En 2014, plusieurs études ont contribué à l’amélioration de l’évaluation diagnostique et pronostique, ainsi que de la prévention de l’état confusionnel aigu chez les patients âgés hospitalisés. Une information directe aux patients est efficace pour obtenir un sevrage de benzodiazépines. Des recommandations ont été émises concernant la nutrition des patients souffrant de démence qui prohibe en particulier l’utilisation de la nutrition entérale par sonde. L’efficacité de certaines mesures préventives des démences, en particulier l’activité physique, se confirme. Deux essais d’anticorps monoclonaux antiamyloïdes n’ont pas tenu leurs promesses, alors que la vitamine E et le citalopram pourraient bien trouver leur place dans l’arsenal thérapeutique lors de démence.
Un état confusionnel aigu (ECA) complique 29 à 64% des hospitalisations de personnes âgées (en particulier en médecine interne et traumatologie), mais reste encore trop rarement diagnostiqué (12 à 35% seulement!).1 Deux études publiées en 2014 ont apporté des contributions significatives dans le dépistage et la prévention chez ces patients.
La première a validé une version de la Confusion Assessment Method (CAM) qui en opérationnalise les critères diagnostiques afin d’améliorer le dépistage de l’ECA.2 L’algorithme proposé (3D-CAM, figure 1) permet une évaluation structurée et rapide (temps médian 3 minutes, 75% des évaluations prenant moins de 5 minutes), combinant tests et observation au lit du malade. Comparé à un gold standard (évaluation par experts et interviews de proches), la 3D-CAM s’est avérée hautement sensible (95%; IC 95%: 84-99) et spécifique (94%; IC 95%: 90-97) pour identifier un ECA chez des patients (N=201; 84 ± 5,4 ans; 28% avec démence) hospitalisés en médecine interne. La concordance interobservateur était de 95% et les performances clinimétriques étaient pratiquement similaires dans les sous-groupes de patients avec (sensibilité 96%; spécificité 86%) et sans (sensibilité 93%; spécificité 96%) démence.
Le même groupe a apporté une autre contribution importante avec le CAM-S, une mesure de sévérité de l’ECA basée sur la CAM.3 Développé dans une première cohorte (N=300; 76,9 ± 5 ans; 55% femmes; 8% avec des troubles cognitifs) de patients hospitalisés, le CAM-S a ensuite été validé dans une deuxième cohorte (N=919; 80 ± 6,5 ans; 60% femmes; 44% avec des troubles cognitifs). Dans ces deux cohortes, il existe une relation claire (figures 2 à 4) entre la sévérité de l’ECA selon le CAM-S et plusieurs mesures de résultats à l’issue du séjour (durée de séjour; % de patients placés; % avec un déclin fonctionnel et cognitif) et 90 jours plus tard (décès ou placement; déclin fonctionnel). Par exemple, comparés aux patients sans delirium, le risque de déclin chez les patients avec ECA de sévérités basse, moyenne et élevée était multiplié par un facteur de 1,4 (1,1-1,8), 1,7 (1,4-2) et 1,8 (1,5-2,2) pour le déclin fonctionnel, et 1,6 (1,1-2,4), 1,6 (1,1-2,3) et 3,9 (3-5) pour le déclin cognitif, respectivement.
Finalement, du point de vue préventif, un essai randomisé contrôlé a étudié l’efficacité du rameltéon, un analogue de la mélatonine, pour prévenir la survenue de l’ECA chez des patients âgés hospitalisés en soins aigus.4 Ce traitement a permis de diminuer l’incidence de l’ECA (3% vs 32% ; RR : 0,09 ; IC 95% : 0,01-0,69), en particulier chez les patients sans antécédent d’ECA (0% vs 30%), d’en retarder la survenue (6,9 vs 5,7 j sous placebo), et de réduire l’intensité des symptômes confusionnels.
Ces contributions nous permettent d’affiner le dépistage et l’évaluation de la sévérité de l’ECA, et de mieux anticiper ses conséquences. Pour le clinicien (très !) pressé, demander au patient de réciter les mois de l’année à l’envers reste une bonne alternative (sensibilité 83% ; IC 95% : 70-93 ; spécificité 91% ; IC 95% : 86-94 ; chez les patients âgés qui n’arrivent pas jusqu’au mois de juillet sans erreur).5
Finalement, si les progrès thérapeutiques se font attendre, l’étude sur le rameltéon offre de nouvelles perspectives dans notre arsenal préventif, au-delà des mesures de prévention habituelles.
Alors qu’une nouvelle étude observationnelle vient accroître la suspicion d’une relation entre consommation chronique de benzodiazépines et risque accru de maladie d’Alzheimer (MA),6 la consommation chronique de somnifères (en particulier benzodiazépines) par les personnes âgées reste alarmante dans les pays occidentaux.7
Un essai randomisé contrôlé montre que l’information directe aux patients, même âgés, peut être efficace pour réduire la consommation inappropriée de benzodiazépines.8
Des consommateurs chroniques (≥ 3 mois) de benzodiazépines (N = 303 ; âge moyen 75 ± 6,3 ans ; 69% femmes ; 24% avec éducation secondaire ; consommation depuis environ dix ans en moyenne) ont été recrutés dans 30 pharmacies et randomisés en un bras interventionnel (N = 148 participants dans 15 pharmacies) et un bras contrôle «liste d’attente» (N = 155 participants dans 15 autres pharmacies). Les patients avec des troubles cognitifs significatifs (MOCA < 21) étaient exclus. L’intervention éducative consistait en une brochure de huit pages (adressée à domicile une semaine avant le début) contenant une information avec autoévaluation sur les dangers des benzodiazépines (chutes, troubles cognitifs, confusion) ainsi que des recommandations avec un plan de sevrage détaillé. Les participants étaient encouragés à en discuter le contenu avec leur médecin et/ou leur pharmacien. Le groupe contrôle a reçu la même brochure à la fin de l’étude (six mois).
Après six mois, 62% des participants du bras intervention avaient initié une discussion avec leur médecin ou pharmacien, et 67% (vs 5% du groupe contrôle) avaient stoppé toute consommation. Cette différence de risque (23% ; IC 95% : 14-32) correspond à quatre personnes à prendre en charge (NNT) pendant six mois pour obtenir un arrêt complet. Une réduction de doses a été observée chez 11% supplémentaires des participants du groupe intervention. L’effet observé n’était pas influencé par l’âge (> vs < à 80 ans), le genre, la durée de consommation, une polymédication, ou des essais de sevrage antérieurs. Une insomnie de rebond a été observée chez 42% des participants qui ont entamé un sevrage. Chez sept participants qui souhaitaient un sevrage, celui-ci a été déconseillé par leur médecin, et un avis négatif du médecin était aussi la cause la plus fréquemment rapportée (33%) par les 52 participants n’ayant pas entamé de sevrage.
Cette étude illustre les bénéfices potentiels d’une information directe aux patients visant à les autonomiser et faciliter une décision médicale partagée, même si l’influence des professionnels reste capitale dans la décision.9 Cette étude souligne aussi l’intérêt d’une collaboration interprofessionnelle, comme initiée dans le canton de Vaud (www.vd.ch/themes/sante/prevention/somniferes/), où la réduction de consommation de somnifères des personnes âgées est un objectif de santé publique auquel concourent les pharmaciens. Les jalons sont posés et la direction prometteuse !
La diminution de la prise alimentaire est présente chez la plupart des patients atteints d’une démence avancée, traduisant la progression du processus neurodégénératif et aboutissant à une dénutrition protéino-calorique. Différentes interventions nutritionnelles sont alors proposées, pour lesquelles nous ne disposons malheureusement pas de bonnes évidences scientifiques. Parmi ces interventions, l’alimentation par sonde (nasogastrique, nasojéjunale, sonde de gastrostomie percutanée endoscopique (PEG)) est encore trop souvent initiée lors d’un séjour hospitalier. Des recommandations de pratiques cliniques ont été émises en 2014 par le comité d’éthique de la Société américaine de gériatrie au sujet de ce problème.10
Plusieurs études nous avaient déjà mis en garde face aux complications liées à l’alimentation par sonde chez ces patients11 (tableau 1). Récemment, une augmentation du risque d’apparition d’escarre (odds ratio (OR) : 2,27 ; IC 95% : 1,95-2,65) et une réduction des chances de guérison d’escarres préexistantes (OR : 0,7 ; IC 95% : 0,55-0,89) ont été observées dans une large étude observationnelle.12 Chez ces patients, l’alimentation par sonde n’aurait pas non plus d’effet significatif sur l’évolution pondérale ou fonctionnelle.10,13
Au total, ces recommandations se positionnent clairement contre l’alimentation par sonde chez les patients qui présentent une démence avancée (tableau 2).
Dès lors, quelles options thérapeutiques s’offrent aux cliniciens ? L’alternative privilégiée est le «manger main» (hand feeding, finger food), soit une alimentation sous forme d’amuse-bouches dont la texture et le goût sont adaptés au patient. Il est également important d’offrir un environnement calme et convivial durant les repas pour le confort des patients.
Finalement, ces recommandations rappellent que la plupart de ces patients avec démence avancée ne possèdent plus leur capacité de discernement concernant le choix d’une intervention nutritionnelle. Dans ce contexte, à qui appartient la décision ? Le nouveau droit fédéral sur la protection de l’adulte, entré en vigueur le 1er janvier 2013, impose de respecter les directives anticipées du patient pour autant qu’elles soient valables et applicables à la situation. En l’absence de directives, la décision revient au représentant thérapeutique, voire au proche désigné par le code civil, tout en respectant la volonté présumée du patient.14 Dans ces situations, on ne peut qu’insister sur l’importance d’un entretien précoce avec les proches. L’objectif est d’expliquer l’évolution naturelle de la démence ainsi que les risques et bénéfices attendus des différents types d’alimentation, et de définir consensuellement l’attitude qui paraît la mieux adaptée aux souhaits présumés du patient.
Ces recommandations proposent une approche pragmatique visant au respect de la volonté présumée et au confort de ces patients atteints de démence avancée. Elles s’inscrivent aussi en parfaite cohérence avec les évidences d’une étude hollandaise antérieure qui a démontré le bénéfice de repas conviviaux sur l’évolution pondérale et fonctionnelle ainsi que la qualité de vie de résidents sans démence.15
Des auteurs américains ont effectué une revue systématique de 247 études épidémiologiques et une méta-analyse de 31 études prospectives dont les données permettaient une évaluation globale de l’influence de multiples facteurs de risque sur l’incidence de la MA.16 Trois axes préventifs se détachent clairement : le risque de MA était diminué de 42% chez ceux qui avaient une activité physique plus élevée, de 50% chez ceux qui avaient un haut niveau d’éducation et de 52% chez ceux qui avaient une homocystéine sérique plus basse. Les auteurs ont identifié aussi d’autres facteurs de risque (tabac par exemple) et ont estimé qu’il serait possible de prévenir environ 20 à 30% des cas de MA. Dans une autre revue systématique des facteurs liés à la survenue d’une démence, le World Alzheimer Report a identifié quatre facteurs de risque particulièrement importants : un faible niveau d’éducation, un diabète, l’utilisation du tabac et une tension artérielle élevée aux âges moyens de la vie.17 Il a souligné aussi l’importance des interventions visant à augmenter l’activité physique et diminuer l’obésité chez les personnes âgées.
L’année dernière, une étude du Medical Research Council, au Royaume-Uni, avait mis en évidence une diminution de la prévalence de la démence de 8,3 à 7,2% chez les personnes de 65 ans et plus entre les années 1990 à 1993 et 2008 à 2011.18 Cette année, une étude allemande a retrouvé des résultats similaires, surtout chez les femmes.19 En se basant sur les données de la caisse d’assurance-maladie AOK, une grande caisse publique couvrant environ un tiers de la population allemande de plus de 50 ans, et en utilisant un système de validation interne du diagnostic de démence (diagnostic documenté par au moins deux médecins différents dans des sites différents et à deux reprises sur au moins deux années différentes), les auteurs ont rapporté une réduction de 1 à 2% de la prévalence de la démence chez les femmes de 74 à 85 ans. Chez les hommes, il y avait une tendance dans le même sens, mais statistiquement non significative. Ces résultats s’ajoutent à d’autres en Suède et aux Pays-Bas, qui suggèrent aussi une diminution de l’incidence ou de la prévalence de la démence et justifient un optimisme prudent. Il reste à voir si cette tendance va perdurer.
La MA se caractérise neuropathologiquement par une perte neuronale, des dépôts amyloïdes et des lésions neurofibrillaires (NFT). Les NFT se développent selon un schéma bien déterminé en six stades décrits par Braak et leur développement est associé à la présence de protéines tau anormalement phosphorylées. Les signes de MA sont liés à la présence de NFT et la sévérité de la maladie est fortement corrélée aux stades neuropathologiques de Braak. Jusqu’à peu, il était possible d’estimer la densité en NFT en mesurant les protéines tau anormalement phosphorylées dans le liquide céphalorachidien, mais une autopsie était nécessaire pour évaluer plus précisément la quantité de NFT et le stade de sévérité neuropathologique. Tout ceci va changer avec l’arrivée de radiotraceurs tau utilisables en imagerie PET.20,21 Ces traceurs sont en cours de validation et ont été déjà utilisés chez l’homme, avec des résultats très encourageants. Ils devraient bientôt permettre une quantification in vivo de la pathologie tau avec des conséquences majeures sur nos capacités diagnostiques dans la MA et d’autres pathologies neurodégénératives liées à des modifications de la protéine tau.
Deux études randomisées de phase 3, testant l’efficacité de deux anticorps monoclonaux (solanezumab et bapineuzumab) liant la protéine amyloïde chez les patients avec MA légère à modérée, se sont soldées par des résultats négatifs en termes cliniques, même si un effet du bapineuzumab a été observé sur les biomarqueurs (réduction des taux de protéines tau dans le liquide céphalorachidien et réduction des dépôts amyloïdes à la neuro-imagerie) chez les porteurs de l’allèle ApoE ɛ4.22,23
Par contre, un essai randomisé contrôlé, testant l’intérêt d’ajouter la vitamine E (2000 UI/j) et/ou la mémantine (20 mg/j) à un traitement par inhibiteur de l’acétylcholinestérase (IACh E) chez des patients souffrant d’une MA légère à modérée, a observé un ralentissement du déclin fonctionnel (environ 19% par année, correspondant à environ six mois pour deux ans de suivi) chez les patients recevant la vitamine E (mais pas ceux recevant la mémantine seule ou combinée avec la vitamine E).24
Finalement, un traitement de citalopram (titré jusqu’à 30 mg/j) s’est avéré bénéfique sur l’agitation de patients souffrant de démence (N = 186 ; 78 ± 8 ans ; 46% femmes ; 69% sous IACh E ; 42% sous mémantine).25 Comparés aux patients sous placebo, ceux traités par citalopram avaient environ deux fois plus de chance (OR : 2,13 ; IC 95% : 1,23-3,69 ; p = 0,007) de montrer une amélioration modérée ou marquée de leur comportement, associé aussi à une réduction significative du stress de leur proche.
L’efficacité de mesures préventives des démences (en particulier activité physique) se confirme. Une des explications aux résultats décevants des essais thérapeutiques antiamyloïdes étant leur application à un stade (neuropathologiquement !) trop avancé, le développement de nouveaux marqueurs précoces est important pour adresser cette limitation. Les résultats concernant la vitamine E doivent être confirmés avant de recommander une utilisation de routine, en particulier en regard des observations antérieures de mortalité accrue lors de traitement à des doses supérieures à 400 UI/j (pas observée dans cette étude !). Le citalopram est bienvenu dans notre arsenal pharmacologique limité pour traiter l’agitation lorsque les mesures non pharmacologiques n’ont pas été efficaces.
Several studies contributed to improving the diagnostic and prognostic assessment of delirium in hospitalized older patients. Direct patient education proved efficient in benzodiazepines withdrawal. A position statement of the American Geriatrics Society does not recommend tube feeding when eating difficulties arise in older persons suffering from advanced dementia. Several studies emphasized once again the potential importance of preventative interventions (in particular physical activity) to prevent or delay dementia occurrence. Two randomized controlled trials of monoclonal antibodies that bind amyloid did not show benefit in patients with mild-to-moderate Alzheimer’s dementia (AD). In contrast, vitamin E reduced functional decline in these patients, and citalopram reduced agitation among AD patients as well as their caregiver’s stress.