La thérapie focale est une nouvelle stratégie thérapeutique du cancer de la prostate visant à traiter uniquement la partie de la glande atteinte d’une maladie cliniquement significative. Le but est de conserver le bénéfice oncologique des traitements standards du cancer de la prostate tout en diminuant drastiquement la morbidité postopératoire. Des études cliniques sont en cours dans des centres d’excellence évaluant différentes technologies minimalement invasives. Les résultats oncologiques et fonctionnels à moyen terme sont encourageants avec des taux d’incontinence urinaire et de dysfonction érectile bas. Cependant, les résultats oncologiques doivent encore être déterminés à long terme étant donné l’évolution lentement progressive de la maladie dans la plupart des cas.
Le cancer de la prostate présente des caractéristiques épidémiologiques particulières. Il est avéré que plus de 50% des hommes ont un ou plusieurs foyers néoplasiques dans la glande à partir de 60 ans. Toutefois, en l’absence de dépistage systématique par dosage du PSA (prostate-specific antigen), une minorité de sujets (environ 8%) développera cliniquement un cancer de la prostate et seuls 3% succomberont des suites de la maladie.1 Cela signifie que la plupart des cancers prostatiques ont un comportement indolent ou «cliniquement insignifiant».2 Il y a en revanche un intérêt à détecter précocement un cancer de la prostate significatif chez des patients ayant une espérance de vie prolongée, puisqu’en l’absence de traitement, environ un patient sur trois mourra de sa maladie.3
Pour optimiser l’impact thérapeutique (rapport bénéfices/complications) d’un traitement actif, une approche d’ablation sélective de la partie de la glande atteinte d’une maladie significative a été proposée. Cette stratégie thérapeutique est nommée «thérapie focale», et représente l’application au cancer de la prostate des principes oncologiques de préservation d’organes.
Dans cet article, nous discuterons le rationnel, la sélection des patients, les résultats et les perspectives futures de la thérapie focale dans le cancer de la prostate.
Le traitement sélectif d’un foyer néoplasique avec des marges de sécurité est une stratégie établie dans certains cancers solides. Chez les patients éligibles, certaines néoplasies du foie, du pancréas, du poumon, de la thyroïde, de l’intestin et du rein en sont des exemples. Cette stratégie thérapeutique a longtemps été jugée inadéquate pour le cancer de la prostate en raison de son caractère souvent multifocal.
En pratique clinique, les critères histologiques qui déterminent l’agressivité d’une maladie localisée sont le grade et le volume. Récemment, il a été démontré que les lésions de bas grade n’ont pas de potentiel métastatique ni d’impact sur la mortalité liée à la maladie.4,5 Seules les lésions de grade intermédiaire ou de haut grade semblent nécessiter un traitement actif, les autres pouvant être surveillées.6 Les experts ont donc suggéré que la thérapie focale est une option valide : 1) chez les patients atteints d’une maladie unifocale significative (un seul foyer néoplasique cliniquement significatif) ou 2) chez les patients avec des foyers multiples, mais dont un seul est cliniquement significatif (figure 1).
Jusqu’à présent, le développement de la thérapie focale dans le cancer de la prostate a également été limité par l’absence de techniques d’imagerie suffisamment performantes pour détecter une tumeur cliniquement significative dans les différentes régions de la prostate. Cette barrière est sur le point de tomber. Il a en effet été démontré que l’imagerie par résonance magnétique (IRM) multiparamétrique est capable d’exclure un cancer significatif dans les différentes régions de la prostate avec une fiabilité supérieure à 90%.7 De plus, l’emploi de biopsies très précises des zones suspectes à l’IRM permet d’atteindre une valeur prédictive positive également élevée.
Enfin, la préservation de tissu prostatique est essentielle afin de diminuer drastiquement la toxicité des traitements radicaux du cancer de la prostate.8 La prostatectomie radicale ou la radiothérapie externe peuvent avoir un impact sur les fonctions érectiles, urinaires et rectales en raison de la proximité de structures importantes telles que les sphincters urinaires, l’urètre, les bandelettes neurovasculaires et le rectum. La thérapie focale a pour objectif de conserver le bénéfice thérapeutique des traitements radicaux, tout en diminuant significativement la toxicité génito-urinaire et rectale et donc garantir un résultat fonctionnel satisfaisant.
Les critères d’éligibilité à un traitement focal ont évolué ces dernières années avec l’approfondissement des connaissances. Anciennement, ce traitement était proposé comme une alternative aux patients atteints d’une maladie non significative localisée, ou aux patients avec une maladie significative mais ayant une espérance de vie limitée. A présent, le traitement focal est plutôt une alternative aux traitements radicaux de la prostate pour les patients avec une maladie significative localisée modérément invasive. Le plus récent consensus d’experts a identifié comme éligibles les patients décrits dans le tableau 1.
Déterminer la localisation et les limites du cancer à traiter est la clé du succès de la thérapie focale. Le recours à une IRM multiparamétrique incluant des séquences dédiées est ainsi fondamental. Elle permet de juger des critères d’éligibilité des patients, mais s’avère également un outil indispensable dans le suivi des patients après traitement (figure 2). Une vérification histologique des résultats radiologiques par biopsies ciblées est toujours effectuée.
La thérapie focale est administrée en utilisant des technologies minimalement invasives. Le traitement se fait sous anesthésie générale ou locorégionale dans le cadre d’un court séjour. La durée du traitement dépend de la technologie ablative utilisée et de la quantité de tissu traité. A l’exception de l’HIFU (ultrasons focalisés de haute intensité) qui utilise la voie transrectale sans incision, toutes les autres technologies nécessitent une approche transpérinéale, afin de positionner les aiguilles dans le tissu cible.9 Les plus utilisées actuellement sont l’HIFU, la cryothérapie et la photothérapie dynamique. De nouvelles technologies telles que l’électroporation irréversible et la thérapie photothermique par laser interstitiel sont actuellement en phase initiale d’évaluation clinique.
Les appareils disponibles visent à détruire le foyer tumoral par des mécanismes différents. Le HIFU utilise un transducteur de thérapie (couplé à une sonde intrarectale échographique) qui émet des ultrasons convergents à haute intensité. Ces ultrasons sont capables de provoquer une nécrose de coagulation dans le tissu cible en élevant la température. Les derniers appareils de HIFU incluent un logiciel qui permet de fusionner les images IRM préopératoires avec l’échographie peropératoire et ainsi de guider le traitement avec une précision élevée.
La cryothérapie utilise un mécanisme thermique inverse en abaissant la température dans le tissu prostatique cible au-dessous de -40° C. Les aiguilles de cryothérapie sont directement insérées dans la cible par voie transpérinéale, puis détruisent le tissu cible par abaissement de la température.
La photothérapie dynamique provoque la destruction cellulaire par formation de radicaux libres. En présence d’oxygène, les radicaux libres sont formés par l’association d’une molécule photosensibilisante avec de la lumière à une longueur d’onde précise. La substance photosensibilisante est injectée par voie intraveineuse et le tissu cible est illuminé par des fibres optiques positionnées par voie transpérinéale.
L’électroporation irréversible provoque la destruction du tissu par la formation de micropores au niveau de la membrane cellulaire. Les avantages potentiels de cette nouvelle technologie sont la précision de l’ablation, confinée uniquement entre les électrodes, et la capacité de maximiser la préservation tissulaire des structures à forte composante de collagène, comme les nerfs et les vaisseaux.
Enfin, la thérapie photothermique par laser interstitiel utilise le laser pour augmenter la température dans le tissu cible à travers des fibres laser positionnées par voie transpérinéale.
Il n’y a pas actuellement d’étude comparative visant à déterminer la supériorité d’une technologie sur une autre. Les critères d’éligibilité sont légèrement différents entre les techniques et le choix dans un même centre se fait généralement en fonction du niveau d’expertise avec un appareil ou une énergie en particulier. Les centres de haut volume devraient toutefois pouvoir offrir plusieurs technologies complémentaires pour pouvoir traiter au mieux chaque patient selon le tableau clinique.
Un résumé des résultats principaux des différentes études cliniques et séries de patients investiguant la thérapie focale est présenté dans le tableau 2.6,9
La thérapie focale représente une stratégie thérapeutique prometteuse dans le cancer de la prostate. La précision des nouveaux tests diagnostiques ainsi que le caractère minimalement invasif des technologies ablatives visent à offrir un bénéfice maximal aux patients, c’est-à-dire de maintenir le contrôle oncologique de la maladie tout en minimisant les effets secondaires du traitement.
Toutefois, certains aspects sont encore débattus et justifient une évaluation rigoureuse de ce traitement. Premièrement, le suivi de patients traités par thérapie focale est court dans la plupart des études. Puisque l’histoire naturelle du cancer de la prostate est longue, un suivi d’au moins dix ans est nécessaire pour déterminer l’effet d’un traitement.10 Bien que des données supplémentaires soient nécessaires pour vérifier les résultats oncologiques de la thérapie focale, il est important de noter que dans la seule série avec un suivi médian de dix ans (HIFU), le taux de biopsies négatives était de 91% et la survie spécifique liée à la maladie de 100%.11 De plus, une étude récente a montré que la thérapie focale pourrait être répétée en cas de récidive tumorale sans morbidité notable surajoutée.12
Deuxièmement, le protocole de suivi après traitement focal n’est pas standardisé. Un suivi multimodal combinant PSA, IRM multiparamétrique et biopsies de la zone de la glande traitée semble nécessaire afin de limiter la possibilité de manquer une récidive tumorale ou une tumeur de novo.13 La compliance des patients à un suivi régulier est donc nécessaire, comme dans toute chirurgie oncologique de préservation d’organe.
Troisièmement, le pourcentage de patients éligibles est également débattu. Il varie en effet en fonction du seuil retenu pour définir une maladie cliniquement significative et des tests diagnostiques employés pour sélectionner les patients. Bien qu’auparavant, peu de patients aient été considérés comme éligibles, une étude récente a montré que 92% d’entre eux le seraient.14
Les critères histologiques pour définir un cancer de la prostate sont finalement également discutés. Il y a consensus sur le fait qu’un grade ≥ 4 représente un critère valable, toutefois, les critères volumétriques du cancer sont moins clairs. Dans le passé, des seuils de 0,2 ou 0,5 ml étaient considérés comme significatifs. Récemment, il a été démontré que le seuil de significativité clinique pourrait être plus élevé dès 1,3 ml.2 Dans un futur que l’on espère proche, des marqueurs moléculaires seront utiles pour distinguer les tumeurs significatives. A présent, l’utilisation de tests diagnostiques précis, comme l’IRM multiparamétrique et les biopsies ciblées, est l’approche recommandée.
Toute nouvelle stratégie thérapeutique devrait en principe être comparée à un traitement de référence de manière rigoureuse et par assignation aléatoire des patients. En l’état, cela signifierait comparer la thérapie focale aux traitements «classiques» (chirurgie ou hormono-radiothérapie). Il existe plusieurs difficultés à cela. En premier lieu, la plupart des études randomisées comparant deux traitements dans le domaine du cancer de la prostate ont échoué, en raison notamment de la difficulté de randomiser les patients.15 La randomisation est plus simple quand deux médicaments avec un profil toxique comparable sont administrés, mais délicate dans les disciplines chirurgicales, en particulier dans le cas où la disparité des effets secondaires est notable. De plus, ce genre d’étude nécessite un suivi prolongé pour déterminer des différences en termes de mortalité spécifique. Finalement, plusieurs technologies pouvant être utilisées en thérapie focale, les résultats d’une technologie ne peuvent pas être appliqués à une autre par extrapolation directe.
Il est donc peu probable qu’une étude randomisée de ce type soit réalisée dans les prochaines années. Afin d’évaluer ces technologies de manière rigoureuse, sûre et efficace pour les patients, ainsi que déterminer les résultats oncologiques et fonctionnels sur le long terme, il semble adéquat d’offrir la thérapie focale dans le cadre d’études cliniques. La dissémination non contrôlée de cette technique pourrait avoir des conséquences délétères pour les systèmes de santé et surtout pour les patients.
Enfin, et c’est l’un des avantages notables de ces nouvelles techniques, la plupart des traitements focaux disponibles laissent la possibilité, en cas d’échec, soit de retraiter de façon focale, soit d’intervenir alors de façon classique. On assisterait alors à un changement de paradigme complet, avec une nouvelle arme dans l’arsenal contre le cancer de la prostate localisé. Cependant, si cela semble faisable, le devenir à long terme de ces patients doit encore être évalué.
Un protocole d’étude clinique intercantonale romand visant à inclure des patients en vue d’une thérapie focale par HIFU est actuellement en phase d’initiation. Les patients avec un diagnostic de cancer de la prostate localisé remplissant les critères internationaux d’éligibilité (tableau 1) sont invités à y participer. Une IRM multiparamétrique et des biopsies systématiques, afin de réduire au maximum la possibilité de méconnaître la présence d’une maladie significative dans les zones de la glande non traitées, seront réalisées chez tous les sujets. Le protocole de suivi après traitement inclura des visites cliniques systématiques avec remplissage de questionnaires validés, des IRM multiparamétriques et des biopsies afin de vérifier l’efficacité du traitement ainsi que ses effets secondaires.
La thérapie focale est une stratégie thérapeutique prometteuse pour les patients atteints d’un cancer localisé de la prostate modérément invasif. Comme pour d’autres tumeurs solides, un traitement ciblé de la néoplasie prostatique en préservant l’organe pourrait assurer un contrôle oncologique en minimisant les complications et donc déterminer une amélioration substantielle de la qualité de vie des patients traités. Avant de disséminer le traitement d’une manière indiscriminée, une évaluation rigoureuse et protocolée est nécessaire, et cela dans des centres expérimentés.
M. Valerio est consultant pour la compagnie AngioDynamics (Latham, NY, EU). Les autres auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> La thérapie focale est une stratégie thérapeutique émergente et prometteuse pour certains patients atteints d’un cancer localisé de la prostate modérément invasif
> La sélection des patients éligibles au moyen d’une IRM multiparamétrique de bonne qualité et de biopsies précises est la clé du succès
> Les résultats à moyen terme dans le cadre d’essais cliniques rigoureux montrent une bonne efficacité oncologique et d’excellents résultats fonctionnels. Cependant, un suivi prolongé est nécessaire pour vérifier ces résultats
> En cas d’échec, une thérapie classique radicale reste possible
> Cette technique hautement spécialisée est en phase d’évaluation clinique et son utilisation pour le moment devrait s’effectuer dans des centres de référence
Focal therapy is a novel treatment strategy in prostate cancer aiming to treat only the area of the gland harbouring clinically significant disease. The overall objective is to maintain the oncological benefit of active treatment while minimising treatment-related morbidity. Leading centres are currently evaluating various minimally invasive technologies in a rigorous manner. Oncological and functional results in mid-term are encouraging with low rate of urinary incontinence and erectile dysfunction. However, the oncological outcome needs to be evaluated in the long term in the light of the prolonged natural history of the disease.