Le développement des technologies de l’imagerie a permis d’améliorer les capacités des médecins à dépister, diagnostiquer et traiter des maladies, améliorant la qualité et la durée de vie des patients. Cependant, cette croissance est allée de pair avec une surutilisation des services d’imagerie : 20–50% des examens d’imagerie de haute technologie n’auraient pas permis de fournir d’informations susceptibles d’améliorer l’état de santé des patients.1,2 La surutilisation radiologique expose également à des doses d’irradiation non nécessaires. On admet que l’irradiation médicale contribue, aujourd’hui, à un peu plus de la moitié des radiations totales reçues par la population américaine.3 En 25 ans, la dose de radiation médicale annuelle de la population a été multipliée par 7 (de 124 000 personnes-sieverts à 880 000 personnes/sieverts). Cela touche non seulement les personnes âgées (effets biologiques potentiels limités en raison de la diminution de l’espérance de vie), mais également la population l 50 ans. Notons que 82% des doses d’irradiation totale sont administrées dans des structures ambulatoires.4
«… En 25 ans, la dose de radiation médicale annuelle de la population a été multipliée par 7 …»
Les facteurs influençant la surutilisation sont multiples et incluent les modèles de soins reposant sur un paiement à l’acte et les situations de self-referral, où le médecin référent est aussi celui qui effectue l’acte ou qui en retire un bénéfice financier.3 Autre facteur : la médecine défensive. Aux Etats-Unis, 25% des imageries de haute technologie étaient faites afin d’éviter des accusations de faute professionnelle.5 En outre, il existe peu de critères d’adéquation de l’utilisation des différentes imageries radiologiques et ces derniers sont souvent mal connus des médecins prescripteurs. Par ailleurs, les radiologues privilégient souvent le rôle du consultant plutôt que celui du gatekeeper.
Quant aux patients, ils demandent parfois des imageries dont ils ont entendu parler, ou parce qu’ils ont découvert des informations à leur sujet dans les médias, ou sur internet, tout en ayant peu de connaissances concernant les bénéfices des investigations radiologiques, leur coût et les doses d’irradiation associées. Malgré cela, il est souvent difficile pour un médecin de leur refuser ces examens, par crainte de susciter leur insatisfaction.
Les résultats concernant les déterminants de la satisfaction des patients sont parfois contradictoires. Cependant, plusieurs études ont montré que leur satisfaction dépendait moins du comblement de leurs attentes spécifiques concernant un test de laboratoire, un examen de radiologie, une consultation spécialisée, ou un médicament, que de la qualité de la communication entre le médecin et son patient, de même que de l’exploration et la compréhension du point de vue du patient.6–9 Les patients étaient plus satisfaits lorsqu’ils avaient bénéficié d’interventions non techniques, telles qu’éducation, conseils et informations durant la consultation.
Ce type d’approche est maintenant consacré par le slogan Choosing wisely. Lors des débats autour de la réforme du système de santé aux Etats-Unis et du Patient Affordable Care Act de Barack Obama, les compagnies d’assurances, l’industrie pharmaceutique et les fabricants de matériel technologique ont proposé de diminuer leurs marges de bénéfices pour soutenir le plan. Les sociétés médicales, elles, n’ont formulé aucune promesse d’effort particulier. Ceci a déclenché une très vive réaction de la part de l’éthicien Howard Brody.10 Ce dernier proposa que chaque société de discipline médicale détermine une liste de tests ou de traitements fréquemment prescrits, chers, et dont les preuves montrent qu’ils n’offrent pas de bénéfices pour la majorité des patients. Ce fut le début du concept Less can be more ! et des Top-5 lists, c’est-à-dire la liste de cinq tests ou traitements à éviter, parce que répondant aux caractéristiques suscitées.
«… une telle stratégie ne peut être conduite uniquement par et pour les médecins …»
Pour être efficace, une telle stratégie ne peut être conduite uniquement par et pour les médecins. Un partenariat étroit doit être établi avec les patients, à la recherche de décisions partagées et de choix se concentrant sur les tests ou les traitements présentant une valeur ajoutée. C’est tout l’enjeu de la Choosing Wisely Initiative, lancée aux Etats-Unis en 2012,11 bientôt reprise au Royaume Uni, en Italie et ailleurs. En effet, to choose wisely suppose un dialogue médecin-malade permettant cet échange. Ceci implique, pour les médecins, un apprentissage de techniques de communication appropriées visant à favoriser la prise de décision partagée, et pour les patients, une responsabilisation vis-à-vis de leur maladie. Sur le plan des systèmes de santé, cela exige un large consensus et un effort de communication médiatique d’envergure.
Dans le domaine de la radiologie, les radiologues australiens ont été des précurseurs de cette approche, en construisant des recommandations quant aux examens d’imagerie à effectuer lors de différentes situations médicales, ou quant à leur séquence. Ces recommandations sont publiées sur internet et illustrées à l’aide d’algorithmes particulièrement didactiques et clairs.12
Sans avoir la prétention de concurrencer les radiologues australiens, les internes, chefs de clinique et médecins adjoints du Service de médecine de premier recours ont choisi, pour ce numéro de la Revue, en partenariat avec leurs collègues radiologues et d’autres spécialistes, de développer des recommandations quant aux examens d’imagerie à effectuer et à leur séquence logique, dans différentes situations courantes de médecine de premier recours.
Notre plus vif souhait est que ces articles permettent à leurs lecteurs de faire des choix éclairés et pertinents, en partenariat avec leurs patients, et de construire avec eux un dialogue conduisant à choosing wisely.