La sélection de potentiels donneurs vivants va devoir prendre en compte les dernières données parues sur les facteurs de risque de morbi-mortalité des donneurs ayant un lien de parenté de premier degré avec un patient dont l’étiologie de la maladie rénale terminale est inconnue et chez les femmes en âge de procréer. Les patients transplantés rénaux ayant une hépatite C active pourront bénéficier des nouveaux antiviraux sans risque de rejet aigu. Le génotypage préemptif du CYP3A5 du patient et les formulations de tacrolimus à libération prolongée devraient permettre la prescription d’une dose d’emblée adaptée de ce médicament et d’éviter une surexposition, source de néphrotoxicité. La place de l’évérolimus et du bélatacept dans le panel des traitements immunosuppresseurs est en cours d’évaluation, selon le risque infectieux et immunologique des patients.
La longue tradition du don vivant de rein a débuté avec la première transplantation rénale réussie qui a eu lieu aux Etats-Unis, en 1954, entre deux jumeaux vrais, âgés de 24 ans. Dans de nombreux pays tels que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Suisse, plus d’un tiers des greffes rénales se font en provenance de donneurs vivants. Bien que le bénéfice des receveurs soit réel, la condition sine qua non au développement de tels programmes est la possibilité d’assurer un suivi rigoureux des donneurs vivants après leur chirurgie.
Plusieurs études ont fait état d’une mortalité postopératoire immédiate de l’ordre de 0,03%.1 Les cohortes asiatique, étasunienne et européenne2–4 ont rapporté une survie équivalente des donneurs vivants de rein par rapport à la population générale, un débit de filtration glomérulaire (DFG) stable sans augmentation de l’incidence de l’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT), un risque équivalent par rapport à la population générale en termes de protéinurie ou d’hypertension artérielle et une excellente qualité de vie. Néanmoins, la comparaison entre les donneurs vivants de rein, groupe hautement sélectionné, et la population générale semble inadéquate.
Trois publications parues en 2014 ont apporté de nouvelles données. Le registre norvégien, avec une médiane de suivi des donneurs vivants de 15,1 ans, a montré un risque relatif d’IRCT de 11,38 (intervalle de confiance à 95%, IC 95% : 4,4-29,6) et un risque relatif de mortalité de 1,3 (IC 95% : 1,1-1,5) à la fin de la période d’observation.5 Aux Etats-Unis, une comparaison entre 80 347 donneurs vivants de rein et des contrôles matchés du registre NHANES n’a pas retrouvé de différence significative en termes de mortalité à une moyenne de 6,3 ans (3,2-9,8) post-don.6 Le risque d’IRCT est quant à lui comparable aux données norvégiennes : alors qu’il était de 326/10 000 dans la population générale et de 14/10 000 dans le groupe contrôle de sujets sains matchés aux donneurs de rein, il était de 90/10 000 chez les donneurs vivants de rein. Le point important et commun à ces deux études est la proportion de donneurs ayant un lien de sang de premier degré avec le receveur. En effet, parmi les 99 donneurs vivants ayant développé une IRCT, 83 avaient un lien de parenté avec le receveur.6
Enfin, au Canada, une étude de cohorte cas-contrôle rétrospective a porté sur 85 femmes ayant présenté une grossesse après un don de rein entre 1992 et 2009.7 La comparaison a porté sur le diagnostic hospitalier d’hypertension gestationnelle ou de prééclampsie. Le risque relatif de développer un de ces deux diagnostics au cours de la grossesse était 2,5 fois plus élevé parmi les donneuses de rein en comparaison avec les contrôles (IC 95% : 1,2-5 ; p = 0,01). Chaque composante de l’issue primaire était également plus fréquente parmi les donneuses. Il n’y avait par contre pas de différence significative dans la prévalence des naissances prématurées et des petits poids à la naissance.
Ces nouvelles données rendent nécessaires des investigations immunologiques et génétiques avant l’acceptation des donneurs vivants ayant un lien de sang avec le receveur, particulièrement lorsque la cause de l’insuffisance rénale terminale est indéterminée, auto-immune ou génétique. Par ailleurs, une étude randomisée serait souhaitable pour éviter les biais évidents de l’étude rétrospective canadienne sur le risque d’hypertension artérielle et de prééclampsie après un don de rein mais elle n’est néanmoins pas faisable au plan éthique et une cohorte prospective multicentrique avec suivi à long terme semble difficilement réalisable au plan logistique. Toutefois, ces résultats d’augmentation du risque d’hypertension de la grossesse gestationnelle et de prééclampsie ne devraient pas nous faire accepter une jeune femme en âge de procréer comme premier choix de donneur vivant de rein.
L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) est associée à une morbi-mortalité extra-hépatique (glomérulonéphrite membranoproliférative récurrente ou de novo,9 diabète de novo10,11 et à une diminution de la survie du patient et du greffon après transplantation rénale. La prescription du peg-IFNα en monothérapie, du peg-IFNα et de la ribavirine à dose réduite (RBV-low) ou du PEG-IFNα, de la RBV-low et du bocéprévir ou télaprévir pour le génotype 1,12 en prétransplantation (lorsque le patient est en dialyse) ou en post-transplantation rénale, s’accompagne d’un haut risque d’anémie majeure et de rejet aigu, respectivement. L’arrivée de nouveaux antiviraux est une révolution pour la prise en charge de l’infection par le VHC.8 Alors que ces nouveaux traitements ne peuvent être prescrits chez les patients avec un DFG < 30 ml/min, ils pourront l’être sans risque de rejet aigu après la transplantation rénale, du moment que le DFG est > 30 ml/min. Dans ce contexte, une association sans peg-IFN telle que sofosbuvir et ledipasvir sera envisageable.8 Toutefois, des études prospectives sont nécessaires afin d’évaluer les interactions entre ces antiviraux et les immunosuppresseurs prescrits.
Le tacrolimus (Tac) est la pierre angulaire du traitement immunosuppresseur après transplantation rénale. Son métabolisme hépatique par le cytochrome P450 (CYP) 3A (4/5) est variable selon les individus. Un variant allélique du CYP3A5, le CYP3A5*3 (rs776746), est associé à un épissage alternatif de l’ARN messager du CYP3A5 conduisant à une perte de fonction.13 Ce variant explique la variabilité interindividuelle des doses requises de Tac pour atteindre la même concentration résiduelle cible.14 Une méta-analyse a confirmé le rôle du rs776746 sur la pharmacocinétique du Tac avec un effet potentiel sur l’incidence de rejet aigu et la néphrotoxicité des patients transplantés rénaux.15
Le génotypage préemptif du CYP3A5 du patient au moment de la mise en liste a été introduit dans certains centres de transplantation rénale. Il a pour but de prescrire une dose adaptée de Tac dès le premier jour, et non plus une dose identique à tous les patients avec nécessité d’adaptation sur plusieurs jours. Ceci permettra également d’éviter une surexposition du Tac avec ses risques inhérents de néphrotoxicité. Une étude néerlandaise prospective est en cours qui comparera les résultats de trois bras : patients CYP3A5*1 qui recevront une dose de Tac plus élevée (0,3 mg/kg), patients n’exprimant pas le CYP3A5*1 mais le variant rs776746 et qui recevront une dose réduite de Tac (0,15 mg/kg), et groupe contrôle non génotypé (0,2 mg/kg).16
Il existe actuellement trois formulations de Tac : une formulation classique en deux prises, Tac CL, (Prograf) et deux formes à libération prolongée, Tac-LP (Advagraf et Envarsus). Une méta-analyse publiée en 2013 et portant sur 2499 greffés rénaux inclus dans des études randomisées contrôlées et 2886 patients dans quinze études observationnelles ont montré une efficacité similaire à douze mois post-transplantation rénale entre les deux formulations, Tac CL versus Tac LP (Advagraf) en termes de rejet aigu, de survies du patient et du greffon rénal.17
L’Advagraf est homologué en Europe depuis 2007 et aux Etats-Unis depuis juillet 2013. Son mécanisme de libération prolongée se fait par l’ajout d’éthylcellulose, d’hypromellose et de monohydrate de lactose modifiant la dissolution du principe actif au niveau du tractus digestif.18 Alors que le schéma d’équivalence proposé par le fabricant est de 1:1 entre la forme classique Tac et celle à libération prolongée, une revue systématique d’études randomisées17 a montré des concentrations résiduelles (T0) moyennes inférieures de 40% chez les patients sous Tac à libération prolongée par rapport à ceux sous Tac classique, au cours des six premières semaines post-transplantation rénale. Ceci ne s’accompagnait cependant pas d’une différence d’incidence des rejets prouvés par biopsie du greffon, ce qui suggère une AUC équivalente. Néanmoins, les utilisateurs estiment que le schéma d’équivalence est plutôt 1,1:1.
Une nouvelle forme à libération prolongée a été homologuée en juillet 2014 par l’agence européenne pour l’évaluation des médicaments : le LCP-Tacro (Envarsus) et devrait l’être aux Etats-Unis au plus tard au cours du premier semestre 2015. Une étude de non-infériorité de phase III19 chez des patients transplantés rénaux recevant dans un bras le LCP-Tacro (n = 268) et dans l’autre le traitement classique de Tac en deux prises (n = 275) a montré un taux d’échecs de traitement (issue composite incluant la mort du patient, la perte de fonction du greffon, le rejet aigu prouvé par biopsie ou la perte de suivi) équivalent à un an (18,3% pour le groupe LCP-Tacro versus 19,6%) et une atteinte plus rapide des concentrations cibles (6-11 ng/ml) dans le groupe LCP-Tacro (36,6% versus 18,5%) avec une dose cumulative de 14,4% plus faible.
Ces deux formes de Tac à libération prolongée ont fait leurs preuves de non-infériorité à la forme galénique classique. Initialement produites dans l’idée d’améliorer la compliance des patients, des études prospectives seront nécessaires afin de déterminer si elles permettent une diminution de la néphrotoxicité du Tac par l’éviction également de pics de concentration maximale postprise.
L’évérolimus (EVL) est, comme le sirolimus, un inhibiteur de la voie m-TOR (mammalian target of rapamycin). En Suisse, il a reçu en 2005 l’autorisation de mise sur le marché pour la prévention du rejet d’organe chez les patients adultes avec un risque immunologique faible à modéré après allogreffe rénale ou cardiaque. La posologie initiale est de 0,75 mg deux fois par jour, à adapter afin de viser une concentration sanguine résiduelle entre 3-8 ng/ml.
Une étude cas-contrôle rétrospective a comparé l’incidence d’anticorps antidonneurs (DSA) de novo chez 61 patients transplantés rénaux.20 Le temps médian d’apparition de DSA de novo était de 9,5 mois (6-19) dans le groupe EVL versus 13 mois (6-25) dans le groupe inhibiteur de la calcineurine (Tac ou ciclosporine ; CNI). L’incidence de DSA de novo était de 9,8% dans le groupe EVL versus 5% dans le groupe CNI. Bien que la différence entre les deux groupes soit statistiquement non significative, le passage d’une incidence de 0% au début de la période d’observation à 9,8% au dernier contrôle était significative (p = 0,03). Par ailleurs, les DSA de novo ont mené à 6,5% d’épisodes de rejet humoral dans le groupe EVL versus 0% dans le groupe CNI. Une étude ouverte portant sur 184 patients transplantés rénaux stables convertis du CNI à l’EVL, versus 63 patients sous CNI, a montré une fonction rénale comparable dans les deux groupes à deux ans mais une incidence de DSA de novo de 8,7% sous EVL versus 3,1% dans le groupe CNI, apparus trois à six mois après la conversion.21 Plusieurs limitations sont toutefois à signaler : cette étude ouverte ne permet pas d’exclure un biais de sélection, la conversion à l’EVL s’est faite de manière non contrôlée puisque faisant suite à une indication médicale (cancer de novo ou fibrose interstitielle avec atrophie tubulaire à la biopsie du greffon rénal), pouvant par son propre effet sur le système immunitaire, mener à la formation de DSA. Par ailleurs, l’étude n’a pas été conçue pour répondre de manière définitive à cette question (puissance insuffisante). Un essai prospectif randomisé et contrôlé est nécessaire afin de confirmer le moment idéal pour une conversion CNI vers EVL chez les patients transplantés rénaux.20
La protéinurie, effet indésirable fréquent des inhibiteurs de m-TOR et limitant leur utilisation en transplantation rénale, est désormais mieux comprise. Les podocytes, élément-clé de la filtration glomérulaire, dépendent pour leur bon fonctionnement de l’intégrité structurelle de plusieurs voies de signalisation. Parmi celles-ci, l’Akt, dépendante de la phosphoinositide 3-kinase, contrecarre le stress imposé suite à un défaut de filtration (tel qu’après réduction néphronique importante). Dans un rein normal, le nombre de podocytes est stable, il n’y a pas de protéinurie et les voies m-TORC1 et m-TORC2 ne sont pas activées. Lors d’une réduction néphronique, m-TORC2 phosphoryle Akt2, ce qui permet d’inhiber la voie Rac-1 de signalisation en aval et ainsi de retarder la progression de la maladie rénale. Lorsque cette réponse adaptative est inhibée par du sirolimus, la structure des podocytes est désorganisée et la protéinurie apparaît. C’est ce qu’ont démontré Canaud et coll. dans divers modèles expérimentaux in vitro et in vivo.22
Le syndrome des anticorps antiphospholipides est une maladie auto-immune associée à de nombreuses complications thromboemboliques artérielles et veineuses, à haut risque de récidive sur le greffon rénal, ce qui, en l’absence de traitement efficace, mène à la perte de fonction.23 L’analyse en immunohistochimie des biopsies de patients (avec néphropathie primaire ou secondaire associée aux anticorps antiphospholipides) a évalué les voies de signalisations à travers lesquelles les anticorps antiphospholipides modulent la voie de m-TOR.24 Les patients transplantés rénaux ayant reçu du sirolimus ont présenté peu ou pas d’artériolopathie sténosante sur les biopsies du greffon. L’analyse rétrospective cas-contrôle retrouve un greffon rénal fonctionnel à 144 mois chez 7/10 patients traités par inhibiteurs de m-TOR (70%) versus 3/27 chez les patients non traités (11%). L’intérêt des inhibiteurs de m-TOR dans le syndrome des anticorps antiphospholipides est réel car si les essais randomisés contrôlés confirmaient ces résultats leur utilisation préventive permettrait l’accès à la transplantation des patients qui actuellement doivent rester en dialyse.
L’immunosuppresseur bélatacept, inhibiteur de la costimulation, par liaison aux ligands CD80 et CD86 avait été présenté dans une précédente revue.25
L’étude BENEFIT a retrouvé, chez les patients traités par une dose faible à moyenne de bélatacept, une incidence et une sévérité de rejet aigu plus importantes à un an en comparaison avec les patients traités par ciclosporine.26 Néanmoins, les données à cinq ans (BENEFIT-EXT)27 sont rassurantes avec 0% de perte de greffon à cinq ans dans le groupe bélatacept versus 2% dans le groupe ciclosporine. De plus, l’analyse des phénotypes des cellules B chez les patients transplantés rénaux, traités par bélatacept, avec une fonction rénale stable a mis en évidence une fréquence et un nombre absolu plus important de cellules transitionnelles B (CD19+CD24hiCD38hi et CD19+ IgDhiCD38hiCD27−). Ce phénotype est retrouvé chez les patients tolérants, c’est-à-dire, chez les patients transplantés ayant une fonction du greffon stable malgré l’arrêt du traitement immunosuppresseur.28
L’incidence de DSA de novo à trois et cinq ans est plus faible chez les patients sous bélatacept, dose élevée ou basse, que sous ciclosporine, que ce soit dans l’étude BENEFIT (1,9%, 3,6%, 11,8%, respectivement) ou dans l’étude BENEFIT-EXT (6,7%, 0,9% et 10,3%, respectivement).29
Enfin, les 44 patients des études BENEFIT et BENEFIT-EXT qui sont restés sous bélatacept jusqu’à la fin du suivi (en moyenne 9,7 années) avaient une fonction rénale stable entre trois mois (70(± 21) ml/min/1,73m2) et la fin du suivi (72(± 17) ml/min/1,73m2).29
La crainte d’une recrudescence des lymphomes post-transplantation avait contre-indiqué l’utilisation du bélatacept chez les patients séronégatifs pour l’EBV et avait mené à la mise en place d’un registre postmarketing (ENLiST). Entre juin 2011 et octobre 2013, aucun nouveau cas de PTLD (post-transplant lymphoproliferative disorder) ou de leucoencéphalopathie multifocale après transplantation rénale n’a été rapporté chez des patients séropositifs pour l’EBV et traités par bélatacept.
La place des inhibiteurs m-TOR et du bélatacept en transplantation rénale est en cours d’évaluation. La prescription de ces immunosuppresseurs nécessite une sélection précise des candidats en fonction d’un côté de leur profil infectieux et immunologique, et de l’autre du risque de récidive de la maladie de base.
> Deux nouveaux facteurs de risque de morbi-mortalité ont été identifiés chez les donneurs vivants de rein : les femmes jeunes en âge de procréer et le lien de sang du premier degré lors de don à un patient dont l’étiologie de l’insuffisance rénale terminale est indéterminée
> La formulation du tacrolimus à libération prolongée permet d’assurer des concentrations plasmatiques stables et facilite la prise quotidienne de médicaments
> Les nouveaux traitements de l’hépatite C vont pouvoir être prescrits après la transplantation rénale sans risque associé de rejet aigu
La sélection de potentiels donneurs vivants va devoir prendre en compte les dernières données parues sur les facteurs de risque de morbi-mortalité des donneurs ayant un lien de parenté de premier degré avec un patient dont l’étiologie de la maladie rénale terminale est inconnue et chez les femmes en âge de procréer. Les patients transplantés rénaux ayant une hépatite C active pourront bénéficier des nouveaux antiviraux sans risque de rejet aigu. Le génotypage préemptif du CYP3A5 du patient et les formulations de tacrolimus à libération prolongée devraient permettre la prescription d’une dose d’emblée adaptée de ce médicament et d’éviter une surexposition, source de néphrotoxicité. La place de l’évérolimus et du bélatacept dans le panel des traitements immunosuppresseurs est en cours d’évaluation, selon le risque infectieux et immunologique des patients.