L’aptitude à conduire est définie comme un déficit durable pendant lequel un conducteur ne peut plus conduire son véhicule de manière sûre, sans mettre en danger les usagers de la circulation routière. Cela concerne en particulier les personnes qui présentent une problématique importante pour l’alcool, les drogues ou les médicaments psychotropes, ainsi que celles présentant une grave affection médicale ou psychiatrique.
L’examen d’aptitude doit répondre à la question suivante : «Le conducteur expertisé est-il apte, du point de vue de son état de santé physique et mentale, à conduire dans le trafic un véhicule correspondant à la catégorie de permis dont il est titulaire sans s’exposer ou exposer autrui à un risque augmenté d’accident ?»
Dans toutes les législations en Europe, pour qu’une personne puisse conduire un véhicule à moteur, elle doit satisfaire à certaines exigences médicales minimales (qui sont évidemment plus exigeantes pour les catégories professionnelles). En Suisse, mis à part pour l’acuité visuelle, ces exigences définies dans l’annexe 1 de l’OAC (Ordonnance réglant l’admission à la circulation routière) sont relativement floues, laissant, en fait, aux médecins une grande marge de manœuvre. Signalons d’ailleurs que ces exigences médicales minimales vont être prochainement révisées et seront donc plus précises et tiendront mieux compte de pathologies importantes comme par exemple les troubles cognitifs ou l’apnée du sommeil.
Ces exigences minimales doivent être vérifiées par un médecin tous les deux ans à partir de 70 ans. Cet examen suivant les cantons est effectué soit par le médecin traitant de l’intéressé, soit par un médecin-conseil indépendant désigné dans chaque région. En cas de conflit avec ce premier avis, le conducteur a la possibilité par l’intermédiaire du Service des automobiles d’être alors adressé pour une expertise à un Institut de médecine légale pour une évaluation spécialisée. Cette dernière institution ou un médecin expert peuvent également être mandatés directement par l’autorité qui délivre les permis de conduire (Service des automobiles) lorsque des infractions très graves ont été commises dans la circulation routière laissant planer un doute sur l’aptitude à conduire. Pour les catégories professionnelles, selon la loi fédérale, l’examen médical doit être effectué par un médecin-conseil désigné par l’autorité et a lieu tous les cinq ans avant 50 ans et tous les trois ans de 50 à 70 ans.
Un médecin généraliste peut donc devoir remplir un certificat d’aptitude sur un formulaire officiel pour un de ces patients qui le lui demanderait. Cette situation présente des avantages et des inconvénients. Le médecin a l’avantage de mieux connaître l’état de santé de son patient et, à travers la confiance qu’il a pu développer avec ce dernier, il peut parfois le convaincre mieux que personne de renoncer à conduire un véhicule. Le médecin peut également être conscient que l’intérêt du patient peut justement être d’éviter un accident grave pour lui-même et pour autrui.
Par contre, le médecin traitant qui devient tout à coup «expert» pour son patient peut se trouver dans un important conflit de loyauté l’empêchant de prendre une décision qui serait mal vécue par son patient. C’est pour cette raison que certains cantons en Suisse exigent que cette évaluation ne soit faite que par des médecins-conseils.
En dehors d’une situation où le médecin a accepté d’être expert, il a la possibilité légale (art. 14 al. 4 de la LCR – Loi fédérale sur la circulation routière) d’annoncer à n’importe quel moment un cas flagrant d’inaptitude à la conduite automobile, ou même de faire part d’un doute quant à l’aptitude en toute sécurité, chez un patient qu’il suit régulièrement. Pour éviter qu’une personne ne veuille plus se traiter, il s’agit d’une possibilité légale mais en aucun cas d’une obligation. Par contre, selon la jurisprudence actuelle, le médecin doit toujours pouvoir apporter la preuve du caractère suffisant de l’information qu’il a fournie à son patient. Le médecin a donc l’obligation d’informer le patient qui ne pourrait pas conduire en raison d’un problème médical ou médicamenteux, et de le documenter dans son dossier médical.
La Société suisse d’endocrinologie et de diabétologie a émis en 2011 des directives sur l’aptitude à conduire en cas de diabète. En présence de médicaments qui peuvent provoquer une hypoglycémie (insuline, sulfonylurée, glinides), «la glycémie doit être vérifiée avant le départ et lors de déplacements à des intervalles réguliers». Les recommandations, disponibles sur le site internet www.diabetesgesellschaft.ch/fr/informations/brochures/conseils_de_voyage/diabete_conduite/, doivent être respectées.
Les contrôles doivent être plus intenses pour les chauffeurs de poids lourd et de taxi. Par contre, les conducteurs de car et de minibus (catégories D et D1 respectivement) ne sont pas autorisés à conduire s’ils prennent des médicaments hypoglycémiants. Dans ces situations, il est donc important de considérer les médicaments sans risque d’hypoglycémie (metformine, glitazones, inhibiteurs de la DPP 4 et analogue du GLP 1).
La Société suisse de recherche sur le sommeil, de médecine du sommeil et de chronobiologie a édicté des recommandations sur ce sujet en 2007. Elle indique que «l’échelle d’Epworth est utile (pour mesurer le degré de somnolence) mais qu’un faible score ne permet pas d’exclure une somnolence significative». L’examen complémentaire le plus utile est le test de maintien de l’éveil pratiqué dans un laboratoire du sommeil (maintenance of wakefulness test). Les personnes ayant déjà provoqué un accident après s’être endormies au volant devraient consulter un centre du sommeil pour y effectuer ce test de vigilance. Ces recommandations précisent par ailleurs que les chauffeurs professionnels devraient être astreints à des tests de vigilance.
Le médecin prescripteur a le devoir d’informer son patient sur la possibilité d’effets secondaires susceptibles d’interférer avec l’aptitude à la conduite. Les informations délivrées doivent figurer rigoureusement dans le dossier médical. Une liste de médicaments de l’ICADTS (International council on alcohol, drugs and traffic safety : Categorization system for medicinal drugs affecting driving performance) est disponible (www.icadts.nl/reports/medicinaldrugs2.pdf). Ce groupe de travail européen distingue trois catégories de danger des médicaments en lien avec la conduite :
classe 1 : supposé sûr ou effet indésirable improbable ;
classe 2 : probable effet indésirable mineur ou modéré ;
classe 3 : probable effet indésirable sévère ou supposé être potentiellement dangereux.
En France, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) propose une classification semblable (www. afssaps.fr/Infos-de-securite/Mises-au-point/Medicaments-et-conduite-automobile-Mise-au-point/(language)/fre-CH). De manière pragmatique, on peut considérer que les ISRS (Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) par exemple sont en catégorie 1 (peu ou pas de risque) alors que les antidépresseurs sédatifs, les opiacés et les neuroleptiques sont en catégorie 2 : le traitement est compatible avec la conduite automobile après un temps d’adaptation (absence d’effets secondaires influençant la conduite). Par contre, la catégorie 3 comprend les benzodiazépines qui sont clairement dangereuses pour la conduite en cas de prise diurne surtout les trois premières semaines ou s’il y a des substances sédatives de classe 2, des drogues ou des abus d’alcool.
L’évaluation succincte de certaines fonctions cognitives devrait être effectuée par un Mini mental state examination (MMSE), un test de la montre ainsi que le Trail making test (test des tracés). Des perturbations importantes à la réalisation de ces tests (en particulier un MMSE < 25, un test de la montre inférieur à 5/7 points) doivent faire naître de sérieux doutes quant à l’aptitude à la conduite automobile et un examen spécialisé en gériatrie/neuropsychologie doit être effectué. Un article détaillé à ce sujet a été publié récemment dans la Revue médicale suisse proposant un algorithme décisionnel.4