L’accouchement avant terme (
Le travail et l’accouchement avant terme (< 37 semaines d’aménorrhée) sont un problème majeur en périnatalité. La prévention est difficile en raison de la multiplicité des étiologies et des facteurs de risque, et de l’absence de tests diagnostiques fiables pour identifier les femmes à risque. A côté des facteurs de risque obstétricaux connus (grossesses multiples, infections...), il existe des associations entre accouchement avant terme et certains facteurs psychosociaux. L’objectif de cet article est de décrire ces associations et d’explorer les interventions qui pourraient minimiser leur impact défavorable sur l’issue de la grossesse.
Les causes de travail et d’accouchement prématurés sont multiples et de nombreux facteurs sont associés entre eux.1 Les associations mises en évidence dans les études pourraient être dues à un effet de confusion par d’autres facteurs que ceux étudiés. Ceci est particulièrement vrai pour les facteurs de risque psychosociaux, difficiles à définir, à mesurer et interagissant entre eux.
Par exemple, la plupart des auteurs ont montré une association entre niveau socio-économique bas et accouchement avant terme.1 De nombreux facteurs sont à la fois associés au niveau socio-économique bas et à l’accouchement prématuré (âge, groupe ethnique, infections génitales) et il n’est pas facile d’ajuster pour ces facteurs de confusion. Une association entre travail pénible, peu motivant ou en position debout et l’accouchement avant terme a été mise en évidence par de nombreux auteurs.2 Il a été montré que le stress au travail est associé à l’accouchement avant terme, ce qui souligne l’interaction entre facteurs psychologiques et professionnels. Paradoxalement, le fait de ne pas travailler a aussi été mis en évidence comme un facteur de risque. D’autres auteurs ne retrouvent pas ces associations. Les discordances dans les résultats pourraient être expliquées par le contrôle incomplet pour des facteurs de confusion.
La prise de toxiques pendant la grossesse est fréquente. Les données épidémiologiques essentiellement nord-américaines montrent une prévalence globale de consommation de drogues illégales pendant la grossesse de 4%, allant jusqu’à 15-30% dans des populations urbaines à haut risque.3-5 Les prévalences de consommation décrites chez la femme enceinte sont de 10 à 17% pour le cannabis, 3 à 9% pour la cocaïne, 1 à 2% pour l’héroïne, 12 à 20% pour l’alcool, avec 3 à 5% de consommatrices à risque, et 16 à 20% pour le tabac.6,7 La polyconsommation est souvent la règle : tabac chez plus de 80% des femmes avec une addiction aux drogues illicites et consommation d’alcool et de médicaments psychotropes très fréquemment associée aux autres drogues. Les risques de morbidité et de mortalité maternelles, fœtale et néonatale sont augmentés. Certains sont spécifiques à la substance consommée mais dans la majorité des cas en relation avec une polyconsommation et les nombreuses comorbidités somatiques (maladies sexuellement transmissibles, hépatites, VIH, complications cardiovasculaires), psychiques et sociales associées. Le suivi de la grossesse n’est pas toujours facile : prise en charge retardée en raison d’une grossesse méconnue, consultations en urgence, suivi discontinu. Il est difficile dans les études d’évaluer l’impact d’un seul facteur sur le risque de prématurité en raison de facteurs confondants comme les polyconsommations, les conditions de précarité sociale et la violence souvent associés.
La prise de cocaïne est associée à des issues obstétricales défavorables avec un risque augmenté de fausse couche du premier trimestre, de placenta prævia, de décollement placentaire, de prématurité, de retard de croissance intra-utérine (RCIU), de mort fœtale in utero, de séquelles neurocomportementales à long terme. Le risque tératogène décrit dans les années 80 et 90 n’est plus mis en évidence dans les études et méta-analyses plus récentes.8 L’exposition aux opiacés (héroïne, morphine, méthadone) n’a pas été démontrée à risque tératogène. En cas de consommation d’héroïne, on note un risque augmenté de retard de croissance intra-utérine, de microcéphalie, de mort fœtale in utero, de prématurité.3 Les bénéfices d’un traitement de substitution sont largement reconnus chez la femme enceinte, la méthadone restant le médicament de référence en raison du plus large recul. Il est clairement démontré qu’un traitement de maintenance à la méthadone diminue la mortalité maternelle et fœtale avec une meilleure prévention des rechutes, une diminution de l’exposition aux autres drogues illicites et aux autres conduites à risque maternelles et augmente le suivi obstétrical et les issues néonatales.9,10 En cas de sevrage, par contre, il y a risque de fausse couche au premier trimestre et d’accouchement prématuré au troisième trimestre. Concernant la consommation d’alcool, on note également un risque augmenté d’avortement spontané, de prématurité, de mortalité périnatale et le large spectre du «Fetal Alcohol Spectrum Disorder». Le cannabis n’induit pas d’effet spécifique sur le fœtus mais les patientes consommatrices sont plus à risque de polyconsommation de tabac et d’alcool.3,7
Plusieurs auteurs ont étudié spécifiquement les facteurs de risque psychologiques et émotionnels d’accouchement avant terme.11-13 La plupart des études ont été réalisées en postnatal, en comparant des femmes ayant accouché avant terme à des témoins ayant accouché à terme. La plupart des études montrent une association entre l’accouchement avant terme et des événements de vie stressants avant ou pendant la grossesse, une attitude moins positive envers la grossesse et une structure de personnalité plus fragile et immature. Les résultats de ces études sont suspects d’être influencés par un biais de rappel, car les facteurs psychologiques étaient évalués après l’événement et pourraient être rapportés différemment selon les groupes. De plus, la direction d’une éventuelle relation causale n’est pas évidente, et on pourrait être en présence d’une causalité inversée (les facteurs psychologiques pourraient être plus présents, ou plus rapportés, à cause de la naissance prématurée). L’effet des facteurs psychologiques a aussi été évalué dans le cadre d’études prospectives (l’évaluation des facteurs psychologiques étant réalisée avant la survenue de la menace ou de l’accouchement prématuré). Ce type d’études est moins sujet aux biais évoqués plus haut. Ces études montrent que l’anxiété, les événements de vie stressants (traumatismes récents ou passés, les complications médicales de grossesses précédentes), l’attitude psychologique envers la grossesse (ambivalence), le sentiment d’insécurité lié à l’incertitude de devenir une «bonne» mère, un attachement faible avec le futur bébé et les conflits avec leur propre mère sont associés avec le travail et/ou l’accouchement avant terme. Ces facteurs interagissent avec les facteurs médicaux et sociaux dans la chaîne causale qui entraîne le travail prématuré et, éventuellement l’accouchement. Le travail avant terme étant une expérience stressante, un cercle vicieux peut se mettre en place et conduire à l’accouchement avant terme.
Etant donné l’association entre facteurs sociaux défavorables et accouchement avant terme, plusieurs auteurs ont évalué le bénéfice d’un support social pour réduire le risque.14 Seize essais randomisés, incluant 13 651 femmes, ont servi de base à une revue systématique. Les études réalisées avant qu’une détermination fiable de l’âge gestationnel par échographie soit possible ont utilisé comme issue principale le petit poids de naissance, sans distinguer si cette issue était causée par la prématurité ou par un RCIU. Ces études ont montré un bénéfice dans certaines issues psychosociales, mais pas d’amélioration des issues périnatales. En particulier, le risque d’accoucher avant 37 semaines (rapporté dans onze études) était similaire dans les groupes intervention (12%) et témoin (12%). Une des limites de ces études était que le risque d’accoucher prématurément n’était pas particulièrement élevé. Ceci pourrait être la conséquence de la médiocre valeur prédictive des facteurs de risque qui constituaient les critères d’inclusion. L’intervention variait entre les études, ce qui rend l’interprétation de ces données difficile.
Des facteurs psychologiques étant associés au travail prématuré, en étant leur cause ou leur conséquence, il est logique d’essayer de les corriger par des interventions spécifiques pour diminuer le risque de prématurité. L’étude la plus importante dans le domaine a été conduite en France, pour évaluer l’impact d’une intervention psychothérapeutique chez des femmes présentant une menace d’accouchement prématuré.15 Une première cohorte de 323 femmes a reçu le traitement habituel (repos, tocolyse si nécessaire). Ensuite, l’intervention psychothérapeutique a été mise en place et les issues des 309 femmes hospitalisées pendant cette deuxième période ont été comparées à celles des femmes précédentes (design avant-après). L’intervention consistait à offrir une consultation avec un psychologue. Celui-ci identifiait les facteurs de risque spécifiques qui auraient pu causer le travail prématuré et tentait de les réduire par une thérapie spécifique. Le risque d’accouchement avant 37 semaines était significativement plus bas (12%) pendant la période d’intervention que pendant la période témoin (26%). Ces résultats sont très prometteurs et suggèrent qu’une intervention psychothérapeutique pourrait être bénéfique chez les femmes présentant un travail prématuré. Néanmoins, malgré l’attention portée au contrôle des facteurs de confusion, il pourrait y avoir des différences entre les groupes de la fréquence de facteurs pronostiques qui pourrait expliquer cet effet.
La reconnaissance et la prise en charge des facteurs de stress psychosociaux et de la globalité de l’environnement social, économique et familial ont le potentiel de diminuer le risque d’accoucher avant terme. Les grossesses avec facteurs de risque psychosociaux sont des grossesses à haut risque qui demandent un suivi obstétrical spécifique et non improvisé. Toutefois, la complexité des situations à l’interface entre le médical, le psychologique et le social nécessite la mise en place de dispositifs de soins ambulatoires et hospitaliers permettant le décloisonnement de ces mondes professionnels distincts et le développement d’un véritable travail de réseau périnatal personnalisé. L’évaluation de l’impact de ce type d’intervention coordonnée sur l’accouchement prématuré est méthodologiquement difficile. Les travaux d’équipes comme celles de F. Molénat sont très prometteurs.16,17 Dans notre expérience, la mise en place d’une prise en charge spécifique et personnalisée des grossesses à haut risque «psychosocial» à la maternité est positive répondant aux besoins de sécurisation de la grossesse, de prévention des issues obstétricales défavorables et de sécurité pour les professionnels qui doivent garder le cap face à la complexité.
Les facteurs psychosociaux sont associés au travail et à l’accouchement prématuré. Il est nécessaire de développer et d’évaluer de nouvelles interventions comme celles mises en place à la maternité des HUG. Un essai randomisé est en cours pour évaluer l’intérêt d’une psychothérapie brève, focalisée sur un grand nombre des facteurs psychologiques associés à l’accouchement avant terme. Si une intervention de ce type était démontrée bénéfique, elle pourrait devenir une des stratégies pour diminuer le risque, particulièrement pour le sous-groupe de femmes chez qui les facteurs psychologiques sont les plus marqués. Une autre stratégie est le développement d’une structure de soins coordonnés entre le médical et le psychosocial avec la mise en place d’un suivi obstétrical spécifique et personnalisé par une équipe et un réseau formés et en capacité de répondre à des problématiques sortant du champ obstétrical classique. L’évaluation de l’impact de cette approche sur la réduction de l’accouchement avant terme est difficile, mais elle a montré des bénéfices en termes d’efficacité organisationnelle et de sécurité pour les professionnels.
> En cas de facteurs de risque psychosociaux, la grossesse est reconnue comme une grossesse à haut risque notamment d’accouchement avant terme
> Une intervention psychothérapeutique en plus du traitement médical classique semble bénéfique en cas de menace d’accouchement prématuré
> La complexité des situations et la multiplicité des intervenants nécessitent la mise en place de structures de soins coordonnées et décloisonnées entre le médical et le psychosocial
Delivery before term (at less than 37 weeks of gestation) represents 5 to 10% of the deliveries and is an important cause of perinatal mortality and morbidity. Few improvements in prevention have been made. Difficulties include the multiplicity of medical risk factors, the absence of reliable diagnostic tests and the limited effectiveness of medical treatment. Several studies have shown that psychosocial risk factors are associated with preterm labour. The identification and management of these risk factors and of unfavorable social environment may potentially reduce the risk of preterm delivery. We describe and discuss the studies evaluating psychosocial interventions aiming at reducing the risk of prematurity.