Co-lauréat du prix Nobel 2008 de médecine pour avoir participé à la découverte (c’était en 1983) du VIH, le Pr Luc Montagnier estime aujourd’hui que des médicaments antibiotiques seraient efficaces contre l’autisme. Il vient de tenir une « conférence » en ce sens sous les ors de l’Académie nationale (française) de médecine. Cette prestigieuse institution en est encore sous le choc. Nombre des membres de la compagnie tiennent de tels propos pour déraisonnables (un euphémisme diplomatique) et certains avouent, sous le sceau de la confidence, être scandalisés. « Nous sommes dramatiquement revenus à la médecine du XVIIe siècle », a déclaré l’un d’entre eux au sortir de la séance du mardi 20 mars.
Pourquoi tant d’émotion ? Quels sont les faits ? L’affaire a été assez parfaitement résumée par une dépêche mandée dans la soirée du même jour par l’Agence France-Presse. La voici :
« France, Paris. Le professeur Luc Montagnier, prix Nobel de médecine, a défendu les recherches sur "la piste microbienne" de l’autisme devant l’Académie de médecine, en soutenant que les antibiotiques permettraient d’améliorer un grand nombre d’enfants atteints. (…) "On compte chaque année en France 5000 nouveaux cas d’autisme ou de troubles apparentés", a-t-il dit, notant le caractère "multifactoriel" de ce syndrome des troubles de la communication. C’est "une véritable épidémie" que les facteurs de prédisposition génétique ne peuvent à eux seuls expliquer. Il est donc "logique de s’intéresser à des facteurs environnementaux nouveaux". En particulier aux pesticides, a-t-il poursuivi, en évoquant aussi une exposition accrue aux "radiations électromagnétiques non ionisantes".
Facteurs environnementaux et génétiques participeraient à un phénomène de "stress oxydatif" susceptible de provoquer des "modifications neuronales" et un dysfonctionnement immunitaire. Les enfants autistes souffriraient ainsi d’infections chroniques. Le Pr Montagnier a fait état de "55% d’amélioration rapide" obtenus avec des cures d’antibiotiques sur 97 autistes, en notant que "les enfants réagissent beaucoup mieux avant l’âge de sept ans".
"Il est important de confirmer ces résultats par des essais contrôlés" (un groupe recevant le traitement, l’autre un placebo) », a-t-il ajouté. Après la projection de vidéos montrant les progrès d’enfants traités, qui se sont mis à parler et à pouvoir aller à l’école, il a jugé ces résultats « spectaculaires » car ils « indiquent qu’une fois sur deux, l’autisme n’est pas une condamnation à vie ».
Selon les informations que nous avons pu recueillir, il apparaît que le Pr Luc Montagnier avait déployé une grande énergie pour obtenir de s’exprimer sur ce thème devant ses pairs académiciens ; obtenir aussi que son intervention soit filmée dans ce cadre prestigieux. Il est d’autre part acquis qu’il ne s’agissait pas ici d’une « communication » ayant emprunté le cheminement qui sied habituellement au secrétaire perpétuel de cette Académie en charge de la mémoire et du protocole. Il s’agissait encore moins d’un rapport présenté au nom d’une commission. Mais, plus simplement, d’une « conférence » ouverte par ailleurs au public et à la presse. Un moment très bizarre, pour reprendre le mot d’une personne habituée aux cérémonies académiques hebdomadaires.
L’exercice rituel des questions au conférencier n’était pas prévu. Toutefois, percevant sans doute un agacement collectif grandissant, le président de séance avait jugé préférable de donner la parole au professeur Gilbert Lelord, le spécialiste aujourd’hui historique (terme parfois traduit par celui d’émérite) de l’autisme en France.
« Avec l’élégance et la distinction courtoise qui le caractérise, le Pr Lelord a cherché avec diplomatie de prendre au mieux les distances qui s’imposaient, confie un témoin. Il a notamment rappelé l’absolue nécessité d’une évaluation des faits allégués. »
On observera que cette affaire émerge peu après la très vive polémique qui vient d’opposer en France dans de nombreux médias, toujours sur le front de l’autisme, les tenants d’une approche médicale et scientifique (pour faire court) aux militants défenseurs des vertus thérapeutiques des courants analytiques. Cette émergence survient aussi alors que l’autisme a été décrété grande cause nationale 2012.
Alors ? On pourrait certes tenir cet événement pour quantité négligeable. On pourrait n’y voir qu’une anecdote à tenir impérativement en marge de l’histoire de la médecine et du combat scientifique et médical ; combat contre ce drame et cette impasse que constituent souvent l’autisme et les syndromes autistiques. On peut aussi soutenir le contraire, sauf à tenir pour quantité négligeable deux institutions et les symboles qu’elles portent : d’une part, celle en charge depuis deux siècles de conseiller le gouvernement français sur sa politique de santé et, de l’autre, le prix Nobel de médecine et de physiologie.
On pourrait aussi, pour ce qui concerne le co-lauréat du millésime 2008, ne voir qu’une nouvelle étape d’un parcours personnel, atypique et déroutant. Un parcours dont la plupart des étapes ont été médiatisées tout en constituant autant d’épisodes quelque peu mystérieux. On se souvient peut-être de ces prescriptions de jus de papaye fermenté au pape Jean-Paul II, alors au plus mal. Est-ce à nouveau le cas aujourd’hui avec l’autisme et les antibiotiques ? Cette conférence s’inscrit-elle au contraire dans une démarche pleinement rationnelle, avec la ferme volonté d’explorer au mieux une piste inédite ? On espère en savoir bientôt beaucoup plus. En toute hypothèse, il semble aussi que ce parcours ait croisé, depuis le Vatican, des personnalités et des associations qui œuvrent bien loin dans les marges de la démarche médicale scientifique rationnelle. Bien loin, pour ne pas écrire contre.
La vérité est aussi que l’on peine depuis longtemps déjà à saisir la logique du parcours de l’homme, du scientifique et du médecin. Il a créé, peu après avoir reçu le Nobel, une fondation à but non lucratif qui porte son nom et dont le siège est à Genève. Son but est de « promouvoir et de financer les recherches menées par le Pr Luc Montagnier sur diverses pathologies qui handicapent le vieillissement, font exploser les dépenses d’assurance sociale et atteignent des individus de plus en plus jeunes : il s’agit des cancers, du diabète, des maladies cardiovasculaires, des maladies des articulations et des maladies neurodégénératives.
Ces recherches portent sur les facteurs infectieux et nutritionnels impliqués dans ces maladies, ainsi que celles concernant des maladies infectieuses épidémiques comme le sida ».
(A suivre)