Il est mille et une manières de boire et de parler de l’alcool. L’éventail se resserre quand il s’agit de l’alcoolisme. Suite des cartes postales glanées en ce début de l’été 2014 (Revue Médicale Suisse du 13 août 2014).
La maladie du chanteur Renaud. Longtemps, ce fut un alcoolisme entre les lignes. Désormais, c’est un alcoolique en photo. Affiché en devanture des kiosques. Dans des revues comme Paris-Match ou VSD. Des images qui font peur, qui font vendre. «Ce sont, écrit Le Point, des photos qu’on ne voudrait plus voir.»
Pour autant ce ne sont pas des photographies volées. Chacun peut les prendre. Il suffit pour cela de se rendre à Paris. Puis d’aller prendre un Old fashioned, à la Closerie des Lilas, à mi-chemin de l’Observatoire et du Sénat. Une Closerie où Renaud fume et boit (du pastis pour l’essentiel) depuis longtemps et, depuis longtemps, nettement plus que de raison. Une Closerie «où on est aux petits soins pour lui» (VSD).
Ce sont des photos qui parlent. Des photos qui pleurent. La bouffissure. Elles disent la maladie, la souffrance et la déchéance qui vient. Les mots tournent autour du mal : la dépression, l’alcoolisme. Signes évidents, diagnostic probable, rechutes récurrentes, situation d’impasses thérapeutiques. Et puis, bien sûr, le déni. A commencer par celui des amis : «ne pas se fier à son apparence». «Il va bien, confirme un avocat et ami du chanteur, dans VSD. Je suis sincèrement scandalisé qu’il soit présenté comme un "clochard" !». Un proche, sous le couvert de l’anonymat : «Bon, il boit, c’est un alcoolique, personne ne peut dire le contraire. Mais attention, ne vous fiez pas à son aspect extérieur. Dans sa tête, tout fonctionne parfaitement bien.» Le sait-il, ce proche anonyme ? Y croit-il ?
Et l’incompréhension de ceux qui ne veulent pas comprendre : «Depuis 1977 et le tube "Laisse béton" les royalties n’ont jamais cessé de pleuvoir». Comme si l’argent protégeait des plaies de l’âme. Ce serait tellement plus simple. Tellement plus injuste.
L’exposition de ce chanteur alcoolique conduit à des mises en abyme médiatiques. Le Point : «Et toujours cette même inquiétude, ce lancinant mal de vivre pointé par la presse : comment va Renaud, l’un de nos plus grands chanteurs, ce compositeur et poète écorché vif, si prompt à se laisser envahir par un spleen plus destructeur que créatif ?». RTL, station au micro de laquelle un très vieil ami dit «souffrir beaucoup de le voir souffrir comme cela».
Les magazines font mine de s’émouvoir pour mieux vendre. On se délecte des antécédents, ces plongées dans ses néants d’où il fut sauvé par une femme. Avant que Romane choisisse de «ne plus tenir la barre». Tout nous est dit de ses errances entre L’Isle-sur-la-Sorgue et le boulevard du Montparnasse. On cite celui qui ne parle plus de lui.
«Ne cherchez pas d’explications. J’ai du mal avec la vie. Point final» (Paris Match, février 2012). «J’en ai marre qu’on dise en permanence que je vais mal, explique le chanteur dans Match. Ceux qui prétendent m’aider en disant le pauvre Renaud, il est malade, il est dépressif, il est alcoolique ne me font aucun bien. C’est tout l’inverse !» On sait qu’il ne faut jamais prendre le malade alcoolique au pied de la lettre. Quand ils ont le rang d’artiste, cela autorise tous les commerces, toutes les voracités.
Le sevrage de Simenon. C’est l’été, et soudain la lune plus que pleine d’un août contrarié. Un chat en furie fait tomber un livre d’une bibliothèque que vous désespérez de classer. Vous ramassez. Et voilà Simenon (1903- 1989) qui réapparaît.1
«C’est vers cette époque, et au retour, à Morsang, toujours à bord de l’Ostrogoth, qu’écrivant les premiers Maigret j’ai pris l’habitude de travailler au vin. Eh oui ! Dès six heures du matin. Et comme j’écrivais matin et après-midi, c’est-à-dire trois chapitres par jour … A Morsang, il y avait une barrique dans une fourche d’arbre à côté du bateau. Le pli était pris. J’ai continué jusqu’en 1945. Du vin, blanc à Concarneau (cidre l’après-midi), rouge à Paris ou ailleurs, grogs lorsque j’avais un rhume. Encore une fois, j’étais rarement ivre mais j’avais besoin, dès le matin, surtout pour écrire, d’un coup de fouet. J’étais persuadé de bonne foi qu’il était impossible d’écrire autrement. Et en dehors du travail, je prenais n’importe quoi, apéritif, cognac, calvados, marc, champagne…
Je voyageais beaucoup et, en voyage, je buvais davantage (…) En 1945, je suis parti pour les Etats-Unis, et j’avoue que je me suis mis à boire alors à l’américaine, non plus du vin aux repas, mais avant, Manhattan après Manhattan, puis Martini Dry après Dry Martini (avec oignon, ce qu’on appelle un Gibson). J’ai commencé à connaître les réveils pénibles, la gueule de bois, les crises d’aérophagies pendant lesquelles je pensais chaque fois mourir d’angine de poitrine. (…) Le premier roman écrit au thé est Trois chambres à Manhattan 1946. Ecrit dans un log cabin sur le lac Masson dans les Laurentides, en plein hiver. J’étais sûr de ne pas venir à bout de ce livre (…) Si l’expérience avait raté je ne l’aurais sans doute pas renouvelée et je serais mort à l’heure qu’il est.»
Simenon raconte ensuite (Quand j’étais vieux, 10 janvier 1961) comment il a, avec sa femme d’alors, décidé de se «mettre sur le wagon» (abstinence complète). Pas par vertu. Par instinct de survie. Puis, il est véritablement entré en abstinence en 1949. «Cela ne m’empêche pas de me considérer comme un alcoolique» écrit-il onze ans plus tard. En 1963, il déclare à Roger Stéphane : «Je ne vois aucune honte à être ivrogne, pas plus qu’à avoir une maladie de cœur ou un cor au pied.»
Robin Williams, 63 ans, «suicide par asphyxie». Sa mort vient de bouleverser les foules. Tous les médias occidentaux pleurent l’acteur «l’un des plus brillants de sa génération». Sans parler des brassées de larmes twittées. Barack Obama a salué son «talent incommensurable». «Il a débarqué dans nos vies comme un extraterrestre, mais il a fini par toucher chaque élément de l’esprit humain», a déclaré le président américain.
Naissance à Chicago… Etudie l’art dramatique à la Julliard Scholl… One-man-shows dans des night-clubs… Séries télévisées (Happy Days, en 1974, Mork and Mindy)… Premier Golden Globe… Quatre au total, notamment celui du meilleur acteur pour Good Morning Vietnam…Renommée mondiale… Le Cercle (1989)… Madame Doubtfire (1993)… Will Hunting… Un seul Oscar (1998) catégorie «meilleur second rôle»…
Sa femme (épousée en troisièmes noces en 2011) dit avoir «perdu ce matin son mari et meilleur ami». «Mon cœur est totalement brisé».Son attachée de presse explique que le professeur du Cercle des poètes disparus souffrait d’une dépression. La présidente de l’Association américaine de suicidologie, ajoute qu’outre ses addictions à la drogue et à l’alcool l’homme souffrait de troubles liés à une personnalité bipolaire. Et le directeur de National Alliance on Mental Illness dit que la mort de l’acteur met en lumière «la nécessité de développer de meilleurs traitements pour tout ce qui touche à l’addiction et à la dépression». «Il est difficile de penser que des personnalités aussi connues et avec autant de succès que Robin Williams peuvent avoir ce genre de vulnérabilité, a-t-il ajouté. On aimerait croire qu’ils sont immunisés contre la souffrance et les maladies psychiatriques. Mais ce n’est pas le cas.»
Robin Williams avait parlé ouvertement de ses démons, de ses batailles avec l’alcool et la drogue. Il n’avait pas eu le temps d’évoquer son entrée dans la maladie de Parkinson. Sa troisième épouse s’en est chargée. Des médias se sont alors interrogés sur les possibles liens entre cette affection et son suicide par asphyxie. Il préparait une suite de Madame Doubtfire. Trop tard. Mme Doubtfire ne gardera plus jamais ses enfants.
Renaissance de la substance blanche. Rien n’est véritablement définitif dans la maladie alcoolique. On le savait pour le foie, organe capable de se régénérer depuis l’aigle de Prométhée. C’est aussi vrai pour le cerveau. Une démonstration, élégante et moderne, vient de nous en être fournie dans les colonnes du Lancet Psychiatry.2 Cette régénération concerne la substance blanche. Elle a un prix assez élevé : l’abstinence.
(Fin)