Dans un premier temps, je me suis dit qu’il valait mieux garder le silence...
Parce qu’écrire à propos de Bertrand, c’est difficile pour un profane des mots. Lui qui écrit si bien, dont la pensée est percutante, originale. Avec son style personnel qui nous ravit chaque semaine.
Pourtant, vingt ans d’activité à la tête d’une revue, cela se fête. Et c’est aussi l’occasion de le remercier.
Car ce qu’il a construit est remarquable. Et si nous connaissons les qualités du journaliste et du chroniqueur qui s’est toujours interrogé sur la médecine, ses structures, ses évolutions et ses limites, il faut aussi souligner l’énergie et l’intelligence qu’il a déployées pour adapter les structures de notre coopérative, adaptations exigées par l’évolution de l’environnement économique.
Vingt ans à la tête d’une revue qu’il a façonnée et fait progresser dans un monde qui, lui, a totalement changé. Quand il a pris les rênes de la Revue, qui s’appelait encore Médecine et Hygiène, Internet n’existait pas, on ne jurait que par les fax et le modèle économique d’une revue reposait sur des acquis qui nous semblaient immuables et éternels.
Le premier des défis auxquels Bertrand a dû faire face, a été de s’adapter aux modifications de l’environnement dans lequel nous avions pris l’habitude de vivre.
Ces vingt dernières années tous les paradigmes de l’édition ont évolué et nous avons dû nous accommoder de ces nouvelles réalités économique, technologique mais aussi pédagogique, car l’information et la formation médicales ont pris elles aussi des tournures totalement inattendues. Et tout ceci s’est produit dans le contexte d’une société qui perdait toutes ses marques, muait dans des soubresauts de crise économique et de mondialisation. Croire à l’avenir d’un média très régional était une gageure mais, ce que j’ai toujours apprécié chez Bertrand, c’est la recherche du sens. Et vouloir garder notre revue vivante, c’était notamment préserver une pensée médicale romande et avoir un lieu où les jeunes générations puissent aussi s’exprimer.
S’adapter, évoluer, cela n’a pas été simple. Pour réussir ce pari, il fallait non seulement penser juste mais également faire d’incessants allers et retours entre imaginer l’avenir et assurer le présent. S’interroger sur la survie de notre revue et sur le sens que nous devions donner à notre publication, prévoir que la modernisation des outils de la communication ne se ferait pas sans un changement complet des rapports entre le média et son lectorat. C’est tout cela que Bertrand a dû faire.
Je l’entends déjà me dire qu’il ne l’a pas fait tout seul, qu’il a pu compter sur une équipe de tout proches, solide et fidèle, un Comité éditorial formidable et nos amis de la Société Médicale de la Suisse Romande. C’est vrai. Mais le leader incontestable, un brin visionnaire, investi totalement dans cette mission, c’est lui. Un leader avec ses formidables qualités intellectuelles, ses compétences de journaliste, son envie de partager ses idées avec les autres et son sens profond du rôle que doit jouer un média dans notre société.
Le deuxième défi auquel il a longuement réfléchi se rapporte à l’essence même de notre médecine. Car au-delà de la difficulté d’adaptation économique, le contexte médical a, lui aussi, fortement évolué. Pendant ces vingt ans, la complexité est devenue une réalité de tous les jours. Nous sommes passés d’un monde où le développement des connaissances médicales amenait, paradigme oblige, obligatoirement le progrès, à un monde où nous devons penser aux limites, aux objectifs de la médecine. Comme il l’a récemment écrit, la médecine n’a pas que des buts, elle réfléchit aussi en termes d’horizons. Nous ne devons plus simplement relayer et expliquer les nouvelles connaissances, nous devons aussi les discuter, leur trouver un contexte éthique et humain dont les contours doivent être constamment redéfinis. Notre médecine doit garder un sens et sa pratique une humanité. C’est, je crois, son message et son credo.
Nous avons eu la chance de l’avoir à la tête d’abord de notre revue puis à celle aussi de notre coopérative. Mais je crois aussi que, globalement, la Médecine Romande peut le considérer comme une voix originale et un des penseurs importants de notre avenir.