Les voies de la santé publique ne sont pas toujours impénétrables. Mais elles peuvent parfois être plurielles. Ainsi arrive-t-il qu’elles croisent le chemin des publications scientifiques et des médias d’information générale, sans oublier la toujours cruciale dimension commerciale d’une découverte technique. Un exemple nous en est donné aujourd’hui avec un communiqué du service de presse de l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm). «Deux tests de diagnostic rapide de multirésistance aux antibiotiques de spectre large viennent d’être mis au point par l’Unité Inserm 914 "Résistances émergentes aux antibiotiques" (Hôpital de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre) dirigée par le Pr Patrice Nordmann, précise ce communiqué. Ces tests permettent en moins de deux heures d’identifier certaines bactéries qui résistent aux antibiotiques les plus fréquents et les plus importants en clinique. Les bactéries cibles sont en particulier les entérobactéries (comme Escherichia. coli). Une utilisation à l’échelle mondiale de ces tests extrêmement performants (excellentes sensibilité et spécificité) permettra une adaptation individuelle des traitements antibiotiques et un meilleur contrôle de la diffusion des résistances aux antibiotiques notamment en milieu hospitalier.»
Résumons : ces tests diagnostiques vont donc permettre une identification rapide de certaines bactéries devenues résistantes aux antibiotiques et donc d’adapter au mieux les traitements pour les patients infectés ; d’éviter l’usage inapproprié de certains antibiotiques et donc d’éviter l’usage trop fréquent de certains antibiotiques à large spectre. Ils permettront aussi d’isoler les malades porteurs de ces bactéries résistantes pour éviter le développement d’épidémies hospitalières.
Voilà pour ce qui est destiné aux médias et qu’ils voudront bien (ou non) relayer. Le chemin des publications scientifiques n’est pas oublié. Le même communiqué précise ainsi que ces travaux viennent d’être publiés dans deux revues spécialisées d’audience internationale : Emerging Infectious Diseases1 et The Journal of Clinical Microbiology.2
On voit bien que l’on est pleinement ici dans le champ de la santé publique. L’Inserm nous le rappelle à l’envi, qui nous dit que «les bactéries semblent toujours plus nombreuses à émerger, responsables d’épidémies qui dépassent les frontières». Et qui ajoute que «les chercheurs s’accordent sur le fait que ce n’est pas leur nombre qui est en cause mais bien leur résistance de plus en plus forte aux antibiotiques». Avec un focus tout particulièrement dramatique pour les bacilles à Gram négatif comme les entérobactéries.
Ainsi, alors que certains antibiotiques (les céphalosporines à large spectre et les carbapénèmes notamment) étaient réservés aux situations les plus graves, il arrive désormais qu’ils puissent être totalement inactifs vis-à-vis de certaines souches bactériennes pour lesquelles il n’y a plus, dès lors, d’antibiotique efficace. «De ce fait, on voit déjà survenir des échecs thérapeutiques au cours de traitements d’infections de ville assez banales, comme des infections urinaires ou des infections intra-abdominales. Ces échecs menacent la vie des patients» souligne l’Inserm.
Les responsables de la région Europe de l’OMS abondent dans ce sens. Ils précisent aussi que ce phénomène est dû à «l’utilisation répandue, exagérée et abusive d’antibiotiques chez les humains et les animaux» et qu’il «s’agit d’un problème urgent». «Dans l’Union européenne, 25 000 personnes décèdent tous les ans à la suite d’une infection bactérienne grave et résistante, généralement acquise sur les lieux des soins médicaux, ajoutent-ils. Sans la mise au point de nouveaux antibiotiques efficaces, mais avec une aggravation du phénomène de résistance, la société pourrait retrouver les conditions qui prévalaient avant les antibiotiques, quand une infection pulmonaire simple pouvait tuer un enfant, ou quand les médecins étaient impuissants devant les cas de méningite. La tuberculose multirésistante constitue un autre exemple de cette nouvelle menace pour la santé.»
Et il n’est sans doute pas inutile de rappeler en écho que le développement de ces résistances aux antibiotiques risque de compromettre tout un pan de la médecine actuelle, celle qui nécessite l’usage d’antibiotiques efficaces (on pense ici aux greffes, à la chirurgie lourde et aux prises en charge sophistiquées de réanimation).
Et c’est bien avec l’objectif de tenter de freiner ces résistances de plus en plus importantes que les chercheurs de l’Inserm ont mis au point un système de détection rapide. La détection des deux enzymes responsables de la résistance bactérienne très fréquente à deux classes d’antibiotiques ; précisément les céphalosporines de spectre large et les carbapénèmes. Dans ces tests, la présence d’une enzyme signe la présence d’une bactérie résistante.
En pratique, ces deux tests («Carba NP test» et «ESBL NDP test») sont fondés sur les propriétés d’acidification générées par l’activité des enzymes (β-lactamases et les carbapénémases) en présence de l’antibiotique. Si l’une de ces enzymes est présente, le milieu s’acidifie et l’indicateur d’acidité vire de la couleur rouge à jaune.
A l’heure actuelle, ces tests peuvent être réalisés à partir de bactéries isolées dans les urines lors d’une infection déclarée ou à partir des bactéries présentes dans les selles. Le résultat est obtenu en moins de 120 minutes (contre un délai actuellement compris entre 24 et 72 h avec d’autres techniques). Toujours selon l’Inserm, ces tests sont par ailleurs d’une extrême sensibilité et d’une haute fiabilité. Et on souligne (sans doute à l’attention du grand public) qu’ils sont «totalement inoffensifs car réalisés sur les bactéries isolées des patients ou sur les produits biologiques (urines…).»
«Une évaluation de ces tests est en cours pour apprécier leur sensibilité directement à partir de sites infectés comme le sang ou les urines» précise Patrice Nordmann, directeur de recherche Inserm et principal auteur de ce travail. On peut ainsi selon lui espérer, en particulier dans de nombreux pays occidentaux n’étant pas encore en situation d’endémie pour ces multirésistances (la France notamment), réussir à préserver dans une certaine mesure l’efficacité des céphalosporines de spectre large et des carbapénèmes, antibiotiques dits de dernier recours.» Mis en œuvre au lit du malade, ces tests permettront une optimisation de l’antibiothérapie et ceci en particulier dans les pays en voie de développement où les taux de résistance sont très élevés.
Reste, toutefois, précisément à savoir quand ils pourront être utilisés dans les pays en voie de développement. Pour l’heure, ces tests ont fait l’objet de deux dépôts de brevets internationaux auprès d’«Inserm Transfert». Leur commercialisation en cours de développement devrait intervenir dans douze à seize mois. Toutefois, ces techniques novatrices sont actuellement disponibles pour les chercheurs des laboratoires spécialisés qui souhaiteraient participer à leur développement.