La chlamydiose, une infection sexuellement transmissible fréquente, affecte surtout les personnes jeunes. Ses complications peuvent compromettre, chez les femmes, l’avenir procréatif. Malgré un test fiable et un traitement peu coûteux et efficace à disposition, son contrôle présente plusieurs défis : les infections asymptomatiques, la longue durée de l’infection non traitée, les réinfections et le traitement des partenaires. La personne infectée est à haut risque de réinfection et le dépistage répété permettrait de baisser son risque de complications. Les médecins de premier recours, gynécologues et consultations de santé sexuelle pourraient participer au dépistage d’infections asymptomatiques. En Suisse, le coût du test, fixé par le tarif OFAS, est élevé. Il est prohibitif pour certains et nécessite une adaptation.
L’infection urogénitale à Chlamydia trachomatis est une infection sexuellement transmissible (IST) fréquente qui affecte surtout les jeunes adultes et les adolescents. Elle est le plus souvent asymptomatique, mais peut se manifester par une urétrite chez les deux sexes, une cervicite chez la femme ou une orchiépididymite chez l’homme. La pharyngite et la proctite font partie du spectre de présentation. Pour la femme, des spottings coïtaux ou intermenstruels, l’apparition ou l’aggravation d’une dysménorrhée, une dyspareunie profonde, des douleurs pelviennes doivent suggérer l’infection. Chez les femmes, l’annexite et ses séquelles, douleurs abdominales chroniques, grossesse extra-utérine et stérilité tubaire, peuvent avoir un impact important et mettent en péril l’avenir reproducteur.1 Des complications liées à la grossesse, notamment une prématurité, la conjonctivite et la pneumonie du nouveau-né sont également possibles. Pour plus de détails sur la clinique, le diagnostic et le traitement de l’infection, y compris les infections à C. trachomatis biovar LGV, le lecteur est prié de se référer à la récente revue du sujet dans la Revue Médicale Suisse et aux recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).1,2 L’infection non traitée dure en moyenne une année.3 En 2003, la majorité des infections étaient diagnostiquées par les gynécologues, les services hospitaliers et les médecins de premier recours. Plus de la moitié des infections concernaient les femmes de 15-24 ans et les hommes de 25-34 ans.4
L’European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) propose quatre étapes pour le contrôle des infections urogénitales à Chlamydia : un programme de prévention primaire, la prise en charge des infections, le dépistage dit opportuniste (lors d’une consultation pour une autre raison) et finalement un dépistage systématique.5 En Suisse, la première étape de prévention primaire est implémentée par le programme national VIH et autres infections sexuelles (PNVI), les campagnes Love-Life 6 et les mandats d’éducation sexuelle dans les écoles. Pour la deuxième étape, des recommandations de prise en charge des infections ont été publiées.2 Il n’y a pas, ou pas encore, de programme suisse de dépistage de C. trachomatis.
Depuis 1999, le nombre de déclarations d’infection à C. trachomatis à l’OFSP a quadruplé, de 2123 en 1999 (3/ 100 000 habitants) à 8749 en 2013 (12/100 000 habitants). La première moitié de l’année 2014 compte déjà plus de 5000 déclarations. Cette augmentation constante sur quinze ans était précédée d’une baisse dans les années 90. Cette baisse, observée pour toutes les infections sexuellement transmissibles, a été attribuée aux changements de comportement liés au sida et à sa campagne de prévention (STOPSIDA). Mais ces données ne permettent pas de savoir si l’incidence a changé depuis 1999. D’autres facteurs, notamment un nombre de dépistages plus élevé, pourraient en être l’explication.
Le pic des infections à 20-24 ans est clairement différent, par exemple, de celui de la syphilis (figure 1), indiquant une épidémiologie différente entre les chlamydioses et la syphilis (et d’autres IST). L’infection est présente dans tous les groupes de la population et touche, plus que d’autres IST, les jeunes dès le début de leur activité sexuelle.
Une étude de 1987 montrait par culture un taux d’infection à 19% chez des femmes de 18 à 55 ans consultant deux centres de planning familial (Profa Lausanne et Renens), à 49% symptomatiques.7 Deux autres études suisses, datant de 1998 et 2004, trouvaient des taux d’infection entre 2 et 4%.8,9 Un faible taux d’infection à 1,2% auprès de jeunes hommes, âgés en moyenne de 20,6 ans, a été trouvé lors de leur recrutement en 2006/2007.10
Quatre études de prévalence, menées dans une population représentative d’adultes de moins de 25 ans et sexuellement expérimentés dans quatre Etats (France, Allemagne, Slovénie, Royaume-Uni) ont été identifiées dans une revue de l’ECDC.11 Avec un taux de participation de 46 à 71%, les taux de prévalence chez les femmes âgées de 18 à 24 ans varient de 3% (Royaume-Uni) à 5% (Slovénie), ceux chez les hommes de 0,4% (adolescents de 16 et 17 ans en Allemagne) à 5% (hommes de 18 à 24 ans en Slovénie). La variation des taux de prévalence dans ces études et d’autres, moins systématiques, dépend du pays, du sexe, de l’âge et du degré de couverture et de participation.
Selon une enquête menée en 2012 par l’ECDC dans l’Union européenne, treize pays sur 28 interrogés signalent un programme de dépistage opportuniste de chlamydioses et trois pays (France, Luxembourg et Malte) ont le projet de l’introduire. Seul un pays, le Royaume-Uni, mène actuellement un dépistage systématique (National Chlamydia Screening Programme – NCSP).12 Ce dépistage est proposé gratuitement une fois par année et à chaque changement de partenaire, aux femmes et hommes entre 16 et 25 ans, dans les cabinets des médecins de premier recours et des gynécologues, par les consultations spécialisées de santé sexuelle et par internet.
La fréquence des complications d’une infection non traitée est matière à débat. Surestimées dans le passé, des estimations prudentes du risque d’annexite vont de 2 à 4,5% après une infection,13 mais certains modèles l’estiment jusqu’à 16%.14 Le risque de stérilité tubaire après annexite peut atteindre 18%.13 Deux études documentent une diminution de 50% du risque de complication une année après un traitement unique.15,16
Le programme de dépistage opportuniste en Suède, instauré en 1985 pour les femmes sexuellement actives de moins de 30 ans, montre une corrélation entre la prévalence dans une région administrative et son incidence de grossesses extra-utérines.17 Malgré une adhésion variable de région à région, une diminution de 40% des infections et de ces complications a été constatée entre 1985 et 1991.17 Toutefois, le nombre de déclarations augmente de nouveau depuis plusieurs années, aussi en Suède.17 De nouveau, l’effet du sida et de sa prévention à la fin des années 80 est avancé pour expliquer cette évolution. Le taux de participation du programme anglais atteint, en 2013, environ 25%, insuffisant pour fléchir la courbe. Les Pays-Bas ont entrepris une étude pilote ambitieuse pour tester l’effet du dépistage sur la prévalence, avec un dépistage annuel sur trois ans, proposé à toute la population jeune de deux grandes villes, Amsterdam et Rotterdam, et une région rurale. Le taux de participation de 16% dans la première année de dépistage a régressé à 10% dans la troisième. Aucun changement de prévalence n’a pu être constaté et le programme a été arrêté. L’étude a cependant montré pour la petite fraction de 3% de participants qui ont accepté les trois dépistages annuels une diminution de 51% du taux de prévalence, de 5,9% dans la première à 2,9% dans la troisième année.18
Malgré le traitement hautement efficace (taux de guérison ≥ 97%), la notification des partenaires et les conseils de prévention, jusqu’à 30% des personnes se réinfectent dans l’année.3 Une étude a mis en évidence une incidence de réinfection cinq fois plus élevée (22 réinfections par 100 années-personnes) que l’incidence d’une première infection (4,4 premières infections par 100 années-personnes).19 Les nouvelles infections seraient dues en partie à un comportement ou un réseau sexuel à risque, à une absence de traitement ou encore à un traitement non synchrone des partenaires. Une prédisposition génétique est discutée.
Les femmes sont plus souvent dépistées que les hommes. Une enquête menée au Royaume-Uni a montré que 75% des hommes, âgés entre 18 et 35 ans, avaient vu leur médecin de famille dans l’année qui précédait l’enquête, suggérant la médecine de premier recours comme lieu de dépistage pour les hommes.20 En Angleterre, le dépistage par internet, pas disponible en Suisse, a permis de réduire davantage cette différence.
En Suisse, le coût du test est élevé et les frais de laboratoire d’un dépistage s’élèvent actuellement à CHF 119.– (95 pts OFAS + taxe administrative 24 pts ; 1 pt OFAS = CHF 1.–), auxquels il faut ajouter les frais de consultation. Bien que sur la liste des prestations remboursées par l’assurance de base, ces frais sont le plus souvent à la charge de la personne (franchise) et de ce fait difficiles à assumer pour certains, notamment les adolescents. Le traitement à l’aveugle et à intervalle régulier serait certes actuellement nettement moins cher (CHF 17-19.– par traitement), mais ne se justifierait pas à cause de l’impact important sur la sélection d’une flore bactérienne plus résistante chez les nombreuses personnes traitées, comme cela avait été déjà constaté en Finlande pour les streptocoques du groupe A résistant aux macrolides. La revue de l’ECDC a identifié dix analyses coût-efficacité. Toutes sauf une identifient une stratégie coût-efficacité. Ces scénarios supposent un taux de participation (35-100%) et un risque de complication (annexite 10-30%) plutôt élevés, et un prix de dépistage nettement inférieur à celui en Suisse.11
L’infection urogénitale à C. trachomatis a une épidémiologie différente des autres IST et nécessite une attention particulière. Le contrôle de cette infection et la prévention de ses complications présentent plusieurs défis, notamment le grand nombre d’infections asymptomatiques, le jeune âge des personnes concernées, la longue durée de l’infection non traitée, les réinfections fréquentes et les difficultés du traitement efficace des partenaires, malgré la disponibilité d’un test de laboratoire fiable (PCR) et d’un traitement peu coûteux et efficace. Ni le dépistage opportuniste ni le dépistage systématique des chlamydioses n’ont démontré jusqu’à présent leur efficacité sur la prévalence et le rapport coût-efficacité est matière à débat. Le faible taux de participation aux programmes de dépistage est la cause principale de l’absence d’effet sur la prévalence dans la population dépistée. Ce facteur a mis en échec le programme aux Pays-Bas et risque de compromettre celui en Angleterre, les deux seuls programmes de dépistage systématique en Europe. Des variations entre régions (cultures) et sous-groupes de population peuvent accentuer cet effet. Les adolescents sont un groupe plus difficile à atteindre, du fait du manque d’occasions de contact avec le système médical, de barrières de communication sur la sexualité avec leur entourage et d’autres préoccupations à cet âge.
Le but du dépistage, une baisse du taux de complications au long terme pour l’individu exposé, peut être atteint chez la personne motivée et adhérant au programme. Le dépistage des chlamydioses est l’occasion de faire l’éducation à la prévention de cette infection et des IST en général, à l’exemple bien connu et rôdé du dépistage du VIH. La rareté relative du VIH dans la population jeune et de prédominance hétérosexuelle qui vient se faire tester peut donner un faux message de sécurité; l’ajout d’un dépistage de Chlamydia permettrait d’améliorer l’impact de prévention en mettant à jour des infections asymptomatiques.
Les médecins de premier recours sont bien placés pour proposer le dépistage de Chlamydia aux adolescents et jeunes adultes qui se présentent à leur cabinet, quel que soit le motif de consultation. Le dépistage est aisé de par la simplicité des modes de prélèvement : premier jet urinaire ou, pour la femme, autofrottis vaginal, ces deux modes étant de fiabilité élevée et comparables.
Le risque de nouvelle infection (voir annexe) est particulièrement élevé chez les personnes ayant eu une infection, impliquant une prise en charge plus intense pour éviter les complications. En Suisse, il n’y a pas (ou pas encore) de programme de dépistage et le coût du test, fixé par le tarif OFAS, est élevé. Il est prohibitif pour une partie des personnes qui en auraient besoin (adolescents et jeunes adultes à revenu faible) et nécessite une adaptation.
Les propositions suivantes se basent sur cette revue de la littérature et, en l’absence de recommandations suisses, empruntent en partie les recommandations du programme anglais (NCSP).12 Il ne s’agit donc pas de recommandations officielles suisses.
1) Le dépistage de la personne asymptomatique devrait être proposé à intervalles réguliers (1x par année) et à chaque nouvelle/nouveau partenaire sexuel, dès le début de l’activité sexuelle et jusqu’à l’âge de 25-30 ans chez les femmes, 35-40 ans chez les hommes.
2) Les coûts du dépistage doivent être discutés : le test coûte actuellement CHF 119.– (95 pts OFAS r taxe administrative 24 pts ; 1 pt OFAS = 1 franc suisse), plus les frais de consultation. Bien que remboursés par l’assurance de base, ces frais sont à la charge de la personne qui n’a pas épuisé la franchise.
3) Chez la personne asymptomatique, les modes de prélèvement préconisés sont le frottis vaginal (autofrottis par la femme) ou les urines du premier jet (femme et homme ; attente depuis dernière miction minimum 2 heures). Il n’est pas utile ici de dépister la gonorrhée en même temps car elle n’est pas souvent trouvée dans ces circonstances (0,3% ou une fois sur 300 tests) 21 et ce test alourdit les frais déjà importants.
4) En cas de symptômes(notamment urétrite, suspicion d’annexite, orchiépididymite, pharyngite ou proctite), il convient de chercher Chlamydia trachomatiset Neisseria gonorrhoeae(gonorrhée). Le frottis urétral (ou cervical ou autre) reste préconisé car il permet de faire la culture de N. gonorrhoeaeavec antibiogramme. Pour des infections acquises dans un contexte à plus haut risque, notamment lors de relations sexuelles entre hommes, il convient de chercher le biovar LGV (lymphogranulome vénérien) par PCR.
5) Le traitement de l’infection à C. trachomatis (asymptomatique ou urétrite/cervicite) est l’azithromycine 1 g en dose unique per os (CHF 17.– à 19.–), suivi d’une abstinence sexuelle pendant 7 jours.1,2 Le traitement de l’annexite, de l’épididymite et de l’infection à C. trachomatis biovar LGV est différent et plus long.
6) Il est judicieux de prévoir un nouveau dépistage après 3 à 6 mois pour détecter les réinfections ou les traitements non synchrones des partenaires.
7) En cas d’infection, les partenaires des 3 à 6 derniers mois doivent être notifiés et traités. Le ou la partenaire d’une personne avec une infection peut être traité(e) sans être testé(e), car le risque d’infection est d’emblée élevé (65% selon NSCP).12
8) Chaque dépistage et chaque diagnostic d’infection sexuellement transmissible donnent lieu à une discussion sur les risques, le dépistage et la prévention des autres IST, en particulier du VIH.
9) La femme diagnostiquée positive pourC. trachomatiset présentant des douleurs abdominales est à adresser en urgence à un gynécologue pour recherche d’une annexite et prise en charge thérapeutique en conséquence.
> Les infections urogénitales à Chlamydia trachomatis concernent une population qui se caractérise d’abord par son jeune âge, adolescents et jeunes adultes
> La stratégie de dépistage des infections urogénitales à Chlamydia trachomatis doit comprendre les infections asymptomatiques, chez les hommes et les femmes
> Une infection dépistée signifie, malgré le traitement, un haut risque de réinfection. Le dépistage doit alors être répété à intervalles réguliers et à chaque nouveau/nouvelle partenaire
> La notification et le traitement du/de la ou des partenaires est indispensable pour réduire le risque de réinfection
La chlamydiose, une infection sexuellement transmissible fréquente, affecte surtout les personnes jeunes. Ses complications peuvent compromettre, chez les femmes, l’avenir procréatif. Malgré un test fiable et un traitement peu coûteux et efficace à disposition, son contrôle présente plusieurs défis : les infections asymptomatiques, la longue durée de l’infection non traitée, les réinfections et le traitement des partenaires. La personne infectée est à haut risque de réinfection et le dépistage répété permettrait de baisser son risque de complications. Les médecins de premier recours, gynécologues et consultations de santé sexuelle pourraient participer au dépistage d’infections asymptomatiques. En Suisse, le coût du test, fixé par le tarif OFAS, est élevé. Il est prohibitif pour certains et nécessite une adaptation.