Dans quelques mois, nous ne parlerons plus de notre néo-confrère Grégory House. Il est écrit qu’il va disparaître (Rev Med Suisse 2013; 9:214, 294 et 342). Aujourd’hui, les cinquième et sixième étapes de son chemin de croix diagnostique et thérapeutique. Où l’on voit que le monstre a, lui aussi, un cœur. Où on le retrouve seul sous la neige quand tous les autres hospitaliers cherchent et trouvent la chaleur de l’amour. Et ce, quand il reste encore des vies à sauver ? Deux étapes au bord du Styx et à haute valeur métaphorique ajoutée.
Il y a du lycanthrope en House. Les internistes autopsient rarement dans les caveaux de famille. Lui, si. Ce septième épisode le retrouve à genoux devant le cadavre (assez bien conservé) d’un jeune enfant de quatre ans (au moment de sa mort). Les prélèvements sur le cartilage nasal ne donnent rien. Les ongles en revanche (on sait qu’il leur arrive parfois de croître après le décès) sont une mine : intoxication au plomb. Enfin, c’est ce que croit House.
Et, pour dire le vrai, nous adhérons. Car – et ce n’est pas spoiler1 que de l’écrire – à cet instant précis nous sommes Gregory House. Avouons que nous sursautons avec lui quand son téléphone sonne dans le désert de ce cimetière. Nous sommes House comme nous aurions pu être l’épatant Pr Louis Delage (Pierre Fresnay) dans le film Un grand Patron (1951, réalisation du Dr Yves Ciampi, musique de Joseph Kosma). Il s’agissait, à l’Hôpital Cochin de Paris, d’une nouvelle technique de greffe de rein pour entrer plus vite sous les ors de l’Académie. Cette médecine était en noir et blanc. C’était aussi son âge d’or. Les internes et les infirmières admiraient leur patron qui n’était pas sans s’admirer lui-même. Et les malades n’étaient pas devenus des consommateurs de santé. Il s’agissait pour l’essentiel de ne pas mourir. C’est du moins ce que montre le film. Jusqu’au moment où meurt le président de l’Académie ; ce qui n’est pas sans réjouir ses nombreux confrères qui ne l’admiraient guère. Comme souvent dans la vie, les obsèques sont ici un assez beau spectacle. Très confraternel.
Dans son cimetière américain, House entend qu’on lui parle (sur son téléphone portable) de la très jeune fille hospitalisée dont il ne veut pas s’occuper. Aujourd’hui, c’est décidé, il préfère les morts. Quoique vierge, cette jeune fille va donner la vie. Un grand classique (de tous les temps). Dans les sphères gynéco-obstétricales, cela conduit généralement à une impasse tumorale : le choriocarcinome. Le placentaire bien sûr, pas les autres. Il en va de la sorte de nos jours quand on se pique de faire le diagnostic de grossesse sur la seule foi d’un dosage biologique des hormones féminines. Ici, l’échographie reste utile. Ou l’attente.
On ne racontera pas la suite. Le sang expulsé de la tumeur est suivi de ce regard de jeune fille que l’on n’oublie guère quand on a la chance d’en croiser un. Comme dans The Exorcist (1973). L’intoxication au plomb supposée de l’enfant inhumé n’en était pas vraiment une. Elle ne faisait que guider, sur fond de divorce et d’alcoolisme, vers un syndrome d’Alport ; entité décrite en 1927 par le Dr Cecil A. Alport (1880-1959). Une forme de symétrique interniste britannique de Gregory House. Pour résoudre cette énigme le claudicant devra s’enfuir une nouvelle fois du Princeton-Plainsboro. Ce qui lui vaudra d’être menacé une nouvelle fois d’un retour en prison (voir épisodes précédents).
Et c’est ainsi : plus la fin de House approche, plus l’évidence apparaît : hôpital et prison ne font qu’un à front renversé. On soigne dans le premier. La seconde punit. La cause première est hors les murs. Le détenu le sait, l’hospitalisé le pressent. C’est ce qui explique l’irréfragable propension de notre héros claudicant-dépendant à signer sa pancarte. A dire vrai, il n’est pas le seul. Tous les spécialistes français de médecine interne (ils ne sont pas très nombreux et exercent pratiquement tous à l’hôpital) vous confieront volontiers qu’eux aussi sont atteints du syndrome de Gregory : faire le mur pour mieux comprendre. Sortir enfin de cet univers clos où l’on surveille (parfois en punissant). Partir quelques instants sur les lieux où s’est nouée la pathologie sur laquelle ils planchent et doivent mettre un nom. Il y a du Holmes en eux, du Maigret, du Rouletabille, voire du petit reporter. Mais la règle est la règle. Ce privilège est réservé aux légistes, ces artistes souvent méprisés car travaillant à l’ombre de la police. Et rien n’interdit de penser qu’il en est de même en Suisse.
C’est bien cette dimension métaphorique qui est prégnante dans ce septième épisode de la dernière saison. L’acmé est atteinte dans les profondeurs obscures d’un caveau de famille. Le légiste House veut par effraction voir de ses propres yeux. Et tous les légistes, toujours muets, savent ce qu’au fil du temps, il peut leur en coûter. Ici on ne jurerait pas que House ne pleure pas. Devant lui, le père de cet enfant mort aura les yeux de ceux qui boivent. D’ailleurs il boit, et il ne s’en cache pas, au goulot d’une flasque. Du gin vraisemblablement. Et il pleure volontiers, jusqu’au moment où House lui dit que son enfant est en paix. A ce moment, House n’est plus House et la série entre dans une nouvelle dimension. Mais ne spoilons pas.
Au risque de passer pour un cérébral (nostalgique, comme tous les cérébraux), on observera que le huitième épisode est encore une métaphore. Celle de l’Amérique baptiste qui nourrit une paranoïa croissante au moyen d’armes individuelles de destruction massive. Pour mieux se protéger dit-elle, à commencer par protéger ses femmes et ses enfants. Jusqu’au moment où cette psychose débonde devant les caméras des télévisions tachées de sang.
On dit que les personnalités paranoïaques courent les rues aux Etats-Unis, que l’on ne peut plus y recenser les râteliers et ces armes à feu autorisées par les Pères Fondateurs. Le huitième épisode témoigne du caractère hautement contagieux de l’ensemble. House et son équipe sont au chevet d’un procureur. Numéro de virtuoses autour d’une fausse arme de poing qui se révélera méchamment vraie. Bientôt la neige tombera. Tous les autres trouveront la chaleur de la sexualité et le réconfort de l’amour. La consœur hospitalière Cuddy est partie. House restera seul ce soir, avec son sabre.
Au fait, et le malade ? De même que les hypocondriaques ont une pathologie qui les emporte, les paranoïaques peuvent avoir des ennemis. Ou se les faire. Pour ne pas spoiler, on ne dira pas précisément de quoi il retourne. Difficile en revanche de ne pas entendre résonner le croup, cette «toux aboyante». Croup, pas le chien des sorciers écossais, mais bien l’onomatopée franco-anglaise qui signe une maladie dont nos contemporains croient à tort être débarrassés. Une maladie qui doit beaucoup aux hygiénistes allemands Theodor Klebs (1834-1913) et à Friedrich Löffler (1852-1915). Mais qui doit plus encore au médecin (tourangeau et français) Pierre Bretonneau (1778-1862). Sans parler de la trachéotomie qui, même à la télévision, nécessite une grande rigueur d’exécution.
Lycanthrope ? Quand il est considéré comme bon, le médecin est généralement perçu comme bizarre. C’est cette série qui le dit. Et House l’est. A l’envi. Il y a aussi du loup-garou en lui. Un animal à caresser : il est au service de notre santé.