L’année 2014 a été marquée par de nouvelles acquisitions thérapeutiques en médecine d’urgence.L’estimation de la probabilité d’une néphrolithiase permet d’éviter une imagerie chez les patients à haut risque. L’hypothermie thérapeutique post-arrêt cardiorespiratoire n’a pas de bénéfice par rapport à une stratégie de normothermie contrôlée. Le traitement d’une bronchite aiguë sans signe de gravité par co-amoxicilline ou AINS est inutile. L’adjonction de colchicine au traitement standard de la péricardite aiguë diminue le risque de récidive. L’ajustement du seuil de D-dimères à l’âge permet de réduire le recours à l’imagerie en cas de risque non élevé d’embolie pulmonaire. Enfin, un monitorage invasif précoce n’apporte pas de bénéfice à la prise en charge initiale du choc septique.
Plusieurs publications dans le domaine de la médecine d’urgence en 2014 sont susceptibles de modifier les stratégies thérapeutiques. Nous en parcourons une sélection dans cet article.
La néphrolithiase est un motif très fréquent de consultation en urgence. L’utilisation d’un CT abdominal comme examen diagnostique initial est à la hausse actuellement. Pourtant, il n’est pas prouvé que cela améliore le taux de diagnostics ni diminue les hospitalisations.
Une étude portant sur 1040 patients s’est intéressée à déterminer les cinq facteurs les plus prédictifs de la présence de calculs rénaux : sexe masculin, race non noire, durée des symptômes, présence de nausées/vomissements et hématurie microscopique. Un score a été dérivé de ces facteurs afin de stratifier une probabilité faible, moyenne ou élevée (tableau 1). Lors d’une phase prospective de validation, la probabilité de lithiase rénale entre ce score et le CT abdominal a été comparée et s’avère équivalente. Le score STONE permet donc de sélectionner les patients à haut risque afin de les prendre en charge sans CT abdominal ou avec un CT low-dose.1
Une étude randomisée multicentrique, portant sur 2759 patients, a comparé l’ultrasonographie (US) au CT comme examen diagnostique initial. Les patients étaient randomisés en trois groupes : US réalisé par un urgentiste certifié (US au lit du malade), US réalisé par un radiologue (US en radiologie), ou CT-scan abdominal. Les complications (diagnostics manqués ou retardés) à 30 jours étaient similaires entre les trois groupes. De plus, les patients ayant bénéficié d’un US s’exposent à un taux total de radiations réduit (p < 0,001), bien que chez certains patients, un CT ait été réalisé après l’US. Les auteurs suggèrent que l’US, bien que pas toujours suffisant, devrait être l’examen diagnostique initial de choix en cas de suspicion de néphrolithiase.2
A retenir : le score STONE permet de stratifier la probabilité d’une néphrolithiase et d’éviter chez les patients à haut risque un CT abdominal (ou de réaliser un CT low-dose). L’US doit être considéré comme l’examen radiologique diagnostique initial en cas de suspicion de néphrolithiase.
L’application d’un protocole d’hypothermie thérapeutique est actuellement recommandée chez les patients comateux ayant repris une activité cardiaque spontanée (RACS) après un arrêt cardiorespiratoire (ACR), améliorant la survie et la récupération neurologique. Par contre, ni la température (T°) cible ni le timing adapté post-RACS ne sont encore définis.
En comparant l’induction de l’hypothermie en extra- versus intrahospitalier, une étude randomisée sur 1359 patients n’a pas montré de différence significative concernant la survie ni la récupération neurologique. Les auteurs concluent que l’hypothermie thérapeutique n’a pas encore sa place en extrahospitalier.3
Une autre étude internationale randomisée, incluant 950 patients, a comparé le devenir des patients en ciblant une hypothermie à 33°C vs 36°C.4 Aucun bénéfice n’a été démontré sur la survie ni sur l’évolution neurologique.
A retenir : l’hypothermie thérapeutique n’est pas supérieure à une stratégie de normothermie contrôlée après un arrêt cardiorespiratoire ; débuter un protocole d’hypothermie thérapeutique en préhospitalier n’améliore pas le devenir des patients.
Lors de bronchite aiguë, la prescription d’antibiotiques est fréquente,5–7 bien qu’une étiologie bactérienne soit peu probable,8 et pourrait avoir un impact délétère en termes d’écologie microbienne, de coûts et d’effets indésirables.
Une étude a comparé l’efficacité des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), des antibiotiques et du placebo chez des adultes avec une bronchite aiguë sans critère clinique de gravité ni comorbidité majeure. Les patients présentaient depuis moins d’une semaine une toux avec expectorations purulentes, et au moins un des éléments cliniques suivants : dyspnée, inconfort thoracique, douleur thoracique ou sibilances. Une radiographie du thorax était effectuée en cas de suspicion de pneumonie. 416 patients ont été randomisés en trois groupes : ibuprofène, co-amoxicilline et placebo. La durée médiane de la toux (symptôme dominant) était similaire dans les trois groupes : 9 jours (IC 95% : 8-10) dans le groupe AINS, 11 jours (IC 95% : 10-12) dans le groupe antibiotiques et 11 jours (IC 95% : 8-14) dans le groupe placebo (p = 0,25). Ce résultat était inchangé après ajustement pour la valeur de CRP, la température et la sévérité du tableau clinique. Une radiographie du thorax a été réalisée chez sept patients ; une seule montrait une pneumonie (patient exclu de l’analyse). Le taux d’effets indésirables était plus important dans le groupe antibiotiques (12%) que dans le groupe AINS (5%) ou placebo (3%) (p = 0,008).9
Ce travail confirme les résultats d’études similaires, et ses données ont été incluses dans une méta-analyse récente qui n’a pas montré de bénéfice pertinent des antibiotiques dans la bronchite aiguë.10–12 Il ne concerne toutefois que des patients par ailleurs en bonne santé dont la durée des symptômes est brève (< 1 semaine).
A retenir : La co-amoxicilline ou les AINS ne sont pas plus efficaces que le placebo dans la bronchite aiguë sans critère de gravité.
Lors de péricardite aiguë virale ou idiopathique, le traitement standard consiste en l’administration d’AINS, d’aspirine ou de stéroïdes. Malgré ces traitements, les récidives sont fréquentes (15-30% des patients).13,14
Plusieurs études de petite taille suggèrent que l’adjonction de colchicine au traitement standard pourrait diminuer le risque de récidive. Bien que les mécanismes d’action de la colchicine restent partiellement incompris, ses propriétés anti-inflammatoires sont liées à sa capacité de se concentrer au niveau des granulocytes et d’inhiber la polymérisation des microtubules, bloquant ainsi la réplication cellulaire. Deux études randomisées multicentriques apportent de nouveaux éléments en faveur d’un traitement de colchicine.
La première étude a randomisé 240 patients se présentant avec un premier épisode de péricardite (majoritairement idiopathiques) à recevoir un traitement standard (aspirine 76%, ibuprofène 18%, prednisone 6%) accompagné ou non d’un traitement de colchicine (tableau 2).15
Après un suivi moyen de 22 mois, 37,5% des patients sous placebo ont souffert d’une récidive de péricardite versus 16,7% sous colchicine. Les taux d’effets indésirables, en particulier digestifs, étaient identiques dans les deux groupes.
Dans la deuxième étude, 240 patients présentant au minimum leur deuxième épisode de récidive ont été randomisés au même schéma mais pour une durée de six mois. Parmi ces patients, 65% avaient déjà été traités par de la colchicine lors d’un épisode précédent.16
Après un suivi moyen de vingt mois, 42,5% des patients sous placebo ont souffert d’une récidive versus 21,6% sous colchicine. A nouveau, les taux d’effets indésirables étaient identiques dans les deux groupes, une intolérance digestive étant observée chez 7,5% des patients recevant l’un ou l’autre des traitements.
Ces deux études confirment les résultats d’études précédentes et suggèrent fortement que la colchicine devrait être proposée aussi bien chez des patients présentant un premier épisode de péricardite idiopathique qu’en cas de récidive, même chez des patients déjà prétraités par de la colchicine. Il faut cependant noter un taux de récidives important, même chez les patients recevant la colchicine. La question subsiste de savoir si un dosage plus élevé ou des durées plus longues du traitement pourraient encore réduire ce taux de récidives.
A retenir: en cas de péricardite idiopathique (premier épisode ou récidive), l’adjonction de colchicine à un traitement standard diminue le risque de récidive.
De nouvelles évidences ont permis, cette année, d’approfondir les connaissances concernant le diagnostic et le traitement de l’embolie pulmonaire aiguë.
Le dosage des D-dimères plasmatiques est utile en cas de suspicion d’embolie pulmonaire (EP) avec une probabilité clinique non haute en raison de sa bonne valeur prédictive négative. Néanmoins, cette stratégie comporte un nombre de faux positifs élevé nécessitant le recours à une imagerie par scanner injecté dans la majorité des cas. De plus, la spécificité du test diminue avec l’âge, ne permettant d’écarter le diagnostic d’EP que chez environ 10% des patients de plus de 80 ans.
Un seuil adapté à l’âge, selon la formule (seuil de D-dimères = âge x 10 au-delà de 50 ans), a été dérivé en 201017 et validé depuis de façon rétrospective sur plusieurs milliers de patients avec maladie thromboembolique veineuse (MTEV).18 Selon ces données, ce nouveau seuil permet d’augmenter la spécificité du test, sans diminution significative de sa sensibilité. Une étude européenne multicentrique d’implémentation a été menée pour confirmer la sécurité de cette stratégie.19
Trois mille trois cent quarante-six patients avec une probabilité clinique non haute d’EP ont été inclus et le diagnostic d’EP était écarté sans recours à l’imagerie lorsque le dosage des D-dimères était inférieur au seuil adapté à l’âge avec un suivi clinique à trois mois. Parmi les 2898 patients avec une probabilité clinique non haute, 337 (11,6%) avaient un dosage de D-dimères supérieur à 500 µg/l mais inférieur au seuil adapté à l’âge. Un seul de ces patients (0,3% ; IC 95% : 0,1-1,7) a présenté un épisode de MTEV au cours du suivi. Le bénéfice était encore plus marqué chez les patients âgés de plus de 75 ans chez qui le diagnostic d’EP pouvait être écarté sans recours à l’imagerie dans 29,7% des cas avec le seuil adapté à l’âge comparés à 6,4% avec le seuil standard, sans augmentation du nombre de faux négatifs. L’utilisation d’un seuil de D-dimères adapté à l’âge permet donc de réduire le recours à l’imagerie et s’avère sûre à condition de l’utiliser chez les patients avec une probabilité clinique d’EP non haute et des techniques de dosage des D-dimères hautement sensibles (ELISA ou tests d’agglutination au latex de seconde génération).
La thombolyse systémique est recommandée en cas d’EP associée à un état de choc,20 et son rôle a été largement débattu concernant les EP à risque intermédiaire (ou submassives selon la nomenclature américaine). Un essai clinique randomisé21 a évalué le bénéfice d’une thrombolyse par ténectéplase (30-50 mg selon le poids) chez les patients présentant une EP sans instabilité hémodynamique mais des signes de dysfonction ventriculaire droite (CT thoracique ou échocardiographie) et une élévation des troponines sériques. L’issue principale était le décès ou l’apparition d’un état de choc à sept jours. 1006 patients ont été randomisés et l’issue primaire était atteinte chez 5,6% des patients du groupe placebo contre 2,6% dans le groupe ténectéplase (OR : 0,44 ; IC 95% : 0,23-0,87). Ce bénéfice était toutefois balancé par une augmentation significative des saignements majeurs (6,3% vs 1,2%) et intracrâniens (2,4% vs 0,2%) dans le groupe ténectéplase.
Deux méta-analyses22,23 ont combiné les résultats de cette étude avec les évidences antérieures, concluant à une diminution significative de la mortalité en faveur de la thrombolyse (nombre de patients à traiter (NNT) = 59), au prix d’une augmentation significative des saignements majeurs (NNH (number needed to harm) = 18) et intracrâniens (NNH = 78).
A retenir : sur la base de ces résultats contrastés, la Société européenne de cardiologie recommande d’améliorer la stratification du risque en intégrant les paramètres cliniques (PESI – Pulmonary embolism severity index) et les signes de dysfonction ventriculaire droite ou de souffrance myocardique (tableau 3).20 Concernant les patients à risque intermédiaire élevé (PESI III-V avec surcharge du ventricule droit (VD) et souffrance myocardique), une surveillance monitorée est indiquée et la thrombolyse recommandée en cas d’apparition d’une instabilité hémodynamique.
Plusieurs études intéressantes sont à relever cette année en ce qui concerne le contrôle de la fréquence cardiaque, du seuil transfusionnel et de l’utilisation d’une voie veineuse centrale pour la prise en charge initiale et le monitoring du patient.
Le traitement de la tachycardie en phase aiguë, bien que controversé, pourrait contrôler le stress adrénergique excessif lors de réanimations de choc septique. Une étude randomisée a évalué l’administration d’esmolol par voie IV (dose médiane 100 mg/h, IQR 50-300) chez des patients intubés aux soins intensifs, pour une fréquence cardiaque (FC) cible entre 80 et 94 bpm. Malgré les faiblesses d’un collectif restreint (n = 154), les résultats révèlent une baisse de la FC d’environ 18 bpm (p < 0,001), une amélioration de l’index cardiaque (p = 0,003), une diminution significative des besoins en liquide et en noradrénaline, ainsi qu’une diminution de la mortalité à 28 jours (49,4% vs 80,5% ; p < 0,001).24
Il est fréquent de devoir transfuser les patients en choc septique (cible d’hématocrite > 30% proposée par la Surviving Sepsis Campaign)25 et la transfusion est grevée d’une morbidité non négligeable. Une étude multicentrique, portant sur 998 patients, a évalué le seuil transfusionnel avec un taux d’hémoglobine à 70 ou à 90 g/l, les patients souffrant d’une ischémie cardiaque aiguë étant exclus. La mortalité à 90 jours ainsi que le taux d’événements ischémiques étaient similaires.26
Finalement, la mise en place d’une voie veineuse centrale (VVC), préconisée par les recommandations actuelles, a été remise en question par deux études multicentriques randomisées. L’étude ProCESS, multicentrique et randomisée, portant sur 1341 patients, a analysé le bénéfice d’une prise en charge basée selon le protocole d’early goal-directed therapy (EGDT, cibles thérapeutiques et voie centrale exigée) vs standard therapy (pas de voie centrale) vs soins habituels. Les mortalités à 60 jours (21 vs 18,2 vs 18,9% ; p = 0,83), à 90 jours et à une année étaient équivalentes. Cette étude ne montre pas de bénéfice à utiliser un protocole EGDT par rapport à une prise en charge standard ni d’avantage à l’utilisation d’un cathéter veineux central pour le monitoring.27 Une étude australienne et néozélandaise, conduite dans 51 centres et incluant 1600 patients, a aussi comparé la prise en charge EGDT vs la prise en charge usuelle. Il n’y avait pas de différence significative quant à la survie à 90 jours, la mortalité hospitalière, la durée des soins de support (d’organes) ou la durée de séjour.28 Un éditorial résume bien la situation : ces études questionnent nos pratiques actuelles, notamment la réanimation liquidienne, les patients en surcharge ayant une mortalité augmentée.29 La réanimation du choc septique est un processus évolutif et le timing des interventions est décisif : réanimation liquidienne précoce puis amines vasoactives, antibiotiques large spectre et contrôle de la source de l’infection en sont les éléments imbriqués (figure 1).30
A retenir : lors de choc septique, la prise en charge initiale repose sur la réanimation hémodynamique, l’antibiothérapie précoce et le contrôle de la source infectieuse ; l’application d’un protocole EGDT et l’utilisation d’une VVC n’améliorent pas le devenir des patients. Il n’y pas de bénéfice sur la mortalité en ciblant un seuil transfusionnel supérieur à 70 g/l. L’utilisation d’esmolol IV pour obtenir une FC entre 80-94 bpm permet une amélioration sur le plan hémodynamique et sur la mortalité chez les patients des soins intensifs.
> Lors de suspicion de néphrolithiase, l’ultrason devrait être l’examen diagnostique de première intention
> Une hypothermie thérapeutique post-arrêt cardiorespiratoire (33°C) ne montre pas de bénéfice par rapport à une normothermie contrôlée (36°C). L’hypothermie thérapeutique n’a pas de bénéfice en préhospitalier
> La co-amoxicilline ou les AINS ne sont pas plus efficaces que le placebo dans la bronchite aiguë sans critère de gravité
> La colchicine (en adjonction au traitement standard) diminue le risque de récidive en cas de péricardite idiopathique (premier épisode ou récidive)
> Les patients à risque intermédiaire élevé d’embolie pulmonaire (PESI III-V avec surcharge du ventricule droit (VD) et souffrance myocardique) nécessitent une surveillance monitorée et la thrombolyse est recommandée en cas d’apparition d’une instabilité hémodynamique
> Le diagnostic rapide et le traitement immédiat d’un choc septique sont essentiels ; un équipement invasif initial (voie veineuse centrale) et l’application d’un protocole spécifique de prise en charge n’améliorent pas la survie des patients
The year 2014 was marked by new therapeutic acquisitions in emergency medicine.Nephrolithiasis likelihood estimation should avoid imaging in patients at high risk. Therapeutic hypothermia post cardio-respiratory arrest has no benefit compared to a strategy of controlled normothermia. Treatment of acute bronchitis with no signs of severity by co-amoxicillin or NSAIDs is useless. Adding colchicine to standard treatment of acute pericarditis reduces the rate of recurrence. The D-dimer threshold adjustment by age reduces the number of imaging in case of low or intermediate risk of pulmonary embolism. Finally, the speed of the initial management of septic shock is crucial to the outcome of patients, but an early invasive monitoring provides no benefit.