Le paludisme est une pathologie rare dans la pratique courante du pédiatre en Suisse, mais qui doit être suspectée devant tout état fébrile au retour de voyage dans une zone à risque. Une prise en charge rapide est essentielle pour diminuer les risques de complications et de décès. Nous proposons une stratégie diagnostique basée sur l’utilisation de la microscopie et de tests antigéniques rapides. Le traitement dépend de l’espèce de Plasmodium et de la sévérité de la maladie. Pour le paludisme non compliqué à P. falciparum, les associations comprenant un dérivé de l’artémisinine doivent être préférées. La chloroquine peut être utilisée dans la majeure partie des crises de paludisme dues à une des autres espèces de Plasmodium. Le paludisme sévère doit être traité par voie intraveineuse par de la quinine et bientôt par de l’artésunate.
Le paludisme, ou malaria, touche les régions tropicales et subtropicales d’Amérique, d’Asie et d’Afrique. Chaque année, plus de 300 millions d’individus sont atteints. En 2010, le paludisme a causé 1,24 million de décès à travers le monde, dont 90% sont survenus en Afrique subsaharienne. Plus de la moitié concernait des enfants de moins de cinq ans.1
Les voyages en zone tropicale avec des enfants sont devenus fréquents ces dernières décennies. Le paludisme importé reste cependant une pathologie rare dans l’activité en cabinet comme dans les services d’urgences pédiatriques, augmentant ainsi les risques de retard diagnostique. Ce risque est particulièrement marqué chez l’enfant au vu de la haute prévalence des maladies fébriles banales en pédiatrie et de la fréquence des formes atypiques de paludisme (prépondérance de symptômes digestifs).2 La sévérité du paludisme et sa mortalité sont directement liées au délai écoulé entre le début des symptômes et l’initiation du traitement.3 Une identification et une prise en charge rapide des cas sont donc essentielles.
Après un bref survol de la pathophysiologie et de la clinique de la malaria, nous revoyons ici les stratégies diagnostiques et thérapeutiques du paludisme chez l’enfant.
Le paludisme est une infection parasitaire des érythrocytes par un protozoaire du genre Plasmodium transmise par des piqûres de moustiques anophèles femelles.
Le paludisme est classiquement causé par une des quatre espèces suivantes de Plasmodium : P. falciparum, P. vivax, P. ovale et P. malariae. Des infections humaines par P. knowlesi, espèce responsable de malaria chez les singes, sont de plus en plus souvent décrites en Asie du Sud-Est et quelques cas importés ont été notés en Europe.
Toutes les espèces peuvent être responsables de paludisme simple ou non compliqué. Le paludisme sévère est généralement associé à une infection à P. falciparum, mais des complications graves ont également été décrites avec P. vivax et P. knowlesi.
Après injection du parasite dans la circulation sanguine par le moustique, le protozoaire gagne le foie où il entre en phase de reproduction asexuée qui dure au minimum six jours. Les parasites passent alors des hépatocytes à la circulation sanguine et envahissent les globules rouges dans lesquels ils se multiplient (trophozoïtes, puis formation de schizontes), provoquant leur destruction et la libération dans la circulation de nouveaux parasites qui infecteront de nouveaux érythrocytes.
P. vivax et ovale peuvent persister au niveau hépatique sous forme dormante (hypnozoïtes) et provoquer des rechutes plusieurs semaines ou mois après la crise initiale.
Une exposition répétée à la malaria permet d’acquérir une immunité, qui n’est cependant pas complète. Les symptômes présentés par les enfants semi-immuns sont typiquement moins sévères, et une parasitémie asymptomatique est possible dans les zones de forte transmission. Cette immunité disparaît partiellement après 12 à 24 mois passés en zone non endémique. Cette particularité est importante pour la population émigrée de zone endémique retournant en visite dans leur pays.
Toute fièvre au retour d’une zone endémique doit faire évoquer une malaria. En raison de la phase de développement intrahépatique du parasite, les symptômes se manifestent au plus tôt six jours après le contact avec le moustique infectant, mais généralement apparaissent plus tardivement : rarement au-delà de huit semaines avec P. falciparum, mais souvent bien plus tard avec P. vivax par exemple. Les enfants sous chimio-prophylaxie présentent souvent des temps d’incubation plus longs.
La fièvre représente le symptôme cardinal de la malaria. Les fièvres cycliques régulières de type tierce (P. vivax et ovale) et quarte (P. malariae) sont typiques, mais rarement retrouvées en clinique. Les troubles digestifs (vomissements, diarrhées) sont beaucoup plus fréquents chez l’enfant que chez l’adulte et sont souvent au premier plan. On retrouve généralement une anorexie, une irritabilité et une léthargie. Des céphalées, une asthénie et des myalgies sont fréquemment décrites chez l’enfant plus grand. Une toux peut être retrouvée.4 Une pâleur, une splénomégalie et une hépatomégalie peuvent être découvertes à l’examen physique.
Dans le paludisme sévère, on trouve, en plus du tableau clinique précité, un ou plusieurs signes de complications neurologiques, respiratoires, circulatoires, hématologiques, métaboliques et rénales. Les critères de paludisme sévère de l’enfant ont été établis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (tableaux 1 et 2) 5 et diffèrent sensiblement de celui de l’adulte. L’insuffisance rénale, l’œdème pulmonaire et l’ictère sont peu fréquents chez l’enfant. Les convulsions et l’hypoglycémie sont par contre beaucoup plus souvent retrouvées que chez l’adulte. La détresse respiratoire est un signe fréquent du paludisme sévère pédiatrique, mais est généralement secondaire à l’acidose métabolique.
Les séquelles neurologiques secondaires à un neuropaludisme concernent 10% des enfants, alors qu’elles sont plus rares chez l’adulte.5
Les signes de paludisme sévère doivent systématiquement être recherchés, car ils vont influencer la prise en charge de la maladie.
Les anomalies du bilan biologique sont fréquentes mais peu spécifiques. La thrombopénie et l’anémie sont courantes. Les leucocytes sont habituellement normaux ou abaissés. Une perturbation des tests hépatiques peut être observée. En raison de l’hémolyse, on remarque très souvent une élévation des LDH (lactates déshydrogénases) et de la bilirubine. Une insuffisance rénale doit être recherchée, même si elle est rare chez l’enfant. La CRP (protéine C réactive) est généralement élevée. Une hypoglycémie est retrouvée dans 20-30% des cas de paludisme sévère de l’enfant.6
L’examen diagnostique de choix pour confirmer le paludisme reste l’examen microscopique du sang (goutte épaisse et frottis). Il a une bonne sensibilité avec un seuil de détection de la parasitémie entre 0,0001 et 0,001% selon le degré d’expérience de l’examinateur.7 Le frottis sanguin permet de détecter le parasite, d’identifier l’espèce et de quantifier la parasitémie. La technique de la goutte épaisse a une meilleure sensibilité, mais l’identification de l’espèce est plus difficile. Les deux examens sont donc complémentaires, mais prennent du temps (une heure par examen). Au vu du cycle naturel du parasite, lors de suspicion clinique modérée à élevée, les tests microscopiques devraient être répétés à trois reprises (par exemple : toutes les 8-12 heures) avant de pouvoir exclure le diagnostic.
Des tests diagnostiques sanguins rapides sont disponibles. Ils sont basés sur la détection d’anticorps contre des antigènes du parasite. La Plasmodium falciparum lactate déshydrogénase (PfLDH) et l’histidine-rich protein 2 (PfHRP2) sont spécifiques à P. falciparum, alors que la Plasmodium lactate déshydrogénase et l’aldolase sont communes à toutes les espèces de Plasmodium. Les tests rapides utilisent des anticorps dirigés contre l’un ou plusieurs de ces quatre antigènes. Certains tests sont donc capables de détecter les différentes espèces de Plasmodium alors que d’autres sont spécifiques à P. falciparum.
Leur sensibilité dépend de la parasitémie et du format (fabricant) ; elle est généralement bonne à excellente pour P. falciparum, mais nettement inférieure pour les autres espèces.8,9 Les tests rapides doivent toujours être accompagnés d’un examen microscopique. Ils peuvent rester positifs jusqu’à un mois après le traitement d’un paludisme. Ils ne sont donc pas utiles dans le suivi du patient.
Devant une suspicion de paludisme, nous proposons de réaliser un examen microscopique (frottis et goutte épaisse). Le test rapide est indiqué si : a) le délai pour obtenir le résultat de l’examen microscopique excède 2-3 heures ; b) le/la microscopiste est peu familier/ère avec l’examen du frottis/ goutte épaisse ou c) le patient a pris ou prend un médicament actif contre le Plasmodium (par exemple : prophylaxie antipaludique, azithromycine).
Le traitement dépend principalement de la présence de critère(s) de sévérité et de l’espèce plasmodiale. Le paludisme non compliqué peut être traité par une thérapie orale. La première dose doit systématiquement être suivie d’une surveillance d’une heure au cabinet ou à l’hôpital, afin de s’assurer que le patient ne vomisse pas. Le cas échéant, la dose peut être réadministrée après un médicament antiémétique ou un traitement initié par voie parentérale.
Les traitements de choix (médicament, dosage, durée) et certaines alternatives sont résumés dans le tableau 3 et la figure 1.4,10,11
Dans les zones connues pour P. vivax chloroquino-résistant (Asie du Sud-Est, Indonésie, Nouvelle-Guinée), un traitement d’artéméther-luméfantrine ou d’atovaquone-proguanil doit être choisi.
Si disponible, préférer l’artésunate IV à la quinine IV.
FSC : formule sanguine complète ; G6PD : glucose-6-phosphate déshydrogénase.
L’artéméther-luméfantrine (Riamet) est le traitement de choix en raison de son excellente efficacité et tolérance. L’atovaquone-proguanil (Malarone) est une bonne alternative, mais plus souvent associée à des effets indésirables digestifs. En cas d’acquisition en Amérique centrale, la chloroquine peut également être employée, au vu de l’absence de résistance connue dans cette zone géographique.
La plupart des espèces de Plasmodium non falciparum sont sensibles à la chloroquine, bien que des résistances aient été décrites pour P. vivax (principalement en Indonésie et en Nouvelle-Guinée).12 Pour les infections à P. vivax et P. ovale, le traitement doit être suivi d’une thérapie de primaquine afin d’éradiquer les hypnozoïtes et d’éviter ainsi des rechutes. Ce médicament doit être administré seulement après exclusion d’un déficit en G6PD (glucose-6-phosphate déshydrogénase).
Le paludisme sévère nécessite un traitement parentéral et une surveillance hospitalière.
Le traitement le plus efficace est l’artésunate intraveineux chez l’enfant comme chez l’adulte.13,14 Il n’est à ce jour pas encore commercialisé en Suisse, mais sera bientôt disponible dans les centres spécialisés. Dans l’intervalle, la quinine intraveineuse représente la seule alternative disponible en Suisse. La dose de charge est de 20 mg/kg et les doses suivantes de 10 mg/kg. Elle doit être administrée toutes les huit heures dans une perfusion de glucose 5% sur une durée de quatre heures. Il s’agit d’un traitement efficace, mais associé à de nombreux effets indésirables (par exemple : bourdonnements d’oreille et diminution transitoire de l’audition) et nécessitant une surveillance stricte. Au vu des risques d’allongement de l’intervalle QT, un ECG (électroencéphalogramme) est recommandé avant l’initiation du traitement, puis quotidiennement tant que la quinine est administrée (figure 2).
L’utilisation de solution glucosée et une surveillance des glycémies sont essentielles. En effet, la quinine peut potentialiser l’hypoglycémie associée au paludisme sévère.
Dans le cas de parasitémie très élevée (> 10% avec signes d’atteinte d’organe(s)), une érythrocytophorèse ou une exsanguino-transfusion peuvent être discutées au cas par cas. Leur avantage sur la mortalité n’a cependant pas été démontré à ce jour.15
Certains antibiotiques (par exemple : doxycycline) présentent une action schizonticide qui, bien que faible et lente, peut être utile en association avec la quinine pour traiter les souches de P. falciparum d’Asie du Sud-Est et d’Amazonie parfois résistantes à la quinine.12
La durée du traitement complet par quinine est de sept jours, mais un arrêt plus précoce avec relais par un traitement complet de Riamet ou Malarone est le plus souvent possible dès la disparition des critères de sévérité, en l’absence de vomissement.
La dose de charge de quinine est contre-indiquée si le patient a reçu de la quinine, de la méfloquine ou de l’halofantrine dans les douze heures précédentes.
Le paludisme sévère est souvent compliqué d’infections bactériennes, plus particulièrement par des sepsis et des pneumonies d’aspiration. Une antibiothérapie empirique large doit être prescrite en cas de suspicion, même modérée, de co-infection bactérienne.
Lors d’un paludisme sévère, un suivi régulier de la parasitémie est nécessaire afin de s’assurer de sa cinétique décroissante. Nous proposons des contrôles initiaux toutes les 6 à 8 heures qui peuvent s’espacer aux 12-24 heures après deux valeurs successives à la baisse.
En ambulatoire (crise non compliquée), nous proposons un contrôle quotidien jusqu’à négativation de la parasitémie.
En Suisse, le paludisme est soumis à une déclaration obligatoire. Les formulaires de déclaration sont disponibles sur le site de l’OFSP (Office fédéral de la santé publique. www.bag.admin.ch/k_m_meldesystem/00733/00814/index.html?lang=fr).
Le paludisme doit être suspecté devant tout état fébrile au retour de voyage. La fièvre représente le symptôme cardinal de la malaria auquel s’ajoutent des symptômes grippaux. Les plaintes gastro-intestinales sont souvent au premier plan chez l’enfant. Nous proposons une stratégie diagnostique basée sur l’utilisation de la microscopie et des tests rapides. En cas de suspicion clinique modérée à élevée, les tests microscopiques devraient être répétés jusqu’à trois reprises avant d’exclure le diagnostic. Les critères de paludisme sévère doivent être systématiquement recherchés, aux niveaux clinique et biologique, car ils vont influencer la prise en charge. Le traitement dépend de l’espèce de parasite et de la sévérité de la maladie. Pour le paludisme à Plasmodium non falciparum, la chloroquine reste le traitement de choix dans la majorité des cas. Pour la malaria non compliquée à P. falciparum, nous proposons en première ligne l’association artéméther-luméfantrine. Le paludisme sévère doit être traité par de la quinine intraveineuse dans l’attente de la disponibilité de l’artésunate en Suisse.
> Le paludisme doit être recherché devant tout état fébrile, au retour d’un voyage en zone endémique, avec un ou plusieurs examens microscopiques (frottis et goutte épaisse)
> La sévérité de la malaria et sa mortalité sont directement liées au délai écoulé entre le début des symptômes et l’initiation du traitement
> La présentation du paludisme chez l’enfant est souvent atypique avec des symptômes digestifs au premier plan
> Les critères de paludisme sévère doivent être systématiquement recherchés car ils vont orienter la prise en charge et le traitement
> La quinine IV représente actuellement le seul traitement du paludisme sévère disponible en Suisse. Dès que l’artésunate IV sera disponible sur le marché helvétique, il représentera le traitement de choix
Imported malaria is a rare condition in current paediatric practice in Switzerland but should be suspected in all febrile children returning from a malaria-endemic region. Immediate treatment is essential to decrease the risk of complications and mortality. Severity criteria must always be searched for. We suggest a diagnostic strategy based on the use of microscopy and rapid antigen-detection tests. Treatment depends on the Plasmodium species and the severity of illness. For uncomplicated malaria, a drug combination that includes an artemisinin derivative should be used in priority. Atovaquone/proguanil represents an alternative. Chloroquine can be used in most cases of malaria caused by another Plasmodium species. Severe malaria must be treated intravenously with quinine and soon with artesunate.