L’importance du contrôle de la glycémie chez les patients hospitalisés en soins aigus a été légitimée grâce aux bénéfices sur la réduction significative de la mortalité et de la morbidité intrahospitalières grâce à une insulinothérapie adéquate. Cependant, la gestion hospitalière des patients avec hyperglycémie nous confronte à de nombreuses difficultés, les erreurs de prescription d’insuline sont fréquentes et les compétences de gestion insuffisantes.
Notre objectif est de faire évoluer les pratiques hospitalières, médico-infirmières, vers une gestion efficace et sûre du patient hospitalisé.
L’approche que nous présentons dans cet article a été créée à partir de l’observation de l’accompagnement thérapeutique du patient chronique et en y associant le management systémique.
Le Service d’endocrinologie-diabétologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne a relevé le défi d’élaborer une approche originale afin d’optimaliser la gestion de l’hyperglycémie. Le modèle élaboré propose une approche globale du système hospitalier tout en intégrant les perceptions des différents professionnels de la santé.
De nombreuses études relatent l’augmentation significative de la mortalité et de la morbidité intrahospitalières chez le patient hyperglycémique.1 La littérature médicale décrit abondamment les difficultés de la prise en charge des patients avec hyperglycémie en soins aigus.2 Des erreurs dans la prescription de l’insuline sont fréquemment observées,3 ce qui augmente les risques d’hyper et d’hypoglycémies iatrogènes. Néanmoins, ces erreurs sont aussi une conséquence du manque de compétences dans la gestion hospitalière du diabète, compétences nécessaires pour atteindre les objectifs suggérés par les recommandations proposées par les sociétés savantes.4 Une récente enquête conduite dans un hôpital suisse faisait état des obstacles existants :5 connaissances insuffisantes, crainte de l’hypoglycémie, scepticisme sur les avantages d’un bon contrôle et manque d’outils. Par ailleurs, l’hôpital universitaire est, par définition, un lieu de formation des professionnels de la santé, ce qui génère une entropie des compétences et une instabilité de la mémoire des équipes.
Nous avons répertorié plusieurs stratégies qui tentent de combler l’écart entre les pratiques sur le terrain et les recommandations professionnelles dans la gestion du patient diabétique. Nous avons retenu les deux modèles de gouvernance les plus fréquemment cités : le disease management et le chronic care model. Néanmoins, ces modèles ne nous semblent pas représenter une alternative valable à l’amélioration de la gestion hospitalière du patient. Le disease management se concentre essentiellement sur la personne atteinte de la maladie chronique et a pour objectif principal de favoriser la prise en charge par le malade lui-même. Le disease management développe une démarche visant à améliorer les connaissances et les compétences du patient sans inclure activement les soignants dans la démarche.
Le chronic care model regroupe les actions d’intervention relatives aux maladies chroniques sous trois grandes sphères : la communauté, le système de santé et la prestation de services. Les actions d’intervention visent à concevoir des équipes de soins proactives et organisées interagissant avec des patients informés et actifs.
Ces modèles ne prennent pas en compte le patient en état critique et hospitalisé. Selon notre expérience, dans le milieu hospitalier, il ne s’agit pas seulement d’interactions entre patients et soignants, la problématique est bien plus vaste. Il existe un nombre important de relations complexes entre les éléments qui constituent le système de prise en charge hospitalière (spécialistes, généralistes, médecins, infirmières, diététiciennes, patient, protocoles thérapeutiques, systèmes informatiques, gestion des données patient, etc.).
Notre modèle est le produit du métissage entre l’accompagnement thérapeutique du patient chronique, la systémique du management et la caractérisation des phases informelles en amont des projets d’innovation. Nos valeurs se fondent sur le suivi du malade chronique où toute prise en charge s’inscrit dans une démarche de partenariat. Ces mêmes valeurs s’appliquent, à notre avis, à la gestion d’une équipe de soins. Cependant, face à un projet comportant le management des professionnels dans une entreprise, l’accompagnement thérapeutique manque d’outils et de stratégies. Nous avons exploré des stratégies plus appropriées dans la façon dont D. Beriot 6 aborde la systémique du management. Il favorise la vision globale d’une problématique et la recherche de leviers pour surmonter les difficultés plutôt que s’attaquer à la cause d’un dysfonctionnement. La réalité du terrain nous a confrontés au caractère instable de la prise en charge hospitalière. La théorie de l’acteur-réseau, de Callon et La Tour,7 nous a permis de comprendre et d’appréhender ce processus. Le changement est vu comme le résultat d’une négociation entre partenaires qui se transforme en fonction des traductions des acteurs impliqués. L’approche que nous avons élaborée (figure 1) appelée IEMIAP (intéressement, enrôlement, modélisation, implémentation, accompagnement, pérennisation) a comme finalité de promouvoir l’évolution des pratiques hospitalières vers une gestion efficace et sécuritaire du patient.
L’intéressement permet de créer la situation favorable au lancement de l’innovation, d’une part, en manifestant notre intérêt pour la façon dont les soignants gèrent habituellement le diabète et, d’autre part, en suscitant la participation des décideurs médico-infirmiers. Nous identifions les besoins des équipes, les ressources, les contraintes, les priorités afin d’orienter les objectifs. En complément, nous réalisons un recueil de données glycémiques. L’enrôlement définit un accord formel sur les enjeux, les objectifs spécifiques et la méthode de développement adaptée à la topologie du service. Le tout se concrétise dans un document de travail commun. Ce moment est décisif dans la mise en place du modèle de gestion. La modélisation concrétise la planification, en partenariat, de la formation. Celle-ci est structurée autour de nouveaux outils de gestion de l’insulinothérapie à l’hôpital. L’implémentation représente la date symbolique d’introduction du changement. L’accompagnement permet, grâce à la présence de l’équipe d’experts sur le terrain, d’orienter la réflexion autour de situations concrètes. La pérennisation se caractérise par deux composantes principales : l’évaluation régulière des acquis, pour adapter nos offres de formation, et l’attention apportée au maintien de l’implication des cadres et des référents.
La plus-value de l’approche IEMIAP réside dans le fait d’être un processus récursif, non hiérarchisé, qui favorise l’émergence d’une vision commune de la qualité des soins.
L’enjeu principal de la formation que nous proposons est d’éradiquer les pratiques obsolètes et inefficaces. L’objectif de la formation est : permettre aux soignants de se familiariser avec une gestion adéquate de l’insulinothérapie au travers de «supports transitionnels».
Le message central est celui de l’importance de couvrir les besoins en insuline de l’organisme, soumis à un stress aigu, en appliquant une insulinothérapie appropriée. Chaque hyperglycémie reflète un manque, absolu ou relatif, d’insuline. Sa prise en charge pendant l’hospitalisation nécessite une gestion individualisée, pour couvrir le besoin basal, nécessaire au fonctionnement des organes, et les besoins nutritionnels, liés aux apports glucidiques. Pour ce faire, une insulinothérapie de type «basal/bolus» est le schéma proposé. A contrario, la pratique dominante dans la gestion de l’hyperglycémie dans la plupart des hôpitaux du monde, connue sous le nom de «schéma d’Actrapid» (sliding scale), ne se base pas sur la cinétique de sécrétion physiologique de l’insuline. Ce schéma consiste à administrer des injections d’insuline rapide uniquement en cas de glycémie élevée. Il est évident que ce schéma, basé uniquement sur l’hyperglycémie de l’instant présent, n’est pas en mesure de couvrir les besoins du patient.8
Le basal/bolus, quant à lui, associe une injection d’insuline lente (NPH en deux injections ou glargine/détémir en une injection), couvrant le besoin basal, à trois injections d’insuline rapide (aspart/lispro/glulisine), au moment des repas. Pour en assurer une gestion efficace, ce schéma nécessite un suivi glycémique constant (pré et postprandial). Ce cumul de surveillances est un enjeu important à considérer dans le fonctionnement d’un service, car s’il n’est pas intégré dans une démarche réflexive, il sera source de résistance au changement.
Les supports employés pour réaliser la formation sont des outils de gestion, se basant sur le concept physiopathologique illustré ci-dessus, et fruits du travail en partenariat. L’outil pour l’insulinothérapie (voir annexe 2) permet aux soignants de : se créer des repères pour agir ; comprendre les particularités de l’hyperglycémie en aigu ; argumenter le choix thérapeutique. L’outil d’aide à la réflexion pour la sortie du patient (voir annexe 1) permet d’anticiper les relais thérapeutiques pour le retour à domicile.
L’aspect central a été l’évolution de la perception des soignants face à la gestion de l’hyperglycémie pendant l’hospitalisation. L’analyse des réponses obtenues, avant la mise en place de ce nouveau modèle, est résumée dans la partie supérieure de la figure 2 sous forme d’état des lieux. Le manque de connaissances en est l’élément central.
Après l’implémentation de la formation, l’analyse montre, dans la partie inférieure de la figure, une nette évolution dans la perception de la gestion de l’hyperglycémie et l’apparition de nouveaux items (gestion facilitée, support pour argumenter, repères et autonomie). Concernant l’enjeu principal d’éradiquer les thérapeutiques obsolètes (schéma d’Actrapid), il apparaît que, pour la majorité du personnel infirmier, le recours à ce type de schéma n’est plus d’actualité, et les médecins ne prescrivent que rarement cet ancien schéma (figure 3).
Les soignants ont intégré l’importance d’intensifier la surveillance glycémique, vérifier l’impact de l’insuline rapide deux heures après le repas, selon sa cinétique d’action. De plus, nous observons une tendance à réduire les durées d’hospitalisation (tableau 1).
Le modèle de gouvernance que nous proposons, récursif et non pas pyramidal, permet une grande souplesse d’action. La possibilité de revenir sur les phases d’intéressement ou d’enrôlement quand un obstacle a été rencontré nous permet de faire face rapidement au danger de réduire l’implication collective. Améliorer la prise en charge de l’hyperglycémie en soins aigus correspond à amener un changement des pratiques. Ce changement demande une transformation importante par laquelle les soins se trouvent réorientés. Cette approche préconise l’évolution d’un modèle de réponse à la maladie vers un modèle proactif de prévention et d’anticipation de la fin du séjour du patient.
Dans le contexte du diabète, même en gardant un point de vue exclusivement biomédical, la nécessité d’adopter une approche systémique devient évidente. Il ne suffit pas que le soignant soit capable de prescrire, car la glycémie n’est pas un paramètre biologique contrôlable uniquement par des moyens pharmacologiques. Il s’agit d’une gestion bien plus complexe car riche en éléments incertains. Elle est influencée par plusieurs facteurs non pharmacologiques (horaire des repas, inappétence, immobilité, inflammation, stress…). L’intégration de ces éléments de pondération dans la réflexion, la coordination de la gestion de l’insulinothérapie et la gouvernance de tout le système sont indispensables.
Le développement d’un programme de formation des soignants et d’outils pédagogiques pour une gestion efficace de l’hyperglycémie est nécessaire. Cependant, là encore, la formation seule demeurerait insuffisante. Pour concrétiser à long terme l’évolution des pratiques, le programme doit être intégré dans une démarche de réflexion, de partage, d’anticipation et de pérennisation.
La plus-value du modèle de gestion IEMIAP est de viser, d’une part, à développer un programme de formation des soignants pour une amélioration de la gestion du patient hospitalisé et, d’autre part, à doter les équipes d’une vision systémique du diabète.
> L’amélioration de la gestion du patient hyperglycémique hospitalisé nécessite, pour les équipes, l’acquisition d’une vision systémique de la prise en charge de la maladie chronique
> En phase aiguë, l’hyperglycémie de stress, conséquence d’un excès d’hormones de la contre-régulation et de médiateurs inflammatoires, entraîne un déséquilibre entre production et utilisation du glucose et inhibe les effets de l’insuline
> Seule l’insulinothérapie de type basal/bolus peut être effectuée dans le cadre d’une hospitalisation pour obtenir une action efficace, rapide et sûre
> Depuis le début de l’hospitalisation d’un patient diabétique, il faut se poser la question de la gestion à la sortie de l’hôpital et anticiper les besoins possibles (suivis ambulatoire, mise en place d’un centre médico-social, enseignement)
The report of significant decrease of the inpatient hospital mortality and morbidity with an efficient insulin therapy has demonstrated the need of a good glycaemic control for patients hospitalised in acute care. However, one is faced with numerous difficulties in the hospital management of patients with hyperglycaemia, errors often occur when prescribing insulin, and the management skills are insufficient.
Our goal is to change the medical and nursing practices to evolve towards an efficient and safe management of the hospitalised patient.
The model we lay out in this article is based upon observation of the therapeutic support of patients with a chronic condition, whilst using a systemic management approach.