémiologiste, le mot est trop connoté, les patients (la clientèle, alors qu’approche l’heure de la concurrence) risquent de prendre peur, c’est mauvais pour l’image de l’établissement» pouvait-on entendre. Il faut à la fois rassurer et expliquer le fait qu’on ferme un service, qu’on suspend des prestations (sans que cela n’ait la moindre conséquence négative pour les patients, bien entendu). Il est indispensable de résumer dans un court communiqué de presse et en des termes accessibles à chacun une situation très complexe.
Communication entre entités hospitalières : il faut composer avec neuf établissements1 qui s’échangent au quotidien des patients – et donc potentiellement des entérocoques résistants –, trois équipes d’hygiène hospitalière, trois directions médicales, trois directions générales, deux médecins cantonaux et deux autorités politiques de tutelle. La vision des événements, la culture, les objectifs et les angoisses de tous ces acteurs ne se recoupent que partiellement. Et il n’y a pas de téléphone rouge. Malgré la bonne volonté de chacun, on est pris de vertige. Comment procéder ? Dans d’autres pays, une agence nationale s’impliquerait rapidement, mais le fonctionnement fédéraliste de la Suisse ne favorise pas l’entrée en scène de l’Office fédéral de la santé publique, du moins tant que le problème reste régional. Dans ce genre de situation, il serait utile et rassurant de pouvoir faire appel à une structure souple, facilement disponible, amenant un regard externe et neutre et de l’expertise sur le plan organisationnel et scientifique.
Communication interne : en théorie, en 2011, ce ne sont pas les moyens qui manquent pour véhiculer de l’information à l’intérieur d’une entreprise. Mais en pratique, les défis sont grands. Mes belles directives vont-elles être considérées à leur juste importance (c’est-à-dire plus importantes que toutes les autres) si elles parviennent aux récipiendaires via l’intranet en tant que énième communiqué de la direction ? Peut-on compter sur les cadres pour relayer l’information à leurs collaborateurs ? Si on utilise l’e-mail, comment gérer le cas des personnes qui pressent sur la touche delete plus vite que leur ombre et des réfractaires à la technologie (heureusement rares) ? Faut-il ouvrir une page facebook ? Ne serait-il pas plus opportun de twitter ? Il faut surtout parvenir à intéresser les lecteurs, sollicités de toutes parts, avec des documents qui leur expliquent comment leur charge de travail va s’alourdir et leur vie se compliquer. Il s’agit d’apaiser les angoissés, de cadrer les hypercréatifs, de stimuler les adeptes du «tout va bien», de garder son calme face au «yakatistes». Et de faire comprendre qu’il n’est pas anormal que ce que l’on dit aujourd’hui se révélera faux demain, que la politique risque de changer à de multiples reprises parce que les connaissances sont incertaines et périssables.
Finalement, cet exercice à grande échelle ressemble à ce que chaque médecin fait au quotidien, plus modestement, face à ses patients. Informer objectivement et rassurer à la fois. Ne pas forcément dire (toute) la vérité, mais sans mentir. Activer ses réseaux, solliciter les collègues, partager les bons tuyaux. Débusquer l’information utile, trier le bon grain de l’ivraie dans la grande marmite de la connaissance, lire à travers les lignes. Rester positif alors qu’on a parfois envie de baisser les bras, parce qu’on pense que tout va à l’envers du bon sens, parce que l’autre ne comprend pas, ne nous comprend pas. Organiser l’inorganisable. Gérer l’incertitude et l’inexprimable. Communiquer, communiquer, communiquer.