En Suisse, la transplantation d’organes ou de cellules est devenue un traitement de référence pour la prise en charge des pathologies d’organes au stade terminal. Même si cette alternative thérapeutique est encore perçue comme «fortement invasive», le bénéfice en termes de survie est majeur. Devenue pratique courante après l’introduction de la ciclosporine,1 la transplantation devient victime de son succès en raison du manque d’organes disponibles. Il s’agit d’un problème de santé publique en Suisse, avec 12,8 donneurs par million d’habitants, soit presque trois fois moins que l’Espagne qui en compte 35,5, nous nous plaçons parmi les derniers rangs européens.2 En conséquence, la recherche biomédicale se concentre sur le développement de la transplantation cellulaire, moins invasive, et dont les sources de tissus pourraient être animales et donc illimitées. De manière remarquable, les cellules peuvent être «cultivées» in vitro et sont parfois capables de tolérer des modifications améliorant leurs futures compatibilités et fonctionnalités. La transplantation cellulaire connaît déjà des applications cliniques courantes avec la greffe de cellules souches hématopoïétiques allogéniques, utilisées depuis les années soixante dans le traitement des leucémies, des myélomes, ou lymphomes.3 A Genève, la transplantation d’îlots de Langerhans a débuté en 1992, donnant ainsi une possibilité de traitement curatif aux patients présentant un diabète instable (ne répondant plus au traitement standard d’insuline) et chez qui une transplantation de pancréas n’est pas possible. Plus de 900 isolements et 275 greffes ont pu être effectués depuis, plaçant Genève et le réseau GRAGIL en leader mondial dans ce domaine. Suivant cet exemple, nous développons la transplantation d’hépatocytes pour le traitement des hépatites fulminantes, de cellules souches mésenchymateuses (MSC) pour le traitement de la cirrhose, et de neurones dopaminergiques pour le traitement de la maladie de Parkinson. Les preuves de ces concepts ont été faites, mais la recherche doit continuer afin de rendre les futurs traitements sûrs et disponibles pour tous. Le but de cet article est d’aborder le thème de la transplantation cellulaire avec une perspective translationnelle afin de découvrir ce qui, dans les sujets de recherche d’aujourd’hui, aura un impact dans la pratique clinique de demain.
Les premières transplantations d’îlots de Langerhans intraportales ont été réalisées dans les années 70 et, initialement, ne permirent qu’à un faible pourcentage de patients d’être insulino-indépendants. Ce n’est que depuis les années 2000, avec l’introduction du protocole d’Edmonton, basé principalement sur la greffe répétée d’environ deux à trois donneurs et en proscrivant l’utilisation de corticostéroïdes, que la transplantation d’îlots de Langerhans a bénéficié d’un réel essor au niveau international.4 Les résultats du Registre collaboratif international de transplantation d’îlots ont montré des taux d’insulino-indépendance à trois ans en constante amélioration, progressant de 27% à 44% entre 1999 et 2010 (figure 1).5 Par ailleurs, certains centres rapportent actuellement des taux d’insulino-indépendance allant jusqu’à 60% à trois ans grâce à l’utilisation d’inducteurs puissants tels que l’étanercept (anti-TNF) et la thymoglobuline. Ces résultats prometteurs deviennent progressivement comparables à ceux obtenus avec la greffe de pancréas entier, c’est-à-dire 70% d’insulino-indépendance à cinq ans. A noter toutefois que celle-ci souffre d’une morbidité/mortalité importante liée à la chirurgie.
Genève détient le record de la plus longue insulino-indépendance jamais obtenue après une greffe d’îlots.6 En effet, une patiente a bénéficié d’une greffe d’îlots en 1996 (après greffe d’un rein en 1991) et est décédée insulinoindépendante, en 2009, d’une hémorragie cérébrale. L’étude des îlots présents dans le foie et le pancréas de cette patiente a permis de démontrer que l’insulino-indépendance n’était pas liée à une régénération des îlots natifs de la patiente mais bien de ceux transplantés dans le foie, treize ans plus tôt. Ces derniers ont gardé une taille constante avant et après transplantation et ont adopté une morphologie adaptée au parenchyme hépatique. Dans ce cas précis, l’histocompatibilité HLA très similaire entre le donneur et la patiente pourrait expliquer ces résultats exceptionnels.
Les indications à la greffe d’îlots restent limitées aux cas de diabète instable, car les patients doivent rester immunosupprimés à vie ;7 de plus, le nombre de donneurs à disposition reste très restreint. Pour surmonter les problèmes liés à l’immunosuppression et au manque d’organes, et ainsi élargir les indications à une greffe, certains groupes travaillent sur l’encapsulation d’îlots humains (figure 2) et porcins. Cette stratégie a été réalisée chez des patients et une étude a montré que, trois ans après la transplantation intrapéritonéale d’îlots humains encapsulés, le C-peptide était détectable, l’hémoglobine glyquée ainsi que les besoins en insuline exogène avaient significativement diminué.8 Ces résultats encourageants ont certaines limitations : les îlots encapsulés souffrent d’hypoxie, liée en partie au site de transplantation, le péritoine, qui est moins bien vascularisé comparé au foie. La résistance mécanique des capsules induit par ailleurs un phénomène de fibrose péricapsulaire limitant les apports nutritionnels au sein des îlots. Dans ce contexte, nous avons pu démontrer que la transplantation d’îlots encapsulés dans la moelle osseuse constitue une alternative intéressante.9
Le traitement de l’insuffisance hépatique aiguë, à défaut d’être causal, est essentiellement médical, souvent en milieu intensif et, dans les cas les plus graves, chirurgical avec la transplantation hépatique. Cette dernière représente le seul traitement disponible en cas d’insuffisance hépatique terminale, cependant la pénurie de donneurs d’organes limite son application. Ainsi, le développement de thérapies alternatives est crucial. La transplantation d’hépatocytes représente une solution attractive car moins invasive et autorisant des manipulations qui permettraient l’utilisation de foie non humain. La transplantation d’hépatocytes peut se faire par différentes voies d’administration : intraportale, directement dans le parenchyme hépatique, intrasplénique ou dans la cavité péritonéale. La greffe d’hépatocytes a fait preuve de son efficacité thérapeutique dans des modèles d’insuffisance hépatique aiguë chez les rongeurs10,11 et les primates.12–14 Dans ces expériences, elle a permis une amélioration des taux de bilirubine et d’ammonium sériques, une diminution de l’encéphalopathie hépatique et une augmentation du taux de survie de plus de 60% par rapport au contrôle. Au vu de ces résultats encourageants, plusieurs centres ont mis au point des essais cliniques chez l’homme.15 Ces essais ont montré l’utilité clinique de la transplantation d’hépatocytes en tant que «bridge» vers la transplantation en cas d’hépatite fulminante. Une amélioration de l’état neurologique et des paramètres biochimiques a été observée, mais la preuve d’une augmentation significative de la survie n’a pas pu être faite. L’allotransplantation ou l’autotransplantation d’hépatocytes génétiquement modifiés représente également une source d’espoir pour le traitement des déficits enzymatiques et métaboliques hépatiques.16,17 La réponse immunitaire reste un obstacle majeur au succès de la transplantation cellulaire, au même titre que pour la transplantation d’organes. Ainsi, l’encapsulation dans différents polymères a été développée pour protéger les hépatocytes du système immunitaire (figure 3).18 Les capsules protègent les cellules des anticorps circulants et des cellules du système immunitaire tout en laissant passer les nutriments tels que l’oxygène et le glucose.19 Ceci permet donc de se passer des immunosuppresseurs et des effets délétères liés à leur administration au long cours.20 La transplantation d’hépatocytes encapsulés a été étudiée dans plusieurs modèles précliniques d’insuffisance hépatique.21,22 Ces études ont rapporté une amélioration significative des paramètres cliniques, biologiques et une amélioration de la survie. Au vu de ces résultats prometteurs, une équipe du King’s College, à Londres, a réalisé une première mondiale en transplantant des hépatocytes humains encapsulés provenant d’une banque de cellules cryopréservées pour traiter un enfant atteint d’une hépatite herpétique fulminante.23 L’enfant a complètement récupéré dans les deux semaines qui ont suivi. A Genève, nous avons étudié la transplantation d’hépatocytes porcins encapsulés dans un modèle murin d’insuffisance hépatocellulaire aiguë.24 Nous avons pu démontrer que les cellules porcines maintiennent leur fonction métabolique après avoir été isolées et encapsulées, et qu’après transplantation elles améliorent la survie. Au vu de ces résultats, nous avons réalisé une étude chez le grand animal en collaboration avec le Massachusetts General Hospital à Boston, et prévoyons de débuter un essai clinique.
Dans les pays occidentaux, la cirrhose est la troisième cause de décès chez les 45-65 ans et elle est responsable d’une morbidité très importante.25 En Suisse, la cirrhose alcoolique est la huitième cause de mortalité, avec 490 décès en 2010 (6,2 décès/100 000 personnes-année).26 Le traitement causal (par exemple, les thérapies antivirales contre les hépatites B et C, la cessation de l’agent toxique) ainsi que la transplantation hépatique sont des traitements efficaces, mais malheureusement, beaucoup de patients ne peuvent en bénéficier (par exemple, contre-indication au traitement, manque de greffons, échec de sevrage, âge). Actuellement, les MSC (mesenchymal stem cells), cellules stromales progénitrices adultes, initialement identifiées dans la moelle osseuse, ont attiré l’attention des chercheurs dont le but est de développer des thérapies antifibrotiques. En effet, les MSC ont la capacité de se transformer en cellules remplissant des fonctions hépatocytaires ;27 elles possèdent des vertus immunomodulatrices28 et sécrètent de nombreuses cytokines hépato-protectrices.29 Compte tenu de ces propriétés remarquables, et le fait qu’elles soient facilement accessibles30 et possèdent des capacités d’expansion immenses in vitro,31 les MSC sont considérées comme une source autologue idéale pour les traitements antifibrotiques. Dans les études précliniques, la greffe de MSC a permis de réduire la mortalité chez des animaux atteints de défaillance hépatique et de diminuer la fibrose hépatique.30 Les MSC sont notamment capables d’inhiber l’action des lymphocytes T et B, des monocytes et des cellules NK (natural killer), autant de cellules qui infiltrent le foie malade.29 Par ailleurs, les MSC sécrètent des cytokines antiinflammatoires et anti-apoptotiques qui permettent de diminuer les lésions hépatiques de fibrose.29 Une possibilité, investiguée à Genève, est d’encapsuler les MSC afin de bénéficier de leur sécrétion cytokinique en éliminant leur potentiel profibrotique.32 Nous avons pu démontrer que les MSC humaines encapsulées dans du polyéthylène glycol-alginate permettent de diminuer la fibrose hépatique expérimentale (figure 4).19,33,34 Des essais cliniques de phases I-II ont pu montrer que la transplantation de MSC autologues ou hétérologues permet d’améliorer, parfois de façon transitoire, la fonction hépatique lors de maladies chroniques du foie, liées à l’hépatite B, C ou à l’alcool.35,36 Les résultats restent modestes et se limitent en général à une baisse du MELD score (Model For End-Stage Liver Disease). En outre, les MSC ont déjà été utilisées avec succès dans le traitement de l’ostéogenèse imparfaite,37 de la GVHD (maladie du greffon contre l’hôte) cortico-résistante, montrant 55% de réponses complètes,38 en tant que thérapie d’induction avant transplantation rénale,39 ainsi que dans le traitement adjuvant de maladies auto-immunes telles que la sclérose en plaques 40 ou le lupus érythémateux disséminé.41 Les principaux obstacles à une utilisation plus codifiée des MSC sont la difficulté à comprendre les mécanismes d’action sous-jacents, ainsi que les risques potentiels que représentent les réactions fibrotiques paradoxales,32 la transformation maligne et la transmission de virus.30 Fait intéressant, il a été suggéré que les MSC peuvent se polariser soit vers un phénotype pro-inflammatoire (MSC1, TLR4-dépendant), soit immunosuppresseur (MSC2, TLR3-dépendant).42 Dans ce contexte, des études précliniques (notamment sur les gros animaux) et cliniques 43 sont en cours afin de fournir suffisamment de données robustes pour permettre aux essais randomisés, contrôlés, de grande envergure de commencer.
La maladie de Parkinson se caractérise par la perte localisée des neurones dopaminergiques et touche près de 4,1 millions de patients dans le monde et 15 000 en Suisse.44 Le traitement est essentiellement basé sur les agonistes dopaminergiques et la stimulation cérébrale profonde. Malheureusement, ces traitements ne préviennent pas la perte neuronale et leur efficacité diminue avec le temps. L’alternative à ces traitements est la transplantation de neurones dans le but de restaurer une stimulation dopaminergique physiologique.45 La première approche dans cette direction a été la greffe de tissus mésencéphaliques humains d’origine fœtale, riches en neuroblastes.46 Ces cellules se différencient en neurones dopaminergiques après transplantation dans le striatum et permettent d’améliorer les symptômes moteurs.47,48 Malheureusement, les études cliniques randomisées ont détecté l’apparition d’un effet secondaire appelé «dyskinésie induite par la greffe» et n’ont pas pu montrer une amélioration clinique significative par rapport au placebo.49,50 L’absence d’immunosuppression, la qualité de la greffe et le court suivi initial semblent expliquer ces résultats. En effet, deux patients, suivis à long terme, sont restés «dopaminergiquement indépendants» cinq ans après la greffe.51 Les principales limitations de cette approche restent la faible disponibilité des tissus fœtaux mésencéphaliques ainsi que les problèmes éthiques liés à leur origine.
Les cellules souches pluripotentes humaines représentent la ressource cellulaire alternative aux tissus fœtaux. Elles peuvent être d’origine embryonnaire (cellules souches embryonnaires humaines) ou artificiellement reprogrammées à partir de tissus adultes (cellules souches induites à la pluripotence, iPSC).52–54 Ces sources de cellules sont virtuellement illimitées, et celles-ci ne seraient pas sujettes au rejet (dans le cas des iPSC) ; de plus, les problèmes éthiques liés à leur utilisation sont moindres.55 Les neurones ainsi générés ont prouvé leur efficacité dans des modèles expérimentaux de maladie de Parkinson.56
Actuellement, les principaux obstacles à une utilisation clinique sont la difficulté de maintenir à long terme le phénotype dopaminergique et le faible taux de survie des cellules (5-10%) ; ces problèmes sont liés à l’inflammation aspécifique, à l’hypoxie, à la diminution des facteurs de croissance, ainsi qu’à la perte de contact intercellulaire.57 La transplantation de capsules contenant des cellules génétiquement modifiées, sécrétant un facteur neurotrophique (GDNF) avec des neuroblastes humains, permettrait de favoriser la survie des neurones dopaminergiques.58 Une alternative serait l’utilisation de capsules «dégradables» qui protégeraient les neurones dopaminergiques contre le stress initial de la transplantation. Enfin, comme pour les autres types de transplantation cellulaire, il est nécessaire que la préparation des cellules se fasse dans des conditions de «bonnes pratiques cliniques» afin de diminuer au maximum les risques infectieux et carcinogéniques.45 Coordonné par Genève, le consortium PROMETHEUS s’est donné pour mission de développer une thérapie cellulaire de la maladie de Parkinson dans des conditions qui intègrent en priorité la sécurité du patient et l’éthique biomédicale.
La transplantation cellulaire est en constant progrès, elle regroupe des applications cliniques telles que la greffe d’îlots de Langerhans, d’hépatocytes, de cellules souches mésenchymateuses ou de neurones dopaminergiques. La recherche et le développement dans ce domaine sont essentiels, et permettront dans un avenir proche d’élargir le champ des applications cliniques, disponibles pour le traitement de nos patients.
>La greffe d’îlots de Langerhans s’adresse aux patients présentant un diabète instable avec des hypoglycémies non ressenties, sévères et répétées malgré une insulinothérapie intensive et/ou aux patients greffés rénaux (ou candidats) présentant une contre-indication à la greffe de pancréas entier
>La transplantation d’hépatocytes encapsulés permettra d’offrir un «bridge» vers la transplantation hépatique en cas d’hépatite fulminante
>La greffe de cellules souches mésenchymateuses donne un espoir de nouvelles thérapies aux patients atteints de cirrhose
>La transplantation de neurones dopaminergiques offre une nouvelle alternative thérapeutique aux patients atteints de la maladie de Parkinson