Les troubles de la marche, de l’équilibre et de la production de force maximale et explosive chez le sujet âgé sont associés à un risque accru de chute et de nombreux événements défavorables (par exemple, dépendance, institutionnalisation, décès). L’évaluation des performances de marche, d’équilibre et musculaires occupe une place centrale dans le dépistage et la prise en charge des patients à risque de chute, tout comme dans le développement de stratégies d’interventions ciblées. Le présent article propose une brève revue des principales méthodes d’évaluation applicables au sujet âgé, allant des tests cliniques simples et validés, facilement administrables en pratique courante, aux évaluations instrumentales plus complexes à mettre en œuvre, recommandées pour les essais cliniques ou les études longitudinales.
L’écrasante majorité des fractures chez le sujet âgé survient au décours d’une chute à basse énergie.1 Le rôle prépondérant joué par la chute dans la fracture du sujet âgé est aujourd’hui bien reconnu. Ceci implique la reconnaissance de la pertinence d’une action combinée sur les facteurs de risque de chute et d’ostéoporose.
Plus d’un tiers de la population de plus de 65 ans et 50% de celle de plus de 80 ans chutent chaque année.1,2 Au moins 10% de ces chutes se compliquent d’un traumatisme sévère, avec une fracture survenant dans approximativement 2 à 5% des cas, le plus souvent sur un os ostéoporotique. Déterminant indépendant du déclin fonctionnel, la chute constitue un facteur contributeur majeur d’entrée dans la dépendance, d’institutionnalisation et de décès.2 Du seul fait de l’évolution démographique (c’est-à-dire d’ici à 2030, la population suisse âgée de plus de 65 ans devrait augmenter de 60%), le fardeau humain et sociétal imposé par les chutes et les fractures associées devrait continuer à s’alourdir. L’évaluation des performances de marche, d’équilibre et musculaires va occuper une place centrale dans le dépistage et la prise en charge des patients à risque de chute, tout comme dans le développement d’interventions ciblées.
Si l’étiologie des chutes est le plus souvent multifactorielle, les troubles de l’équilibre et de la marche, ainsi que la faiblesse musculaire en constituent les principaux facteurs de risque (tableau 1).2 La majorité des chutes survient au cours d’activités élémentaires de la vie quotidienne que sont la marche ou les transferts, activités motrices par essence complexes sous la dépendance de multiples structures centrales ou périphériques intriquées, et nécessitant l’intégrité du système ostéo-articulaire. La sémiologie clinique des troubles de la marche permet parfois d’établir des corrélations anatomocliniques (tableau 2).3 Les déficits de marche et d’équilibre chez le sujet âgé, liés au vieillissement physiologique et pathologique, incluent une capacité diminuée à compenser les perturbations ou encore à gérer des tâches cognitivo-motrices interférentes.4 La faiblesse musculaire induit une diminution de la force, mais également de la puissance musculaire (c’est-à-dire capacité à générer rapidement une force), cette dernière étant beaucoup plus en lien avec les capacités fonctionnelles.
En pratique clinique, l’évaluation des performances de marche, d’équilibre et musculaires va pouvoir être réalisée à visées diagnostique et pronostique. Elle va notamment constituer une étape cruciale dans l’évaluation du risque de chute, mais également de survenue d’événements péjoratifs, le déclin des performances physiques ayant été associé à de nombreux événements défavorables au-delà du déclin fonctionnel.5,6 Elle va également permettre d’orienter et d’objectiver l’efficacité de la stratégie de prise en charge, avec la précision d’objectifs appropriés (figure 1).7 Dans le cadre de la recherche, l’évaluation des performances physiques va également trouver toute sa place, les mesures associées représentant notamment des critères primaires ou secondaires d’efficacité (ou critères de substitution) potentiels pour les essais cliniques de phase II ou III. Considérant les enjeux, il appartiendra préalablement de considérer les qualités métrologiques de l’outil d’évaluation dans le contexte et la population étudiée (par exemple, connaissance du Minimal Detectable Change).
(Adaptée de réf.7).
Il propose une évaluation multifactorielle du risque de chute et de fracture suivie d’une intervention individualisée.
L’évaluation systématique et quantifiée des déficits de la marche, de l’équilibre et musculaires au moyen d’équipements techniques et d’indicateurs validés, permet d’adapter les stratégies de réhabilitation.
Nous allons porter notre attention sur les évaluations cliniques et instrumentales les plus couramment appliquées en pratique et recherche cliniques, notamment dans le contexte de la chute et de la sarcopénie du sujet âgé.8,9
De nombreux tests cliniques permettant d’apprécier les performances de marche, d’équilibre et musculaires ont été décrits et validés dans le cadre de l’évaluation multidimensionnelle gériatrique. Les principaux tests standardisés exposés ci-après sont facilement utilisables en pratique courante, du fait de leur simplicité de mise en œuvre (c’est-à-dire équipement de base requis et temps de passation court) et d’interprétation. Si ces tests ont montré de bonnes propriétés psychométriques, leur valeur prédictive dans l’estimation du risque de chute reste toutefois controversée.
Le TUG10 (figure 2) évalue le temps nécessaire pour effectuer une série de manœuvres de mobilité élémentaires. Une observation clinique fine peut par ailleurs être réalisée. Le TUG occupe actuellement une place centrale dans les recommandations et algorithmes décisionnels d’évaluation du risque de chute et de prise en charge émanant des sociétés savantes.11 Ce test est notamment recommandé au médecin de premier recours chez tout patient de plus de 65 ans rapportant une chute dans les douze mois précédents ou des difficultés avec l’équilibre et/ou la marche.
Le SPPB (figure 2), outil composite d’évaluation des performances physiques, est recommandé dans les récentes conférences de consensus pour le dépistage de la sarcopénie, pour documenter la perte de la fonction musculaire, y compris pour les essais cliniques ou études longitudinales (tableau 3).8,9 Chacune de ses composantes peut être utilisée seule.
La vitesse de marche à allure confortable (c’est-à-dire sur quatre ou six mètres), marqueur précoce de fragilité, s’est montrée aussi sensible que les outils composites pour prédire la survenue d’événements négatifs. Elle peut être utilisée seule en pratique et en recherche cliniques. Une vitesse de marche < 1 m/sec peut être considérée comme anormale, une vitesse < 0,6 m/sec comme sévèrement anormale. Le test de marche de six minutes, qui constitue plutôt un indicateur de tolérance à l’effort et d’endurance, est également couramment utilisé. Il consiste à mesurer la distance maximale parcourue en six minutes dans un couloir étalonné.
Le test de Tinetti12 (ou POMA, Performance oriented mobility assessment), comprend deux parties, l’une centrée sur l’évaluation statique et l’autre sur la marche. Il inclut l’évaluation simple de la station unipodale yeux ouverts, un temps < 5 secondes a été associé à un risque de chute traumatisante. Une version simplifiée à sept items (figure 2) (22 items dans la version originale) peut être appropriée à l’évaluation de routine. Chez les patients chuteurs, l’évaluation peut être complétée par une évaluation de la capacité à se relever seul du sol et de la peur de tomber.
Le SCPT13 a été proposé comme une mesure simple de la puissance des membres inférieurs. Il s’agit pour le sujet de monter dix marches le plus rapidement possible. La puissance est calculée à partir du temps de montée, de la hauteur des marches et du poids du sujet.
D’autres alternatives existent pour apprécier les capacités motrices minimales chez des patients très fragiles (par exemple, autonomie de chambre), tels que le test moteur minimum composé de vingt items allant du décubitus à la marche.
Les mesures quantifiées et objectives de performances issues de méthodes instrumentales sont incontournables dans le cadre de la recherche, notamment au regard de leur sensibilité au changement. Ces dernières trouvent également leur utilité en pratique courante, principalement comme aide au diagnostic étiologique ou différentiel. L’évaluation instrumentale de la marche et de l’équilibre va ainsi permettre de compléter avec précision l’évaluation clinique, y inclus l’identification d’altérations non visibles à l’œil nu. Les techniques les plus communément répandues sont l’évaluation à partir de systèmes d’analyse quantifiée de la marche (par exemple, couplant système optoélectronique, électromyographique, vidéo et plates-formes de force), de locomètres, d’accéléromètres/gyroscopes (figure 3A) ou encore de plates-formes de stabilométrie. La plupart de ces techniques, du domaine du laboratoire, sont coûteuses sur le plan matériel et humain (par exemple, personnel spécialisé requis), et nécessitent une forte interface avec les cliniciens.
A. Gyroscopes SwayStar ; B. Tapis intégrant des capteurs de pression plantaires GAITRite ; C. Dynamomètre JAMAR ; D. Dynamomètre isocinétique BIODEX.
L’évaluation des paramètres spatio-temporels de la marche a connu un réel essor ces dix dernières années en pratique courante, coïncidant au développement de tapis intégrant des capteurs de pression plantaires (figure 3B).14 Différents paramètres ont notamment été identifiés comme des facteurs prédictifs du risque de chute (par exemple, une réduction de la vitesse ou encore une augmentation de la largeur du pas et de la durée de la phase de double appui) (figure 4). Une variabilité de la marche augmentée est également aujourd’hui reconnue comme un facteur de risque de chute. Plus encore, l’analyse de la marche sous condition de double tâche peut apporter une réelle plus-value dans l’identification des patients à risque.
De multiples instruments permettent une mesure objective de la force et de la puissance musculaires de groupes musculaires variés, dans différentes modalités de contraction.
Les dynamomètres isométriques sont adaptés à la pratique et à la recherche cliniques en raison de leur simplicité d’utilisation et de leur faible coût. La principale application demeure la mesure de la force maximale isométrique de préhension (figure 3C) qui peut constituer un critère de substitution pour des mesures plus complexes de force. Une faible force de préhension représente un marqueur clinique de fragilité et de survenue de nombreux événements négatifs.6
Les dynamomètres manuels permettant un testing musculaire quantifié demeurent également une bonne alternative en routine clinique, tout particulièrement en comparaison au testing musculaire simple (par exemple, utilisation de l’échelle MRC) qui n’est pas sans contrainte (par exemple, effet plafond, disproportionnalité entre les grades, cotation subjective).
Les mesures isotoniques de force à charge constante se font principalement à partir de machines à résistance. La force maximale est caractérisée par la charge maximale (1 RM/une répétition maximale) que le sujet peut, à une seule reprise, mobiliser dans l’amplitude totale et sans mouvement compensatoire.
Les dynamomètres isocinétiques (figure 3D), considérés actuellement comme la méthode de référence, permettent de déterminer la force (c’est-à-dire pic de couple), la puissance, le travail musculaire et les déséquilibres agonistes/antagonistes de nombreuses articulations. Les vitesses angulaires (par exemple, isocinétisme = mouvement à vitesse constante), amplitudes et modes de contraction peuvent être contrôlés. Une phase de familiarisation est nécessaire. Cette technique reste plus adaptée pour la recherche, nécessitant des moyens coûteux en appareil et en temps d’examinateur. L’électromyographie de surface, la stimulation électrique et l’ultrasonographie demeurent trois techniques principales complémentaires pour explorer les mécanismes centraux ou périphériques sous-tendant la capacité à générer une force.
L’évaluation des déficits de marche, d’équilibre et de production de force maximale et explosive, va constituer une étape cruciale dans l’évaluation du risque de chute, et donc potentiellement de fracture, mais également de sa prise en charge puisqu’elle va conditionner les interventions futures. Une réversibilité, au moins partielle, est en effet envisageable sous l’effet notamment de programmes d’exercice physique spécifiques.15 L’évaluation, dont le choix dépendra des objectifs et du contexte, pourra aller de l’évaluation clinique à partir de tests simples et validés, facilement administrables en routine clinique, aux évaluations instrumentales plus lourdes à mettre en œuvre, incontournables pour la recherche. Un consensus doit encore être établi concernant un core set of outcome measures pour les futurs essais cliniques.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec cet article.
> Les déficits d’équilibre, de marche et de production de force maximale et explosive sont fortement associés à la chute et la survenue de nombreux événements négatifs
> Plusieurs tests cliniques simples (par exemple, Timed Up & Go test, Short Physical Performance Battery ou test de Tinetti) demeurent facilement utilisables en routine clinique
> Le Timed Up & Go test est recommandé au médecin de premier recours chez tout patient de plus de 65 ans rapportant une chute dans les douze mois précédents ou des difficultés avec l’équilibre et/ou la marche
> Considérer la place des évaluations instrumentales comme déterminante pour l’aide au diagnostic étiologique ou différentiel et l’évaluation d’interventions spécifiques dans le cadre d’essais cliniques
Les troubles de la marche, de l’équilibre et de la production de force maximale et explosive chez le sujet âgé sont associés à un risque accru de chute et de nombreux événements défavorables (par exemple, dépendance, institutionnalisation, décès). L’évaluation des performances de marche, d’équilibre et musculaires occupe une place centrale dans le dépistage et la prise en charge des patients à risque de chute, tout comme dans le développement de stratégies d’interventions ciblées. Le présent article propose une brève revue des principales méthodes d’évaluation applicables au sujet âgé, allant des tests cliniques simples et validés, facilement administrables en pratique courante, aux évaluations instrumentales plus complexes à mettre en œuvre, recommandées pour les essais cliniques ou les études longitudinales.