Bien que peu étudié, le diabète cortico-induit est fréquemment diagnostiqué en clinique. Depuis quelques années, la recherche nous permet de mieux appréhender les mécanismes moléculaires sous-jacents aux différents effets des corticoïdes et ainsi de mieux connaître la physiopathologie et les facteurs prédictifs du diabète cortico-induit. Actuellement, en vue d’éviter des complications à court et long termes, l’insulinothérapie reste le traitement de choix. Quelques schémas thérapeutiques sont évoqués, particulièrement en fonction du type de corticoïde reçu, tout en restant le plus pragmatique possible pour améliorer l’adhérence thérapeutique.
Cet article se propose de faire une revue de la littérature existante sur le diabète cortico-induit et des actuelles stratégies thérapeutiques.
Depuis leur découverte dans les années 1940, les glucocorticoïdes (GC) font partie des traitements les plus largement utilisés et les plus efficaces pour contrôler les maladies inflammatoires ou auto-immunes.1 Cependant, leurs effets secondaires métaboliques sont non négligeables, particulièrement sur le métabolisme glucidique.2
Le diabète cortico-induit est une identité fréquemment retrouvée en clinique. Ses mécanismes physiopathologiques sont multiples, de l’augmentation de la néoglucogenèse hépatique à l’insulinorésistance périphérique ou à l’effet toxique direct sur la cellule β. Après l’illustration d’un cas clinique, nous discuterons définition, épidémiologie, physiopathologie, facteurs de risque et traitement du diabète cortico-induit.
Madame P, 49 ans, connue pour une maladie VIH sous trithérapie, consulte en raison de céphalées et myalgies diffuses entraînant une asthénie majeure depuis quinze jours. Un scanner cérébral révèle des lésions multiples prenant le contraste. Au vu de l’absence de syndrome inflammatoire et d’un taux de CD4 (cluster de différenciation 4) dans la norme, une étiologie infectieuse semble peu probable. Un scanner thoraco-abdominal suivi de biopsies bronchiques permet de conclure à un diagnostic d’adénocarcinome pulmonaire d’emblée métastatique.
Pour réduire les risques d’œdème cérébral, une corticothérapie par dexaméthasone est instaurée. Quelques jours plus tard, un diabète cortico-induit se développe avec des valeurs de glycémies atteignant 13 mmol/l.
Dans le diabète cortico-induit, ce sont essentiellement les glycémies postprandiales qui s’élèvent ; de nombreux cas peuvent être sous-diagnostiqués si le dépistage ne s’effectue que sur une glycémie à jeun.3,4 Il faut donc la mesurer à jeun et deux heures après les repas chez tout patient recevant une corticothérapie.5 Les critères diagnostiques du diabète cortico-induit (glycémie à jeun > 7 mmol/l ou postprandiale > 11,1 mmol/l) sont les mêmes que ceux utilisés pour le diabète en général, à la différence qu’ils comprennent une exposition aux GC avec une hémoglobine glyquée normale au préalable (tableau 1).
Les GC sont utilisés pour traiter autant les inflammations aiguës que chroniques, dans des domaines aussi variés que l’allergologie, la dermatologie, la gastroentérologie, la neurologie, l’oncologie, la pneumologie, la rhumatologie…1,6
Gurwitz et coll.7 ont détecté, dans une étude cas-témoins de 11 855 patients du collectif Medicaid, un risque relatif de 2,23 de développer un diabète cortico-induit. Le risque augmente selon la dose quotidienne reçue de GC. Selon l’étude cas-témoins de Gulliford et coll.,8 l’incidence du diabète cortico-induit serait de 2% dans une population de médecine générale ambulatoire. Dans sa revue de littérature, Clore et coll.3 avance un odds ratio entre 1,5 et 2,5, donc un risque doublé de diabète induit par des GC, bien que la prévalence exacte du diabète cortico-induit reste inconnue.9
Chez le patient hospitalisé en médecine interne générale, on estime qu’environ 11% de l’ensemble des patients sont traités par hautes doses de GC (> 40 mg de prednisone/jour pendant au minimum plus de 48 heures), avec 64% des patients développant au moins un épisode d’hyperglycémie et près de la moitié un diabète.10 Chez le patient transplanté rénal, une incidence de 18% de diabète post-transplantation est observée. Ce résultat est toutefois majoré par l’effet de la cyclosporine, connue pour diminuer la production compensatrice d’insuline.3,11 Le diabète cortico-induit est en définitive une problématique récurrente retrouvée en ambulatoire et plus fréquemment encore dans le domaine hospitalier.
Ces 60 dernières années, d’importantes découvertes ont permis d’affiner notre compréhension des mécanismes liés aux différents effets des GC. Ces progrès ont été permis par l’identification du récepteur aux GC, une protéine liant l’ADN et agissant comme régulateur de la transcription.1 Ces nombreux effets dépendent par conséquent du type de cellule, de leur stade de différenciation et de l’environnement. Ainsi, l’effet anti-inflammatoire s’exprime par l’interférence avec les voies de certains facteurs de transcription (NF-κB, AP-1), l’activation directe de certains gènes (MKP-1, IL-10, IkB, GILZ, annexin-AI…) et l’activation de voies non génomiques. Les effets sur le métabolisme glucidique sembleraient être plutôt liés à une interaction directe avec l’ADN.1,6
Le diabète cortico-induit s’explique par de multiples mécanismes : une néoglucogenèse hépatique augmentée, une protéolyse et une lipolyse, une insulinorésistance périphérique, une atteinte de la cellule β du pancréas et des effets synergiques des corticoïdes avec les hormones de stress (glucagon et adrénaline).2,5,7,9,12
Chez l’individu traité par GC oraux, on observe des taux d’insuline augmentés pour la même stimulation glycémique que chez l’individu non traité, évoquant une résistance tissulaire avec diminution secondaire de la synthèse d’insuline menant à un diabète cortico-induit.2,3,13,14 En effet, en inhibant le métabolisme glucidique des adipocytes et des muscles par le biais de l’inhibition des GLUT4 (transporteurs du glucose), les GC induisent une résistance importante à l’insuline, principal acteur de leur effet diabétogène (figure 1).2,3,5
GC : glucocorticoïdes ; G6Pase : glucose-6-phosphatase ; GH : hormone de croissance ; HTA : hypertension artérielle ; PEPCK : phosphoénolpyruvate carboxykinase.
Dans leur étude populationnelle, Gurwitz et coll.7 notent un risque directement lié à la dose quotidienne de GC reçue, à l’âge et au fait d’être institutionnalisé ou hospitalisé dans les quatre mois précédant l’enrôlement. D’autres facteurs de risque, tels qu’une anamnèse familiale positive pour un diabète, une intolérance au glucose préexistante, un indice de masse corporelle élevé, ont été évoqués.4,11,14 Cependant, les deux facteurs prédictifs les plus importants semblent bien être la dose totale de glucocorticoïdes reçue et la durée du traitement (figure 2).3
Plusieurs cas de comas acidocétosique ou hyperosmolaire liés à une corticothérapie sont relevés dans la littérature, dont certains avec une issue fatale.10 Les conséquences à long terme d’un diabète sont bien connues, notamment en ce qui concerne le risque infectieux ou microvasculaire.4 L’étude de van den Berghe 15 démontre que chez des patients de soins intensifs principalement chirurgicaux, non connus pour un diabète préexistant mais développant une hyperglycémie, un contrôle strict de celle-ci (4,4 mmol/l à 6,1 mmol/l) induit une réduction de la morbidité et de la mortalité. D’autres essais confirment que c’est bien le contrôle glycémique strict plutôt qu’un effet direct de l’insulinothérapie qui est protecteur.16,17 Cet important effet bénéfique est confirmé par d’autres études, avec toutefois une cible plus permissive (7,8-10 mmol/l), permettant d’éviter la surmortalité liée aux épisodes d’hypoglycémie.16,18,19
Les recommandations de traitement du diabète cortico-induit (tableau 2) sont très variables suite au manque de données permettant une prise en charge optimale.19 Le risque étant surtout lié à l’exposition aux GC, il paraît raisonnable d’évaluer si la posologie peut être diminuée ou même stoppée.
Ni les mesures diététiques, ni la réduction de la sédentarité, toutes deux proposées en prévention primaire, ne sont à ce jour validées par la littérature.4,5,18
Les antidiabétiques oraux (ADO), tels que les sulfonylurées, la metformine ou les thiazolidinediones ont été suggérés comme traitement, bien que souvent insuffisants pour obtenir un contrôle glycémique satisfaisant. De plus, le patient nécessitant une corticothérapie présente fréquemment des contre-indications aux ADO ; l’étroite marge thérapeutique des sulfonylurées, couplée à une longue latence d’action des thiazolidinediones écartent souvent ces traitements lors d’un diabète cortico-induit.3,5,9,16
La plupart des patients nécessiteront ainsi une insulinothérapie avec une surveillance glycémique et un ajustement régulier. Les glycémies postprandiales s’élèvent dans le diabète cortico-induit, ce qui correspond au profil pharmacodynamique des GC avec une insulinorésistance augmentant pendant la journée. Ainsi, Clore et coll.3 proposent de façon élégante d’adapter le type d’insuline au profil pharmacodynamique du glucocorticoïde prescrit.
Dans le cas d’un traitement de prednisone avec un pic d’action en miroir à 4-8 heures et une durée d’action de douze à seize heures, on suggérera une insuline de durée intermédiaire (Insulatard, Huminsulin Basal NPH). Cette insuline sera injectée au réveil, avec la prise de prednisone. Si le patient prend un petit déjeuner, l’injection concomitante d’une insuline rapide sera quasiment indispensable, sous peine de voir des glycémies élevées au repas de midi. Une alternative parfois utile est de proposer une insuline prémélangée (NovoMix 30, HumalogMix 25, 50), à injecter juste avant le petit déjeuner et éventuellement aussi juste avant le repas de midi si les glycémies restent élevées durant l’après-midi et la soirée. Sous prednisone, les glycémies élevées de la journée ont tendance à se corriger spontanément durant la nuit et l’injection en soirée d’insuline d’action intermédiaire est alors à éviter.
Dans le cas d’administration de dexaméthasone, présentant une durée d’action plus longue, une insuline lente (Levemir ou Lantus) peut être proposée. Un schéma simple, adapté selon le poids du patient, permet ainsi d’ajuster la dose d’insuline au dosage de dexaméthasone reçu.3 Cette méthode favorise l’adhérence thérapeutique et l’adaptation de la posologie d’insuline au sevrage du corticoïde. Avec une insuline lente seule, les hyperglycémies postprandiales ne seront pas toujours bien jugulées Pour cette raison, d’autres auteurs proposent un modèle basé sur une insuline lente administrée le matin, associée à des insulines prandiales de nouvelle génération (Humalog, NovoRapid, Apidra).5,16,18 Ceci est plus efficace mais implique des mesures répétées des glycémies, relativement compliquées à réaliser en ambulatoire notamment lors de l’arrêt progressif de la corticothérapie. En l’absence d’autres essais, l’ADA (American Diabetes Association) et l’AACE (American Association of Clinical Endocrinologists) recommandent cette prise en charge en intrahospitalier.19
La cible désirée est la même que pour les autres types de diabète, avec une HbA1C < 7% à adapter de façon individuelle suivant les comorbidités du patient, son espérance de vie et le risque d’hypoglycémie.18,19
De nouvelles perspectives se tournent vers les incrétines, agonistes du récepteur à GLP-1 (glucagon-like peptide-1). Ainsi, l’exénatide diminue l’hyperglucagonémie et la vidange gastrique, induite par la prednisone, augmente l’insulinosécrétion postprandiale. Il améliore aussi la tolérance au glucose, sans induire d’hypoglycémie puisqu’il ne stimule pas la sécrétion d’insuline en présence d’une normoglycémie.9
Les effets bénéfiques des glucocorticoïdes sont parfois balancés par des effets délétères non négligeables comme le diabète cortico-induit. Les critères diagnostiques et les objectifs thérapeutiques sont proches de ceux du diabète de type 2, mais la prise en charge du diabète cortico-induit reste disparate par l’absence de recommandations éprouvées par l’évidence. L’évaluation de nouveaux protocoles simplifiés, plus accessibles au patient, permettrait d’améliorer l’efficacité et l’adhérence thérapeutiques.
> Les critères diagnostiques du diabète cortico-induit sont similaires à ceux du diabète de type 2 (glycémie > 7 mmol/l ou postprandiale > 11,1 mmol/l), mais dans le cadre d’une exposition aux glucocorticoïdes et sans diabète existant préalable
> Dépistage par le biais de glycémies à jeun et deux heures après les repas chez tous les patients sous corticothérapie de longue durée ou si le patient présente des facteurs de risque de développer un diabète cortico-induit
> Les deux facteurs de risque principaux sont la dose totale et la durée des glucocorticoïdes prescrits, alors que l’âge, l’indice de masse corporelle, l’intolérance au glucose et le fait d’être institutionnalisé sont aussi évoqués
> L’insulinorésistance périphérique est le mécanisme principal du diabète cortico-induit
> L’insulinothérapie est le traitement de choix avec une insuline lente le matin associée à des insulines prandiales de nouvelle génération
Even though corticoid-induced diabetes is an important clinical finding, there is still a clear lack of investigations in this field. In the last decades research has been conducted on the molecular regulation of the major anti-inflammatory actions of glucocorticoids and their side effects.
Currently, insulin still remains the best current management option available to prevent middle and long term consequences of repeated hyperglycemias.
Some therapeutic suggestions are discussed, especially with the type of corticosteroid given, remaining as pragmatic as possible to improve adherence.
Our objective is to review the current literature on glucocorticoid-induced hyperglycemia and current treatment strategies.