L’ocytocine est une hormone connue depuis très longtemps, essentiellement utilisée dans le domaine de la gynécologie. En dehors de ces effets bien définis, le rôle de l’ocytocine dans le contrôle de la réponse au stress, de différents comportements ou encore du métabolisme glucidique/lipidique semble être très intéressant, particulièrement chez des patients obèses. Plusieurs études cliniques sont actuellement en cours pour évaluer l’impact de l’ocytocine dans le traitement de l’obésité. En tenant compte de ces nouvelles données, l’utilisation de cette hormone pour une perte de poids chez les patients obèses ou comme traitement complémentaire chez des patients diabétiques semble être prometteuse.
Nous connaissons tous l’hormone ocytocine et son importance chez la femme, surtout dans la période d’accouchement et de lactation. Elle est également en lien avec certaines de nos émotions et certains de nos comportements (empathie, confiance, comportement sexuel, etc.). Les dernières études montrent que l’ocytocine pourrait aussi influencer le métabolisme et avoir un effet bénéfique sur la perte de poids. Serait-elle une «nouvelle» molécule prometteuse pour nos patients obèses ?
Dans cet article, nous avons résumé les effets principaux de l’ocytocine et plus particulièrement son influence sur le syndrome métabolique et le poids corporel.
L’ocytocine est une hormone peptidique, connue depuis près d’un siècle, synthétisée par les noyaux paraventriculaire et supraoptique de l’hypothalamus, secrétée ensuite par la neurohypophyse dans la circulation sanguine. L’hormone est également synthétisée en périphérie, dans différents organes (par exemple, ovaires, testicules, thymus, reins, cœur).
L’un des premiers effets de l’ocytocine a été décrit en 1906 par Henry Dale qui avait mis en évidence certaines propriétés contractiles des extraits hypophysaires. L’ocytocine elle-même n’avait pas encore été isolée à cette époque. C’est en 1927 que Kamm et coll.1 l’ont purifiée pour la première fois et l’ont commercialisée sous le nom de Oxytocin (du grecque oxutokia : ôxus = rapide, tokos = accouchement).
L’hormone ocytocine est connue essentiellement pour ses effets utérotoniques (induction de l’accouchement) et pour stimuler la lactation pendant la période d’allaitement. En l’absence d’ocytocine, les souris knockout peuvent accoucher normalement mais, en raison d’un manque de lactation et d’une sécrétion insuffisante de lait maternel, en particulier, les petits meurent peu après leur naissance. Cela souligne l’importance de l’ocytocine dans la sécrétion lactée.2
L’ocytocine est aussi impliquée dans la natriurèse, la sécrétion d’insuline et celle de glucagon, la thermorégulation, la dépense énergétique, le remodelage osseux et le fonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien.3 Il est important de mentionner également que l’ocytocine est impliquée dans le contrôle des réponses au stress, la perception de la douleur et certains aspects du comportement. Il s’agit notamment du comportement en lien avec la relation mère-enfant, l’attachement socio-affectif, le développement de la confiance, de l’empathie, ainsi que le comportement sexuel.4
Le rôle comportemental de l’ocytocine n’est pas négligeable, surtout en lien avec l’obésité. En effet, il est bien connu que le stress peut être associé à une prise ou une perte de poids5 et que l’obésité elle-même peut modifier la réponse au stress.6 Ce qui peut être particulièrement intéressant, c’est que la prise alimentaire peut avoir un effet anxiolytique, dans certaines situations et chez certains sujets. D’autre part, l’isolement social est souvent décrit en lien avec les personnes souffrant d’obésité. Considérant les interactions métaboliques et moléculaires entre l’ocytocine et différentes composantes du comportement humain qui sont observées chez des personnes en surpoids ou obèses, on comprend que l’ocytocine soit devenue l’un des centres d’intérêt des scientifiques et des spécialistes de l’obésité. Ceci se traduit par l’existence de plusieurs études cliniques, actuellement en cours, pour tester l’efficacité de l’ocytocine dans le traitement de certaines maladies psychiatriques (autisme, anxiété, dépression postnatale, troubles compulsifs, schizophrénie, personnalité de type «borderline» et stress post-traumatique), mais aussi métaboliques (obésité, diabète).
Arletti et coll.7 ont décrit, en 1989, que l’administration d’ocytocine (par voie intrapéritonéale ou intracérébrale) induisait chez les rongeurs une diminution de l’apport en nourriture. Les rats recevant de l’ocytocine mangeaient ainsi moins fréquemment et quantitativement moins à chaque repas.
L’état de jeûne peut induire la réduction de l’expression de l’ocytocine au niveau hypothalamique, alors que l’administration de nourriture ou de leptine entraîne des effets opposés.8 Il a donc été suggéré que l’ocytocine ait des propriétés anorexigènes qui peuvent être véhiculées par la diminution du remplissage gastrique, du transit intestinal, ainsi que par la suppression de la faim.9
Il est intéressant d’observer que des animaux dépourvus de récepteurs à l’ocytocine ou d’ocytocine elle-même développent une obésité,10,11 sans changer leur façon de se nourrir. L’ocytocine contrôle donc l’homéostasie, non seulement au niveau de la modulation de la faim, mais aussi via ses effets sur la dépense énergétique10 et la lipolyse,12 et ceci par une action directe et/ou indirecte sur le tissu adipeux.
Chez des rats obèses, l’administration centrale (ICV) ou périphérique (sous-cutanée) d’ocytocine diminue les taux de triglycérides, augmente la lipolyse et la bêta-oxydation des acides gras dans le tissu adipeux. L’effet de l’ocytocine sur la bêta-oxydation est probablement médié par l’activation du gène PPAR-alpha, via la production de l’oléoyléthanolamide (OEA).12
Il est intéressant de noter que le syndrome de Prader-Willi est accompagné par un déficit des neurones produisant de l’ocytocine au niveau du noyau paraventriculaire.13 Les patients atteints de ce syndrome sont connus pour une hyperphagie extrême, associée à une obésité morbide.
Chez des animaux de laboratoire, un traitement expérimental à l’ocytocine (administration sous-cutanée ou intracérébrale) induit une perte pondérale avec diminution de la masse adipeuse et améliorations concomitantes du métabolisme glucidique et de la sensibilité à l’insuline.12,14–16
Une étude récente genevoise,12 chez des rats obèses nourris par une alimentation riche en lipides, a démontré qu’une perfusion sous-cutanée d’ocytocine pendant quatorze jours induisait une perte pondérale significative (figure 1). Cette perte de poids était indépendante des effets anorexigènes de l’ocytocine car elle n’a pas été observée dans le groupe contrôle restreint (rats obèses perfusés par du NaCl 0,9% consommant la même quantité de nourriture que les animaux traités à l’ocytocine). Le traitement à l’ocytocine a eu également des effets surprenants sur la composition corporelle des animaux, avec une diminution de la masse adipeuse, indépendamment de la prise alimentaire (figure 2).
L’administration de faibles doses d’ocytocine, sans effet sur la prise de nourriture, permet donc de poser l’hypothèse selon laquelle certains effets de cette hormone sur le poids corporel seraient fortement indépendants de la prise alimentaire.12,16
Il est à noter que les récepteurs à l’ocytocine sont hautement exprimés dans le tissu adipeux et sont surexprimés dans certains modèles animaux d’obésité, ce qui pourrait expliquer les effets spécifiques de l’ocytocine sur la masse adipeuse, ainsi que ses effets sur la lipolyse.12
Le traitement à l’ocytocine est aussi efficace chez des animaux avec une déficience en leptine.17 Puisque l’ocytocine semble interagir avec certains effets de la leptine, il est possible que le traitement à l’ocytocine puisse court-circuiter la résistance à la leptine en cas d’obésité.18
Il est important de mentionner que l’ocytocine a démontré son efficacité dans d’autres modèles animaux, notamment en améliorant le métabolisme glucidique chez des souris avec un diabète induit par la streptozotocine19 ou en induisant une perte de poids chez des souris ovariectomisées.20
Nous ne disposons actuellement que de deux études effectuées chez l’homme qui ont évalué les effets de l’ocytocine sur la prise alimentaire, le poids corporel et le métabolisme, essentiellement glucidique et lipidique. Dans un collectif de vingt sujets en bonne santé, l’administration d’une dose unique de 24 UI d’ocytocine sous forme d’un spray nasal a induit une inhibition de la récompense alimentaire sans affecter la faim, une atténuation des taux des hormones corticotropes (basaux et postprandiaux) et une diminution de la glycémie postprandiale, sans affecter la dépense énergétique.21
Dans une autre étude, l’ocytocine intranasale a été administrée chez des patients obèses à raison de 24 UI quatre fois par jour pendant huit semaines.19 Les auteurs ont observé une diminution significative du poids (-9 kg) et une réduction de LDL-cholestérol à la fin de l’étude. Aucun effet secondaire n’a été observé au cours de ce traitement.
Nous ne disposons aujourd’hui que de très peu d’études sur l’utilisation de l’ocytocine dans le traitement de l’obésité et/ou des troubles métaboliques chez l’homme. De plus, il serait important d’avoir des résultats d’essais cliniques, non seulement chez des patients obèses, mais également chez des patients diabétiques de type 2. En effet, dans une étude récente, Ott et coll.21 ont montré une amélioration du contrôle glycémique en réponse à l’administration aiguë d’ocytocine chez des volontaires sains. D’autres études, avec un plus grand nombre de patients, devraient permettre de clarifier les mécanismes moléculaires du traitement à l’ocytocine, ainsi que les liens potentiels de cette hormone avec les cellules pancréatiques ou avec l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien.
Le Pr Françoise Rohner-Jeanrenaud a déposé un brevet (PCT/IB2011/ 052156) concernant les nouvelles applications thérapeutiques de l’ocytocine.
> L’ocytocine est une hormone connue essentiellement pour ses effets utérotoniques, elle est importante pendant la période d’accouchement et de lactation
> L’ocytocine influence également nos émotions et nos comportements tels que l’empathie, la confiance, notre comportement sexuel, etc.
> Les études récentes montrent des effets de l’ocytocine sur le métabolisme glucidique/lipidique, ainsi que sur le poids corporel
> Des études cliniques sont actuellement en cours pour tester l’ocytocine chez les patients obèses dans un but de perte de poids et chez des patients diabétiques de type 2 pour améliorer le contrôle glycémique
Oxytocin is a hormone known for a long time, mainly used in the field of gynecology. Apart from these well-defined effects, the role of oxytocin in controlling the stress response or behavior and the regulation of glucose/lipid metabolism seems to be very interesting, especially in obese patients. Several clinical studies are currently underway to assess the impact of oxytocin in the treatment of obesity. Taking these new data into consideration, the use of this hormone for weight loss in obese patients or as a complementary treatment in diabetic patients seems to be promising.