La thérapie photodynamique (photodynamic therapy, PDT) est utilisée depuis de nombreuses années en dermatologie. Son principe théorique est simple : une molécule inoffensive, s’accumulant de manière préférentielle dans les cellules à traiter, est transformée en une molécule cytotoxique après excitation lumineuse. La spécificité du traitement est donc double, venant d’une part de la pharmacocinétique de la molécule (diffusion percutanée, absorption et métabolisation cellulaire) et d’autre part, par la physique du flux lumineux.
Les agents les plus utilisés en dermatologie sont des précurseurs de porphyrines comme l’acide 5-aminolévulinique (5-ALA) et le méthyl-ester de l’ALA (MAL), molécules de bas poids moléculaire qui pénètrent facilement dans l’épiderme. Toutes deux s’accumulent de façon préférentielle dans les cellules à métabolisme élevé, en déficit intracellulaire de fer et donc avides de précurseurs de l’hème, où elles sont transformées en protoporphyrine IX (pP-IX). La photo-activation de la pP-IX est induite au moyen de lumière froide générée par une série de diodes (light-emitting-diodes ou LED), dont le spectre d’émission est choisi pour correspondre au profil d’excitation de la pP-IX. Il en résulte, en présence d’oxygène, une formation de dérivés oxygénés et de radicaux libres cytotoxiques.1 En l’absence d’excitation lumineuse, la pP-IX et ses précurseurs sont dégradés en l’espace de 24-48 heures.2
Les indications à la PDT cutanée sont très variées (voir ci-après), mais en pratique on l’utilise principalement dans le traitement des kératoses actiniques (KA) et de certains cancers cutanés. Le traitement, dans sa forme actuelle, nécessite un investissement en temps, matériel et capacité technique (know-how) non négligeable, notamment pour la gestion de la douleur et des échecs thérapeutiques, réservant jusqu’ici sa pratique à des centres bien entraînés. Toutefois, en 2014, plusieurs nouveautés viennent bouleverser notre pratique de la PDT cutanée. En particulier, les nouveautés en matière de photosensibilisants et le développement des LED devraient permettre une utilisation plus large.
Les indications à la PDT sont nombreuses en dermatologie. L’indication première et historique est celle du traitement des KA. Depuis quelques années cependant, son utilisation s’est élargie à plusieurs autres formes de cancers cutanés ainsi qu’à différentes dermatoses inflammatoires, infectieuses (parasitaires, bactériennes ou virales) et enfin esthétiques. Ces diverses indications et leurs références sont décrites dans le tableau 1.
Dans certaines situations, assez rares en pratique, la PDT est cependant contre-indiquée. C’est le cas pour les patients atteints de porphyrie, d’une photosensibilité aux longueurs d’ondes situées entre 400 et 450 nm, ou d’une allergie à l’un des constituants de la préparation contenant l’ALA (citons en exemple l’huile d’arachide). La PDT n’est généralement pas recommandée chez la femme enceinte, pendant l’allaitement (catégorie C), ou chez les enfants (contre-indication relative, à mesurer individuellement dans chaque situation). Toutefois, en pratique courante, c’est la gestion de la douleur et du temps nécessaire à la PDT (voir ci-après) qui limite son utilisation.
Il peut sembler que la PDT est simple à mettre en œuvre, puisqu’il suffit d’appliquer une couche de crème sur la peau avant d’appliquer une irradiation en lumière visible. Pourtant, l’efficacité de la PDT peut être diminuée drastiquement par une maîtrise technique insuffisante. Comment bien faire ? La première action est d’affiner la lésion à traiter, les cellules cibles se trouvant invariablement à sa base. En pratique, on utilise la vaseline salicylée à 5 ou 10% sur les KA, en application journalière, débutée trois à cinq jours avant la PDT. Sans cette préparation, la pénétration limitée à la fois de l’ALA et de l’excitation lumineuse à travers l’épiderme conduit directement à des échecs thérapeutiques.3,4 On termine la préparation des lésions par un curetage superficiel, qui doit éviter tout saignement. Cette préparation est encore plus importante dans le cadre du traitement des carcinomes, qui nécessitent parfois un debulking trois semaines avant la PDT.5
La crème contenant le précurseur de porphyrine doit ensuite être appliquée largement, sous une occlusion efficace, photoprotectrice. En pratique, on délimite les zones à traiter avec une marge d’environ un centimètre de peau saine, on applique la crème sur une épaisseur d’un millimètre, qu’on recouvre de film alimentaire ou d’un produit équivalent (Tegaderm, Varihesive), lui-même recouvert d’une feuille d’aluminium fixée par une bande, un adhésif ou un vêtement (chapeau, par exemple). Il en résulte un pansement souvent épais et désagréable à porter. Trois heures après l’application, le pansement est retiré, la crème est soigneusement essuyée, et l’illumination peut commencer. Cette dernière est réalisée grâce à une lampe à LED émettant un flux lumineux rouge intense pour une dose totale de 37 J/cm2 délivrée en huit minutes, dans la plupart des cas (figure 1a). Bien que simple sur le papier, ce traitement peut être difficile pour certains patients, notamment chez ceux à mobilité réduite ou nécessitant un accompagnement professionnel (par exemple, pour un transport en ambulance). Il en va de même pour les personnes dont l’occupation quotidienne s’accommode mal d’un délai de trois heures.
Une des grandes nouveautés de 2014, dans le domaine de la PDT cutanée, est l’apparition d’un patch de 5-ALA (Alacare 8 mg, Galderma laboratoires GmbH, Düsseldorf). Il s’agit d’un patch autocollant contenant l’ensemble du pansement nécessaire à la PDT, sous la forme de couches superposées. La première couche contient la colle et la substance active, la deuxième une protection étanche à la lumière, la troisième une couche couleur chair masquante, le tout mesurant quelques dixièmes de millimètres d’épaisseur. Il s’agit d’une simplification idéale du pansement, qui peut être appliqué à domicile par le patient ou son entourage, sans qu’aucune formation ne soit requise. Son efficacité, sans traitement kératolytique préalable, s’est montrée supérieure à la cryothérapie conventionnelle pour le traitement de KA fines du visage,6 mais attention à ne pas généraliser ces résultats aux lésions plus épaisses. En effet, en cas de lésion plus épaisse, sans traitement kératolytique préalable (vaseline salicylée) à l’application du patch, le traitement sera moins efficace. Ce nouveau protocole présente l’avantage de limiter la prise en charge globale à une visite médicale unique (pour l’illumination). Il faut noter cependant que la surface traitée est de petite taille (limitée à 32 cm2), ce qui limite son intérêt dans la prise en charge de la carcinogenèse de champ.
L’autre nouveauté concerne l’application de l’ALA sous forme de nano-émulsion (Ameluz 78 mg/g, Biofrontier Bioscience GmbH, Leverkusen). Cette formulation a montré en effet une stabilité ainsi qu’une pénétration améliorées avec une efficacité supérieure par rapport à la PDT conventionnelle (MAL) dans la prise en charge des KA fines à moyennes du visage.7 Il convient de rappeler que ces nouveaux protocoles de PDT ne sont pas admis pour l’instant dans le traitement de la maladie de Bowen ou des carcinomes basocellulaires (tableau 1).
En ce qui concerne la source d’excitation, les dernières améliorations dans le cadre de la PDT découlent principalement du développement spectaculaire des lampes LED, favorisé par les efforts entrepris pour diminuer la consommation d’énergie des sources lumineuses, que ce soit par gain d’autonomie (ordinateurs, téléphones et voitures), ou par souci écologique (éclairage public/privé). Ainsi, leur performance (en termes de choix de longueur d’onde) a augmenté alors que leur coût baissait de manière spectaculaire. Il en résulte une diminution progressive (pour l’instant timide) du coût et de l’encombrement des lampes permettant l’activation du MAL. Cette diminution devrait permettre à davantage de spécialistes de s’équiper pour la PDT, par exemple en disposant de plusieurs lampes, permettant de traiter plusieurs patients simultanément. Il existe également des lampes légères et portables (appelées hand-held ou ambulatoires) qu’un patient peut emporter à domicile pour son traitement ; ceci permet d’éviter un temps d’attente de trois heures au cabinet (figures 1b et 1c). On peut par exemple initier le traitement lorsqu’un patient a fini son travail, car l’irradiation peut se faire à toute heure, notamment tard le soir. Il faut cependant noter que le traitement se faisant hors du cabinet, le thérapeute ne saura pas forcément si le patient a écourté son traitement, par exemple en raison de la douleur.
Un élément intéressant supplémentaire est la disponibilité progressive des LED dans tout le spectre de la lumière visible (figure 1d). Alors que la PDT se fait traditionnellement en lumière rouge (favorisant une pénétration lumineuse plus profonde dans le tissu), certaines études suggèrent que le bleu pourrait être plus efficace.8 L’utilisation de la PDT en lumière du jour (voir ci-après) suggère d’ailleurs que la modification du spectre d’émission des LED utilisées pourrait permettre d’améliorer le rapport efficacité/douleur de la PDT.
La douleur intense provoquée par la PDT est, à notre avis, le facteur principal limitant la PDT. Il est d’ailleurs fréquent que les patients placent la PDT à 10/10 sur l’échelle de la douleur, et plus fréquent encore de les entendre dire : «… je ne referai plus jamais ce traitement». Les douleurs sont généralement plus intenses et leur survenue plus fréquente, a) dans le cas de traitement de larges régions et b) dans les zones richement innervées (scalp, visage, mains ou périnée).9,10 Malgré une antalgie cumulant paracétamol, ventilation froide et humidification à l’eau froide durant la séance, il est souvent difficile de calmer cette douleur. Les blocs nerveux, en particulier pour le traitement de larges zones de KA frontales, se sont montrés efficaces, mais sont rarement utilisés en pratique.11 L’utilisation d’anesthésique topique lidocaïne/adrénaline n’est pas recommandée, car elle diminuerait l’efficacité de la PDT (notamment par diminution du flux artériel entraînant une diminution de l’oxygénation des tissus, essentielle à la toxicité de la PDT). Enfin, si le MEOPA (mélange équimolaire oxygène-protoxyde d’azote) ou les blocs sont efficaces, leur utilisation limite l’intérêt d’une approche non chirurgicale (si le patient est au bloc opératoire, anesthésié, pourquoi alors ne pas exciser la lésion ?).
A l’heure actuelle, la daylight PDT s’offre comme une alternative reconnue (figure 1e). Au lieu d’un flux à longueur d’onde fixe, limité à quelques minutes, on envoie le patient pendant plusieurs heures au soleil. L’exposition est moins intense, mais elle couvre les cinq pics d’absorption de la pP-IX (405 nm, 505 nm, 540 nm, 580 nm, 635 nm), permettant son activation ralentie.12 Cette technique est loin d’être une nouveauté, mais son adoption a été longtemps retardée par une méfiance vis-à-vis de son efficacité. En effet, si le corps médical acceptait l’idée qu’un flux lumineux inférieur limite la douleur occasionnée par la PDT, beaucoup redoutaient que ceci ne se fasse aux dépens de son efficacité. En 2013, un consensus a été atteint sur la base d’une série de publications confirmant une efficacité égale par rapport à la PDT conventionnelle dans le contexte des KA multiples.13 On y montre que dans trois études contrôlées et randomisées, la daylight-PDT montre une efficacité similaire à la PDT conventionnelle. Il faut rappeler cependant que les UV, indissociables de la daylight-PDT, sont un facteur de risque pour la sénescence et la carcinogenèse cutanée, et que le praticien doit en assumer les conséquences.
A ce jour, il n’existe pas de protocole unique de daylight PDT, chaque étude proposant une variation d’un thème : suite à une bonne préparation de la zone à traiter (vaseline salicylée, curetage évitant les saignements), on applique une crème solaire à composante chimique (non absorbante dans le spectre visible) sur toute la région exposée (lésionnelle et saine). Quinze minutes plus tard, on applique le MAL sur les lésions uniquement et 30 minutes plus tard le patient est invité à passer les trois prochaines heures au soleil.
L’avantage certain de cette technique est une très nette diminution de la douleur (par rapport à la PDT classique). Dans la littérature, on la décrit parfois comme indolore, bien que dans notre expérience elle s’accompagne plutôt de douleurs à 3-4/10 (sur l’échelle de la douleur). Un autre avantage est qu’elle occasionne moins de déplacements au cabinet ou à l’hôpital, résultant en une économie de temps et d’argent. En revanche, cette technique souffre clairement d’un manque de contrôle sur la dose totale administrée, hautement dépendante du temps d’exposition mais également de la latitude, de la saison et des conditions climatiques, souvent difficiles à garantir sous nos latitudes. Une solution simple et élégante serait de remettre un luxmètre au patient, programmé pour lui annoncer l’exposition à une dose raisonnable de rayons lumineux (un tel appareil n’est toutefois pas encore commercialisé). Le nombre de joules minimum n’est toutefois pas encore clairement défini, même si la plupart des spécialistes du sujet l’estiment à environ 10 J/cm2.
Les nouveautés suscitées vont certainement permettre un élargissement de l’utilisation d’une technique efficace et élégante. Toutefois, il est important de rappeler ici que les taux de guérison, s’ils sont élevés, restent très inférieurs à ceux de la chirurgie. En effet, les récidives après chirurgie concernent moins de 2 à 4% des patients, contre 10 à 20% des patients traités par PDT, soit un taux de récidives jusqu’à cinq fois plus élevé. Ceci est d’autant moins négligeable que les récidives sont souvent plus difficiles à diagnostiquer, et que tout retard de traitement peut compliquer considérablement leur prise en charge, qu’elle soit chirurgicale ou non. Peut-on systématiquement préférer une approche non chirurgicale en sachant le risque lié à cette technique, en mettant dans la balance un simple souci esthétique ? La réponse est non, et impose donc à tous ceux désireux de recourir à la PDT d’en maîtriser les limites. Il est donc de la responsabilité du praticien de toujours vérifier l’évolution cutanée des lésions après une PDT d’un cancer cutané, et de réaliser une biopsie au moindre signe de récidive, même subtil.
On ne commence un traitement non chirurgical d’un cancer de la peau que lorsqu’on sait en gérer l’échec.