En 2000, un programme universel de dépistage de la surdité néonatale a été implanté sur une très large échelle. C’est ainsi qu’à Genève, l’audition est évaluée dans les premiers jours de vie chez plus de 98% des nouveau-nés.1 Par la suite, aucun test de l’audition n’est pratiqué de routine dans la plupart des pays, en dépit de toutes les affections pouvant provoquer un déficit auditif durant l’enfance et affecter la perception de la parole, le développement du langage, l’apprentissage et les résultats scolaires, en particulier si le déficit affecte les deux oreilles.2 Des tests de dépistage de troubles visuels et auditifs ont été instaurés à Genève dès 1955 dans toutes les écoles publiques primaires puis dans certaines écoles privées et pour enfants handicapés. Ils sont réalisés chez les enfants de quatre à cinq ans, puis chez ceux de cinq à six, et enfin de dix à onze ans.
Les objectifs de cette étude étaient d’évaluer le pourcentage d’enfants souffrant d’un déficit auditif, l’incidence d’un déficit neurosensoriel et le coût du programme de dépistage scolaire.
L’étude porte sur trois groupes d’enfants :
le groupe A, des enfants testés pour la première fois en 2007 à l’âge de quatre ou cinq ans (groupe A1) et puis en 2008 à l’âge de cinq ou six ans (groupe A2) ;
le groupe B, des enfants testés pour la première fois en 2008 à l’âge de cinq ou six ans qui n’avaient pas été testés un an plus tôt parce qu’à cette époque, l’école n’était pas obligatoire avant l’âge de six ans ;
le groupe C, des enfants testés en 2011-2012, âgés de dix à onze ans.
Les enfants ont été testés par du personnel qualifié du Service santé de la jeunesse supervisés par un pédo-audiologiste. Les tests étaient effectués à l’école dans un environnement aussi calme que possible. Chaque oreille était testée à 0,25, 0,5, 1, 2, 4 et 6 (ou 8) kHz avec un audiomètre Interacoustics AS-216 et des écouteurs. Lorsque le stimulus était perçu, les plus jeunes enfants étaient invités à mettre des jouets dans un panier, les plus âgés à lever la main. Pour ceux difficiles à tester, les plus jeunes enfants ou les handicapés, l’évaluation débutait par un test d’audiométrie comportementale en champ libre. Comme l’environnement acoustique n’était pas idéal, des seuils à 25 dB HL étaient considérés comme normaux.
Les pertes auditives ont été classées en légères (26 à 40 dB), modérées (41 à 70 dB), sévères (71 et 90 dB) ou profondes (plus de 91 dB), sans distinction entre moyennes modérées (41 à 55 dB) et modérées sévères (56-70 dB).3 En cas de déficience auditive, les parents étaient priés d’en informer le pédiatre et de consulter un ORL de leur choix pour une évaluation complète et un diagnostic. L’ORL était invité à retourner les résultats de son évaluation au Service santé de la jeunesse, sans obligation. Pour des raisons de confidentialité, le diagnostic n’était pas compilé.
L’évaluation des coûts du programme est basée sur le nombre de personnes impliquées et le matériel nécessaire au prorata du nombre d’enfants testés.
Un t-test apparié a été utilisé pour comparer les groupes A1 versus A2, et un t-test non apparié pour comparer les groupes A1 et A2 versus B.
Le groupe A comprend 3650 enfants, le groupe B 700 et le groupe C 4838. Les résultats de l’évaluation de l’audition sont énumérés dans le tableau 1.
Le pourcentage total d’enfants souffrant d’une perte auditive uni ou bilatérale diminue avec l’âge, passant de 10% chez les enfants de quatre à cinq ans à 4% chez ceux de dix à onze ans. En revanche, le pourcentage de ceux présentant une perte auditive uni ou bilatérale dans les hautes fréquences augmente de 3 à 8‰.
Le pourcentage d’enfants avec un déficit auditif est significativement plus faible dans le groupe A2 que dans le groupe A1 (p l 0,0002) et le groupe B (p l 0,01). Il n’y a pas de différence entre les groupes A1 et B.
Avant l’entrée à l’école, une surdité n’avait été détectée que chez deux enfants. Il s’agissait d’une surdité profonde bilatérale. Chez un des enfants, le test de dépistage néonatal était normal. Chez l’autre, venu d’un pays étranger, l’audition à la naissance n’était pas connue. Les deux ont reçu un implant cochléaire. Par contre, aucun cas de surdité sévère ou modérée n’avait été signalé aux enseignants. Toutefois, le premier test effectué à l’école a révélé onze cas supplémentaires d’atteinte auditive neurosensorielle chez des enfants avec un test de dépistage néonatal normal. Il s’agissait de sept cas de perte unilatérale, sévère dans cinq et profonde dans deux, de trois cas de perte bilatérale modérée, et d’un cas avec une perte modérée d’un côté et profonde de l’autre (tableau 2).
Les premiers tests scolaires ont aussi identifié trois enfants avec une perte auditive bilatérale modérée déjà détectée à la naissance, mais dont les parents ne s’étaient pas occupés et un enfant, né à l’étranger, dont l’audition à la naissance n’était pas connue.
La difficulté d’une évaluation précise de l’audition dans les conditions de dépistage en milieu scolaire est illustrée par le fait que lors de la première évaluation, une élévation des seuils de perception dans les hautes fréquences a été détectée chez deux enfants, anomalie qui n’a pas été confirmée un an plus tard.
Le tests sont réalisés par 8,15 personnes à temps partiel supervisées par un audiologiste à 5%. Le coût est de CHF 342 100.– par an (personnel CHF 338 000.– ; équipement CHF 4100.–, soit dix audiomètres à CHF 2600.– ; durée de vie 7,5 ans ; coût annuel d’étalonnage CHF 70.–) pour 17 500 enfants testés, ce qui représente environ CHF 20.– par enfant (environ € 16.–).
Pour la plupart des auteurs, une perte auditive unilatérale ou bilatérale chez des enfants en âge scolaire peut engendrer un retard d’acquisition du langage 4 ou des difficultés d’apprentissage.5,6 Pour cette raison, l’American Academy of Pediatrics 7 et l’American Family Physician 8 recommandent, en plus du dépistage néonatal, des tests d’audition à quatre, cinq, six, huit et dix ans. Si le dépistage néonatal est maintenant bien établi, le dépistage scolaire fait souvent défaut.9,10 A Genève, il existe dans les écoles publiques primaires depuis 1955.
Dans notre série, un peu plus de 10% des enfants de quatre ou cinq ans ont un certain degré de perte auditive, fréquemment bilatérale, souvent due à une otite moyenne séreuse. Un traitement approprié a été appliqué, de sorte que 93 enfants avaient récupéré une audition normale un an plus tard. En soi, ce résultat montre que le dépistage scolaire est utile. De plus, il permet de détecter les enfants atteints d’un déficit auditif neurosensoriel. Il est frappant de voir, qu’avant l’entrée à l’école, un déficit auditif n’avait été identifié que chez deux enfants, les deux avec une perte bilatérale profonde. Chez l’un, venu de l’étranger, l’audition à la naissance n’était pas connue ; chez l’autre, le dépistage néonatal était normal. Par contre, ceux souffrant d’une perte modérée, même bilatérale, ou d’un déficit sévère ou profond unilatéral ne sont détectés que par le dépistage scolaire. Il n’est pas dit que ces déficits unilatéraux aient tous été acquis durant les premières années de vie et n’existaient pas au moment du dépistage néonatal. En effet, pour être applicable sur une grande échelle, ce dernier consiste, à Genève, en l’enregistrement des émissions oto-acoustiques sur une seule oreille. Si une oreille est suffisante pour l’acquisition du langage, justifiant un test néonatal unilatéral, on admet qu’un déficit auditif unilatéral peut causer des difficultés d’apprentissage à l’école qui peuvent être minimisées par des mesures simples, en plaçant l’élève de manière à ce que sa bonne oreille soit orientée vers l’enseignant, ou plus sophistiquées au besoin. Enfin, le dépistage scolaire permet de reprendre contact avec les parents d’enfants dont le dépistage néonatal avait révélé un déficit auditif mais qui ne s’en sont pas occupé.
Si le nombre total d’enfants avec un déficit auditif diminue de 10% à l’âge de quatre ou cinq ans à 4% à dix ou onze ans, le pourcentage d’enfants avec un déficit neurosensoriel dans les hautes fréquences, unilatéral dans la plupart des cas, augmente de 3 à 8‰. Deux facteurs peuvent expliquer cette augmentation. Primo, toutes sortes d’affections peuvent causer un déficit auditif au cours des premières années de vie. Secundo, la composante de perception peut être difficile à évaluer lorsqu’elle est associée à une surdité de transmission très fréquente chez les jeunes enfants en raison d’une otite moyenne. On peut s’interroger sur le taux élevé d’enfants de dix ou onze ans avec une perte auditive neurosensorielle, le double de celui observé par Watkin et Baldwin.11 Chez des nouveau-nés suivis pendant dix ans au Royaume-Uni, ils rapportent une perte auditive neurosensorielle dans 0,96‰ à la naissance et dans 3,65‰ à l’âge de neuf ans. Il n’existe pas d’explication évidente à cette différence. Les enfants ne sont pas mieux protégés des nuisances sonores au Royaume-Uni qu’en Suisse, les traumatismes crâniens et les cas de surdité brusque ne sont pas moins fréquents. La comparaison de nos résultats avec d’autres articles est difficile, les populations évaluées étant souvent différentes. Niskar et coll. rapportent 14,9% d’atteintes auditives dans une série de 6166 enfants âgés de six à dix-neuf ans, sans référence de groupes d’âge,12 et Mehra et coll. 3,1% chez des enfants et adolescents, sans référence de groupes d’âge.13 Comme pour le dépistage néonatal, il serait utile d’établir des normes internationales pour le dépistage scolaire, afin de mieux cerner l’incidence des atteintes auditives neurosensorielles au cours des premières années de vie.9
Le dépistage scolaire a été instauré dans toutes les écoles publiques primaires du canton de Genève en 1955. Aujourd’hui, il est aussi réalisé dans 58% des écoles privées et 75% de celles pour enfants handicapés. Un audiogramme tonal est suffisant dans la plupart des cas.14 Cependant, chez des enfants difficiles à tester, les handicapés, d’autres tests sont nécessaires, comme une tympanométrie, l’enregistrement des émissions oto-acoustiques et/ou des potentiels évoqués auditifs. Comme ces tests ne sont pas effectués systématiquement, un déficit auditif est passé inaperçu chez deux enfants pendant plusieurs années. Chez d’autres enfants handicapés, l’évaluation de l’audition a parfois été retardée, une priorité ayant été donnée à la prise en charge de leurs autres problèmes. Les audiologistes, pédiatres et enseignants devraient travailler ensemble pour obtenir de nos politiciens les moyens et le personnel pour instaurer un dépistage scolaire systématique, en particulier chez les enfants souffrant de handicaps multiples. Chez ces derniers, de fréquents tests seraient même indiqués au vu des nombreux syndromes qui peuvent s’accompagner d’une perte auditive parfois rapidement progressive au cours des premières années de vie.15 Le faible coût d’un programme de dépistage, environ vingt francs par enfant, devrait être à la portée de notre société.
Remerciements
Les auteurs remercient le Dr J.-D. Lormand, Directeur du Service santé de la jeunesse du canton de Genève et tout le personnel ayant participé au programme depuis 1955, aujourd’hui Mmes M. Cafalli,M. Fillietaz, M. Julien, E. Kolliker, M. Mottier, C. Python, M. Ribordi et Mr S. Thebeau.
> Il est bien connu qu’un grand nombre d’enfants souffrent par périodes d’un déficit auditif de transmission, conséquence d’otites. Mais un déficit auditif de perception peut survenir au cours des premières années de vie ou avoir échappé au dépistage néonatal qui ne se fait que sur une oreille. Or, un déficit auditif irréversible peut être à l’origine de difficultés scolaires, même s’il est unilatéral
> Il faut être attentif à l’audition des enfants fréquentant des écoles privées ou des écoles pour handicapés puisque le dépistage auditif n’y est pas systématique, malheureusement