Les troubles émotionnels de la période périnatale sont fréquents et peuvent entraîner des conséquences négatives sur la santé physique et psychique de la femme, ainsi que sur le lien mère-enfant. Le dépistage de ces difficultés est compliqué par un manque de connaissances et par une absence d’outils simples et validés pouvant être utilisés à large échelle. Une équipe genevoise pluridisciplinaire a développé un modèle d’entretien prénatal, dispensé par des sages-femmes spécifiquement formées. Il a pour objectif de sensibiliser les femmes enceintes, leur offrir un lieu d’écoute personnalisé, dépister les fragilités psychiques, valoriser les ressources et orienter les patientes qui en ressentent le besoin vers des lieux de soins spécifiques. Le présent article décrit cet entretien et les principales implications pour la pratique clinique.
La période périnatale est faite de transitions et de remaniements psychiques profonds ; elle s’accompagne pour la femme d’une recrudescence d’émotions et de vulnérabilité. L’ambivalence face à la grossesse, les questionnements identitaires, les interrogations sur sa propre histoire infantile, les inquiétudes autour du dépistage et du diagnostic prénataux, les complications obstétricales, le lien mère-enfant sont autant de préoccupations qui peuvent fragiliser la future mère. Aspects somatiques, psychiques et sociaux sont intriqués dès le début de la grossesse. Ainsi, il n’est pas rare que ces questions, à défaut de pouvoir être élaborées, favorisent l’émergence d’une pathologie psychiatrique périnatale, dont les conséquences sur le lien parent-enfant et sur le développement de l’enfant sont aujourd’hui très bien documentées.1 La dépression périnatale est un problème de santé publique bien reconnu 2 qui touche environ 20% des femmes durant la grossesse et 15% durant la première année post-partum. Sa détection est compliquée par le fait que les symptômes sont fréquemment banalisés et confondus avec les difficultés normales entourant la naissance d’un enfant,3 surtout lorsque aucun trouble psychique préalable n’est connu. Les troubles anxieux sont eux aussi favorisés par l’accès à la maternité. L’expérience montre combien une rencontre, même unique, avec un professionnel compétent pour accueillir ces questions, permet très souvent de dédramatiser et d’apaiser certaines craintes, de dénouer certains conflits ou de mettre des mots sur des ressentis confus.
Alors que le suivi somatique de la grossesse est bien développé, les futures mères se plaignent souvent d’un manque d’attention accordé à la dimension affective du processus de la maternité. Toutefois, de nombreuses recommandations internationales préconisent la prise en compte de la sécurité émotionnelle en périnatalité, le développement de screening psychosocial et de systèmes communautaires de dépistage de la dépression prénatale.4-8 En France, la mise en place d’un entretien prénatal (EPN) précoce dans le cadre du plan de périnatalité vise cet objectif.
Les collaborations entre professionnels de la périnatalité se succédant aux différents temps de la grossesse, de la naissance et de la petite enfance ne sont pas si évidentes. Il n’est pas toujours simple d’éviter la discontinuité dans la prise en charge entre la période anténatale et postnatale.9
En 2007, un groupe de travail multidisciplinaire de professionnels de la santé a été créé à Genève, à l’initiative des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), de la Haute école de santé (HEdS) et de l’Arcade des sages-femmes (ASF). Il est composé de pédopsychiatres, psychiatres, psychologues, obstétriciens, sages-femmes, infirmières, pédiatres, éducateurs de la santé. Son objectif est de promouvoir la santé mentale des femmes durant la période périnatale, d’améliorer le travail en réseau et de développer un EPN accessible à toutes les femmes enceintes.
L’EPN a pour but d’offrir à la future mère un espace de parole ouvert et neutre qui puisse accueillir ses questions et ses préoccupations à propos de son expérience du «devenir mère». Il permet dans un même temps d’identifier les vulnérabilités biologiques, sociales et psychologiques favorisant l’apparition de pathologies psychiques du péripartum et de valoriser les ressources propres à chaque personne. Il est mené par une sage-femme et dure de 60 à 90 minutes. Un groupe de six sages-femmes expérimentées, disposant d’une longue expérience professionnelle dans l’entretien psychosocial et d’une très bonne connaissance du réseau de soins genevois, a été spécifiquement formé. Elles bénéficient de supervisions par une psychologue ou une pédopsychiatre. L’EPN est proposé en plusieurs langues (français, espagnol, anglais, allemand, italien, portugais). Il s’accompagne d’un support écrit permettant à la fois de structurer le moment de l’entretien et d’y consigner les informations importantes.
Cette partie est conçue comme un espace de parole libre et d’écoute des questionnements et des craintes de la future maman. Grâce à une écoute accueillante et bienveillante, le professionnel favorise la mise en mots et l’élaboration des thèmes préoccupant la future mère. Ces derniers sont souvent en lien avec le propre vécu infantile de la femme qui est mis en perspective avec la relation qu’elle pense développer avec son enfant. Ainsi, par exemple, c’est à la lumière de la relation qu’elle a eu avec sa propre mère, qu’elle imagine la relation qu’elle aura avec son enfant. L’objectif est de donner l’occasion à la femme de parler de craintes très souvent présentes et difficiles à aborder dans sa sphère privée ou dans d’autres contextes. Cet axe constitue la partie la plus importante de l’EPN.
La recherche des facteurs liés à la dépression périnatale et à d’autres difficultés susceptibles de perturber la relation mère-enfant comporte un entretien semi-structuré basé sur un questionnaire10 contenant les différents facteurs de risque reconnus dans la littérature : la parité, le type de grossesse (planifiée et désirée ou pas), la situation conjugale, le degré de satisfaction dans le couple, le stress de vie actuel ou durant l’année écoulée, le degré de support social, le niveau socio-économique, l’auto-estime, les antécédents de dépression et de dépression périnatale, l’anxiété et la dépression prénatales actuelles.
Cette recherche comprend : a) deux questions standardisées et recommandées dans le dépistage de routine de la dépression par la Preventive Task Force américaine : «Durant les deux dernières semaines, vous êtes-vous sentie moins bien ou déprimée ?» et «Durant les deux dernières semaines, avez-vous ressenti moins d’intérêt ou de plaisir à faire les choses ?» et b) l’Edinburgh Postpartum Depression Scale (EPDS)11 (voir annexe), qui est une échelle de dépression comportant dix items, validée et largement utilisée durant le post-partum mais aussi durant le prépartum. Elle présente une bonne sensibilité pour le dépistage de la dépression périnatale. L’objectif de cet axe est de détecter la dépression prénatale à un moment où la femme est particulièrement réceptive et prête à être aidée, ce qui est moins le cas en postnatal. De plus, la littérature à ce sujet montre que l’existence d’une dépression prénatale place la femme à haut risque de présenter une dépression postnatale.12
Ces démarches permettent finalement à la femme de connaître l’importance des troubles psychiques périnataux sans les diaboliser et en brisant le tabou du silence. Cette partie de l’EPN vise également à l’informer sur les soins et dispositifs existant à Genève. Le professionnel qui a mené l’entretien reste une personne de confiance et de référence à qui la future mère peut s’adresser si elle en ressent le besoin par la suite. Cet axe de l’EPN suppose la formation des sages-femmes sur la manière d’orienter en santé mentale et sur les dispositifs régionaux existants. A Genève, un guide des principales structures genevoises de prise en charge de la dépression périnatale a été élaboré et mis à disposition des professionnels de la périnatalité.13 En fin d’entretien, une petite fiche de transmission est remise à la femme à l’intention des autres professionnels de la santé qui la suivent.
Depuis novembre 2009, l’EPN a été proposé aux femmes enceintes dans trois lieux de soins genevois : la Maternité des HUG, le Planning familial des HUG et l’Arcade sages-femmes. Une étude pilote a été effectuée sur les 70 premiers entretiens prénataux conduits à Genève. Ces résultats feront l’objet d’un autre article.
L’expérience montre que l’EPN genevois est très bien perçu à la fois par les femmes, les sages-femmes et par les gynécologues qui y réfèrent les futures mères. Nous avons constaté que la seule lecture d’affiches ou de dépliants ne suffit généralement pas pour convaincre les femmes enceintes à y participer. Ce n’est souvent qu’après une information orale ou une invitation personnelle de la part d’un professionnel que les femmes se décident, même lorsqu’elles ont déjà vu une information écrite.
L’utilisation du questionnaire de dépression (EPDS) prend 4-5 minutes et permet au clinicien d’appuyer son impression clinique et de quantifier les symptômes dépressifs présentés par la patiente. Il est souvent utilisé de routine par les centres qui ne disposent pas d’un entretien spécifique pour dépister une éventuelle dépression durant la grossesse et les mois qui suivent l’accouchement. Cet outil ne permet pas de poser un diagnostic mais un score ≥ 9 doit alerter le professionnel et lorsque la valeur est ≥ 12, la probabilité d’une dépression majeure est importante. Cet outil devrait être utilisé de routine par les gynécologues, les sages-femmes, les infirmières en santé maternelle et les pédiatres auprès des mères et des futures mères.
Le modèle genevois d’EPN présente plusieurs avantages. Il est effectué par des professionnels de premier recours comme les sages-femmes et permet d’accéder à une large partie de la population. Il répond à plusieurs points sensibles de santé publique périnatale : c’est un espace d’information, d’écoute et d’échanges qui permet de répondre aux questions personnelles que se pose la femme, de la rassurer et parfois d’éviter l’installation d’une psychopathologie débutante. Il permet aussi de dépister les facteurs de risque et les fragilités psychiques des futures mères afin de les orienter vers le réseau professionnel compétent et d’éviter l’émergence de futurs troubles relationnels avec l’enfant. Le lien que la femme a pu établir avec la sage-femme au cours de cet entretien lui permet, par la suite, de faire appel plus facilement en cas de difficulté.
La prise en charge financière de l’entretien prénatal pose un véritable défi. Il s’agit d’un acte médical qui demande à être intégré dans les prestations remboursées par la LAMal afin de permettre son accessibilité à l’ensemble de la population. Actuellement, cette prestation est dispensée gratuitement à la Maternité et au planning familial des HUG dans les limites des ressources de chacun de ces services. Faute de financement, l’Arcade sages-femmes a dû interrompre cette activité en 2010.
Le format de l’entretien a été revu à la lumière des premiers entretiens effectués et des conclusions tirées de cette étude. Depuis 2011, la Haute école de santé de Genève a élaboré une formation spécifique de deux jours à l’EPN qui est comprise dans un certificat de formation continue en périnatalité.
> Les troubles psychologiques qui entourent l’arrivée d’un enfant sont sous-diagnostiqués et sous-traités. Ils peuvent entraîner de graves conséquences à long terme pour la femme, le couple et l’enfant
> L’entretien prénatal (EPN) permet de recevoir et d’entendre chaque future mère dans la singularité de ses besoins
> Tout médecin qui suit une femme enceinte devrait l’informer de l’existence de cet entretien et le lui recommander
Emotional disorders are common during the perinatal period and can have negative consequences on the woman’s physical and mental health, as well as on the mother-child relationship. Screening for these difficulties is complicated because of a lack of knowledge and a lack of simple and validated tools that can be used on a large scale. A Geneva multidisciplinary team has developed a prenatal interview model, provided by specifically trained midwives. It aims to sensitize pregnant women, offer them a personalized space of listening, detect psychological weakness, develop resources and orient patients in need to specific care centers. This paper describes this interview and its main implications for clinical practice.