Un de nous (DL), après plus de 35 ans de pratique médicale en maladies infectieuses, va céder la direction du Service des maladies infectieuses de Genève à son successeur et à une équipe de consultants de haut niveau. Une des plus grandes fiertés d’une carrière médicale réussie est de former une relève de qualité et ce but semble atteint à Genève.
A cette occasion, il m’a paru intéressant de comparer ma pratique médicale d’il y a une génération à celle pratiquée actuellement dans ce domaine.
Au milieu des années 70, les premiers groupes de maladies infectieuses se sont constitués dans les hôpitaux universitaires suisses selon le modèle américain (un à trois consultants qui répondaient à des demandes au sein de l’hôpital).
A cette époque, la spécialité infectiologie n’étant pas encore reconnue, les consultants étaient pour la plupart des internistes chevronnés avec une excellente culture générale dans les grands syndromes infectieux. Les tests diagnostiques étant surtout de la bactériologie classique, très lents pour nos standards actuels (plusieurs jours pour avoir des résultats de culture bactérienne, dans des laboratoires distants de l’hôpital, et donc peu d’outils dans l’urgence), nous étions tous forts dans la coloration de Gram sur des prélèvements directs près du lit du malade. Il fallait souvent convaincre nos collègues internistes que nous n’étions pas concurrents mais complémentaires, qu’on était là pour les aider, les soutenir dans le management des cas difficiles et ne pas les critiquer.
Actuellement, les consultations de maladies infectieuses sont le fruit du travail d’équipes volantes, capables de répondre rapidement à des syndromes infectieux fréquents, mais aussi hyperspécialisées pour des patients où une expertise pointue est nécessaire, comme des patients greffés, porteurs de prothèses intracorporelles infectées ou souffrant de maladies à rétrovirus chroniques, sans oublier les interactions avec nos collègues sous-spécialistes infectiologues, pédiatres, gynécologues, tropicalistes, hépatologues, etc.
Les équipes d’infectiologues sont rapides à se mobiliser et capables de répondre à toutes les situations dans l’hôpital, 24 h/24, depuis la femme infectée qui accouche, le nouveau-né souffrant, le patient neutropénique hautement fébrile, et celui de retour d’un voyage dans le tiers-monde. Nous répondons dans la journée aux appels et questions des médecins de ville et nous nous occupons des patients hospitalisés dans nos lits.
Les progrès de la médecine, comme les traitements anti-inflammatoires, immunomodulateurs, anticancéreux, les manœuvres invasives ou les traitements antirejet, génèrent des patients plus susceptibles aux infections dues à des germes peu virulents ou peu connus qui constituent une population à grand risque que nous suivons parfois préventivement.
En parallèle, les laboratoires de microbiologie hospitaliers et universitaires sont devenus de plus en plus perfectionnés et constituent les collaborateurs indispensables des cliniciens infectiologues et, pour améliorer ce travail en équipe, les cadres de laboratoire microbiologistes participent presque toujours aux consultations, permettant une compréhension complète du cas.
L’enseignement aux jeunes équipes médicales joue un rôle prépondérant dans notre activité et notre présence est extrêmement bien accueillie, non seulement pour les solutions à des problèmes complexes qu’elle apporte mais aussi pour l’apprentissage qui y est associé.
Pour le diagnostic de cas complexes, il est clair que rien ne remplace l’anamnèse dans la langue maternelle du patient et un bon examen clinique.
Nous sommes fiers de la rapidité et du potentiel inouï qu’ont apporté les nouveaux outils de microbiologie. On peut poser, grâce à de nouveaux tests et à la biologie moléculaire, des diagnostics d’infections bactériennes, virales ou fongiques en quelques heures, ceci étant critique quand on sait que lors d’un sepsis, plus tôt on traite correctement, plus on sauve de vies.
La virologie a véritablement explosé. En présence d’une infection respiratoire, on arrive en quelques heures à savoir si l’on est en présence d’un virus de l’influenza et de le traiter si nécessaire, ou encore d’une dizaine de virus respiratoires parmi les plus fréquents, permettant une épidémiologie précise dans la population en général, dans un EMS pour personnes âgées, dans des unités de soins dans les hôpitaux ou dans la communauté. On assiste littéralement à des développements d’un grand potentiel dans les traitements antiviraux.
L’augmentation des connaissances est telle qu’il est très difficile de les assimiler et de les intégrer dans la routine. On arrive déjà à lire le génome bactérien ou viral en recherche, et ce processus est de plus en plus intégré en routine ; on peut ainsi comprendre d’une manière inégalée à quel germe pathogène on a affaire, d’où il vient, comment potentiellement le traiter.
Ceci est devenu critique dans une période où l’échange d’ADN a permis à de multiples espèces bactériennes de progresser vers une résistance accrue aux multiples classes d’antibiotiques, créant des situations où l’on n’arrive plus à traiter un patient (multirésistance totale).
Le séquençage permet non seulement la caractérisation d’une espèce, mais aussi l’étude des populations bactériennes différentes dans le tube digestif, la peau, le nez et d’autres parties du corps. On pense actuellement que le microbiome complexe joue un rôle-clé dans la santé et la maladie de tout individu.
Notre coexistence avec le monde microbien, et heureusement plus rarement l’antagonisme, est appelée à nous aider à mieux comprendre nos origines, notre évolution, l’apparition de nouvelles maladies ou même de syndromes rares dont l’étiologie ne paraissait pas, de prime abord, être de nature infectiologique.
Sans infectiologie et microbiologie modernes, les hôpitaux ne pourraient plus tourner et soigner des cas de plus en plus complexes ainsi qu’intégrer les nouvelles technologies de soins.
Quel sacré chemin parcouru en une génération, avec la certitude que beaucoup de nouvelles découvertes sont encore à venir.