L’obésité est un grave problème de santé publique à travers le monde. C’est un facteur de risque bien connu pour divers problèmes de santé chroniques comme les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et certains cancers.1 Ces maladies entraînent non seulement une baisse de la qualité de vie en raison de leur nature chronique, mais elles conduisent également à des complications graves et à une mort prématurée.2
L’obésité touche de plus en plus le continent africain. L’origine du problème semble être liée à l’urbanisation rapide et au développement socio-économique qui entraînent une occidentalisation du mode de vie ou «cocacolonisation». Pour aggraver le problème, il existe des croyances socioculturelles dans lesquelles l’obésité et le surpoids sont des traits admirés et par conséquent volontairement recherchés.
Dans plusieurs pays en Afrique, l’obésité a atteint des proportions épidémiques (figure 1)3 et des niveaux supérieurs à 30% sont documentés chez les adultes.
L’urbanisation et le développement socio-économique restent les déterminants les plus importants pour expliquer cette tendance (figure 2).4 En effet, ils s’accompagnent d’une évolution du régime alimentaire vers un contenu à forte densité énergétique ainsi que d’une réduction de l’activité physique. Ceci a comme résultat que de nombreuses personnes ont un bilan énergétique positif avec une consommation de calories plus importante que celles dépensées.
L’Afrique connaît actuellement une urbanisation importante et une évolution du style de vie très rapide. La population urbaine de l’Afrique était de 14,4% de la population totale en 1950, et devrait dépasser le cap des 50% en 2030 (tableau 1).5
On estime que près de 20 à 50% des populations urbaines d’Afrique sont classés en surpoids ou obèses.6
La figure 3 7 montre la prévalence de la surcharge pondérale chez les femmes dans certains pays africains. On observe que les femmes urbaines sont deux à sept fois plus susceptibles d’être en surpoids ou obèses, comparativement à leurs homologues dans les régions rurales.
L’urbanisation croissante a entraîné plusieurs facteurs environnementaux qui génèrent un rythme de vie moins actif (figure 4).
Les régimes alimentaires traditionnels en Afrique reposent sur des céréales, racines et tubercules, peu de produits d’origine animale, des aliments avec une forte teneur en fibres et une faible proportion de lipides. Ces régimes, souvent limités en quantité et peu diversifiés, sont progressivement remplacés par des régimes plus abondants et variés lorsque le revenu moyen s’élève. L’urbanisation, la mise à disposition de produits moins fastidieux à préparer, l’accès plus facile à des produits d’origine animale contribuent alors à une modification sensible de l’alimentation.8 On parle d’une occidentalisation de l’alimentation, celle-ci s’approchant de la composition des régimes alimentaires des pays industrialisés (figure 5). Ce phénomène est appelé la «transition nutritionnelle».
Barry Popkin propose un modèle de la transition nutritionnelle se déroulant en cinq étapes selon le stade de développement (figure 6).9
En résumé, au cours des siècles, avec le développement, il y a une tendance à s’éloigner des régimes alimentaires traditionnels vers des régimes plus diversifiés et caloriques. Ceci conduit à une plus grande prévalence de l’obésité et de maladies chroniques. En conséquence, à l’étape 5, il se développe une motivation individuelle de perdre du poids et de chercher un comportement sain pour prévenir le développement de ces maladies.
Actuellement, en Afrique, on observe un changement plutôt rapide de l’étape 3 à 4 qui contribue à la forte augmentation de l’obésité. Le modèle 4 est maintenant le plus répandu. La transition vers l’étape 5 peut être rendue plus difficile quand il y a des représentations et croyances socioculturelles qui valorisent l’excès de poids.
L’urbanisation et le développement socio-économique en Afrique n’expliquent pas entièrement le problème croissant de l’obésité que l’on observe. Plusieurs études suggèrent que la récente augmentation du surpoids et de l’obésité en Afrique est le résultat d’un gain de poids intentionnel à l’échelle de la société en lien avec des représentations et croyances socioculturelles qui valorisent les surpoids.
«Plus le ventre est gros, mieux c’est». C’est la philosophie que l’on peut entendre dans certaines régions d’Afrique. En effet, des études en Afrique ont démontré une forte relation positive entre l’obésité et le statut socio-économique élevé,10 contrairement à ce que l’on observe dans les pays développés où l’obésité est plutôt associée à un statut socio-économique faible.11
La figure 7 montre le résultat de deux sondages provenant de sept pays africains, effectués à dix ans d’intervalle (entre 1992 et 2005) pour évaluer le surpoids et l’obésité par rapport à la richesse des ménages au fil du temps. La prévalence de l’obésité était plus élevée chez les plus riches dans les deux enquêtes.11
La notion que l’obésité et le surpoids sont considérés comme un signe d’une bonne santé n’est pas si surprenante, surtout dans les pays où la malnutrition et les maladies infectieuses, comme le VIH, sont endémiques. En Afrique subsaharienne, la conviction que la perte de poids est associée au sida est très répandue. Par exemple, Puoane et coll. indiquent que les femmes sud-africaines ne sont pas motivées à s’engager dans une activité physique par crainte de perdre du poids et d’être stigmatisées comme étant atteintes du sida.12
Dans une étude pour explorer la perception de l’image du corps des femmes sud-africaines,13 les participantes ont dû choisir trois figures corporelles : une figure préférée, une figure qui symbolise la santé et une figure qu’elles pensaient représenter une personne infectée par le VIH ou qui avait le sida : 69,3% des femmes ont associé l’insuffisance pondérale avec des personnes infectées par le VIH ou qui ont le sida. Seulement 10,2% ont associé la même figure avec quelqu’un qui symbolise une bonne santé. Plus d’un tiers (33,5%) des femmes préféraient être dans la catégorie surpoids et 31,4% pensaient que cela représentait une bonne santé. 7,8% des femmes préféraient même la catégorie des obèses et 24% pensaient que l’obésité était un symbole de bonne santé. Aucune des participantes ne pensait que les figures en surpoids ou obèses pourraient représenter des personnes infectées par le VIH ou qui ont le sida.
Un aspect important à prendre en considération est celui de la perception de l’image corporelle. Dans une étude qui a comparé l’image corporelle perçue des participantes avec leur poids corporel réel (IMC calculé) chez des femmes sud-africaines,7 207 participantes étaient en surpoids, mais seulement 37% se percevaient comme telles, tandis que 46,3% se percevaient comme étant normales et 7,7% en sous-poids. 217 participantes étaient obèses mais seulement 5,9% se percevaient comme telles, avec 50,6% des participantes se percevant comme normales et 10,6% en sous-poids.
Cependant, les choses sont en train de changer. Une étude, menée en Gambie, a montré que les différentes générations ont des attitudes différentes envers l’obésité.14 Les femmes plus âgées ne sont pas préoccupées par la taille de leur corps jusqu’à ce qu’elles soient en surpoids (IMC 27,8 kg/m2) tandis que les jeunes femmes (âgées de 14-25 ans) ont commencé à être concernées bien avant (IMC 21,5 kg/m2). Cette différence entre deux générations est expliquée par une plus grande instruction et l’influence d’idéaux occidentaux.
Certains groupes ethniques en Afrique préfèrent les femmes en surpoids. Umfazi ohamba kunyakazele umhlaba : la femme qui fait trembler la terre quand elle marche. Telle est l’image de la «vraie» femme africaine décrite populairement en Afrique du Sud. C’est ainsi que l’on peut voir différents concours de beauté mis en place pour valoriser et promouvoir la beauté de la femme africaine voluptueuse. On peut citer comme exemples Miss Awoulaba en Côte d’Ivoire (figure 8), Miss Diongoma au Sénégal, reine Hanan au Bénin, etc.
Il y a même des pratiques qui encouragent l’obésité féminine, comme le gavage.5 Cela consiste à faire consommer des quantités importantes d’aliments aux jeunes filles pour forcer leur développement physique et permettre un mariage précoce. La situation a certainement évolué et le gavage se pratique de moins en moins.
Le problème de l’obésité est largement ignoré en Afrique. Pour freiner cette tendance, les autorités gouvernementales doivent travailler en collaboration avec les professionnels de la santé pour développer des stratégies afin de modifier l’environnement, de sorte qu’il soit moins propice à la prise de poids. Les stratégies devraient inclure l’éducation de la population sur la bonne nutrition et l’importance de l’activité physique.
Dans le développement de ces stratégies, il est primordial de prendre en considération les diverses représentations et croyances spécifiques faute de quoi toute intervention n’aura pas ou peu d’effets. Effectivement, une personne ne peut pas appliquer ce qui ne fait pas sens !
La diversité et l’importance des représentations et des croyances ne sont certainement pas spécifiques au patient d’origine africaine. En tant que cliniciens, nous devrions prendre conscience des représentations des patients obèses, africains ou pas, pour une meilleure prise en charge.
> L’obésité est un facteur de risque pour divers problèmes de santé chroniques et sa prévalence augmente en Afrique
> La prise en charge du patient obèse doit tenir compte des représentations et croyances du patient
> Autorités et professionnels de la santé doivent travailler conjointement pour accélérer le passage de l’étape 4 de la transition nutritionnelle, où prédominent les maladies chroniques, à l’étape 5, marquée par la motivation individuelle de perdre du poids et la recherche d’un comportement sain