En 2014, la chirurgie des pathologies complexes digestives nécessite une prise en charge multimodale. L’association de chimiothérapies à la chirurgie permet d’obtenir des survies à cinq ans, particulièrement pour des tumeurs localement avancées, telles que les adénocarcinomes de la tête du pancréas initialement non résécables ou pour les métastases hépatiques. La chirurgie associée à la chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale est en plein essor avec un bénéfice oncologique à long terme prouvé pour les tumeurs du péritoine. La réhabilitation améliorée après chirurgie (ERAS) est validée en colorectale, et les résultats préliminaires en chirurgie hépatobiliaire et pancréatique sont très prometteurs. ERAS permet de réduire les durées d’hospitalisation de même que les complications, à un moindre coût, même chez les patients âgés.
En 2014, le programme ERAS (Enhanced recovery after surgery) s’applique de routine à la chirurgie colorectale, hépatobiliaire et de l’appareil digestif supérieur, avec des résultats prometteurs en termes de réduction de la durée d’hospitalisation, des complications postopératoires, et des coûts hospitaliers. Ces résultats sont à présent validés en chirurgie colorectale et en cours d’analyse pour la chirurgie hépato-bilio-pancréatique et de l’appareil digestif supérieur. L’approche multidisciplinaire reste un maillon essentiel à la prise en charge des patients avec des pathologies oncologiques de l’appareil digestif. A cet effet, de nouveaux outils tels que la radioembolisation intra-artérielle ainsi que de nouveaux protocoles de chimiothérapie sont en cours de validation, particulièrement dans le domaine des métastases hépatiques de cancers colorectaux. Le traitement de la carcinose péritonéale primaire ou secondaire connaît également un développement important, permettant ainsi d’offrir à des patients bien sélectionnés une survie nettement augmentée avec une chirurgie abdominale extensive associée à une chimiothérapie intrapéritonéale (CHIP) et systémique.
Dans cet article, nous présentons les dernières nouveautés chirurgicales dans le domaine de la chirurgie hépatobiliaire et pancréatique, œsophagienne, gastrique et colorectale. Une attention particulière sera portée aux derniers résultats obtenus avec le programme ERAS, introduit avec succès dans notre institution depuis début 2011.
En chirurgie hépatique, les modalités thérapeutiques sont multiples et requièrent une approche multidisciplinaire afin d’obtenir les meilleurs résultats à long terme, particulièrement pour les patients présentant une pathologie tumorale du parenchyme hépatique ou de l’arbre biliaire. Actuellement, la prise en charge des métastases hépatiques de cancers colorectaux (MHCR) nécessite un bilan préopératoire minutieux afin d’évaluer la résécabilité des métastases qui peuvent être multiples et bilobaires. Afin d’effectuer une chirurgie hépatique dans des conditions optimales, trois éléments sont à prendre en considération : 1) la réponse tumorale à la chimiothérapie (downsizing versus downstaging) ; 2) la qualité du parenchyme non tumoral (c’est-à-dire des lésions de chimiothérapie telles que la stéato-hépatite ou le syndrome d’obstruction sinusoïdale) et 3) le volume du futur foie restant. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est supérieure à la tomographie standard dans la détection des MHCR et doit être l’outil de référence dans le suivi de ces patients.1 Elle permet également d’effectuer la volumétrie hépatique du futur foie restant avant chirurgie hépatique majeure. Récemment, l’IRM (Gd-EOB-DTPA-enhanced MRI) a été utilisée avec succès pour évaluer la fonction hépatique de patients avec des maladies hépatiques chroniques.2 Ces méthodes non invasives seront bientôt intégrées au CHUV dans l’évaluation des patients avec MHCR afin d’encore mieux planifier la chirurgie hépatique. En cas d’atteinte hépatique multifocale, une hépatectomie majeure après préparation du foie par embolisation portale peut être effectuée, en un ou deux temps, avec ou sans traitement préalable des lésions localisées dans le futur foie restant. Ces dernières peuvent aussi être traitées par radiofréquence ou chirurgie dans le même temps opératoire de l’hépatectomie majeure. Des métastasectomies multiples peuvent aussi être proposées car elles offrent une chance de survie similaire aux résections hépatiques majeures, même en présence de plus de huit métastases.3 L’approche consistant en un traitement primaire des MHCR (liver first approach) dans le cadre d’un traitement dit «inversé» (reverse treatment) a permis d’augmenter les chances de résection curative des MHCR, avec des survies à cinq ans allant jusqu’à 52% pour des métastases parfois initialement non opérables.4 Dans le cas de métastases non résécables et chimio-résistantes, la radioembolisation à l’Yttrium 90 peut être proposée, car elle peut offrir des réponses partielles ou totales allant jusqu’à 40%.5 En 2015, le traitement des métastases hépatiques, tout en étant bien codifié, doit être effectué spécifiquement pour chaque patient individuellement, après discussion multidisciplinaire avec la radiologie interventionnelle et l’oncologie médicale.
Il en est de même pour les tumeurs primaires du foie telles que les carcinomes hépatocellulaires (CHC), où l’approche multidisciplinaire reste primordiale, notamment avec les hépatologues. Chez ces patients, deux options sont à évaluer : la résection de la tumeur ou la transplantation hépatique. En raison de la pénurie d’organes en Suisse, jusqu’à un tiers des patients inscrits sur la liste d’attente n’iront pas jusqu’à la transplantation en raison de la progression du CHC (drop out). Il faut donc avoir recours à un «traitement d’attente» tel que la résection hépatique, la chimio ou radioembolisation intra-artérielle, ou encore les techniques d’ablation telles que la radiofréquence. L’avantage de la chirurgie est qu’elle permet d’évaluer la biologie de la tumeur grâce à l’analyse histopathologique complète de la pièce opératoire. Cette option permettrait de définir quels malades seraient les meilleurs candidats à la transplantation, en fonction de la présence ou non de facteurs de mauvais pronostics tels que la dédifférenciation cellulaire ou l’invasion microvasculaire.
La laparoscopie reste la voie d’abord de premier choix pour la résection de lésions bénignes (c’est-à-dire adénomes > 5 cm ou pédiculés, hyperplasie nodulaire focale (HNF) ou large hémangiome symptomatiques) localisées dans le foie gauche.6 Dans les centres experts, les résultats à long terme après résection laparoscopique de CHC sont similaires à ceux obtenus par chirurgie ouverte, y compris chez des patients cirrhotiques.7 Pour les MHCR, la laparoscopie offre une réduction de la morbidité postopératoire et de la durée d’hospitalisation, avec des résultats oncologiques à long terme similaires à ceux obtenus après chirurgie ouverte.8 Ainsi, au CHUV, entre 20 et 25% des résections hépatiques se font par laparoscopie.
Concernant la chirurgie pancréatique, seuls 20% des patients avec un adénocarcinome du pancréas sont potentiellement opérables au moment du diagnostic. Le staging ganglionnaire est l’un des facteurs les plus importants pour déterminer le pronostic de ces patients après chirurgie pancréatique.9 Cependant, d’après les résultats de quatre études prospectives randomisées, il n’y a pas d’indication à un curage ganglionnaire extensif pour l’adénocarcinome de la tête du pancréas car les résultats à long terme sont identiques, avec des complications postopératoires augmentées après curage extensif (tableau 1).9 Actuellement, les tumeurs pancréatiques à la limite de la résécabilité (borderline), chez des patients en bon état général, bénéficient d’une approche multimodale. Cette approche, incluant une quadri-chimiothérapie de type folfirinox (5-FU, oxaliplatine, irinotécan, leucovorine) suivie d’une radio-chimiothérapie néo-adjuvante, permettrait d’augmenter la résécabilité de ces tumeurs sans augmenter la morbidité-mortalité peropératoire.10
La chirurgie de cytoréduction, associée à une CHIP, connaît un intérêt grandissant, car elle permet d’obtenir une survie à cinq ans encourageante chez des patients bien sélectionnés, dont la médiane de survie sous chimiothérapie systémique seule était jusqu’alors décevante. Ceci a été clairement démontré dans les cancers colorectaux de stade IV, à condition d’avoir une résection complète de la tumeur primaire, une dissémination limitée au péritoine et une maladie métastatique hépatique limitée et bien contrôlée.11 Cette approche, qui doit être pratiquée dans des centres experts sous couverture d’une chimiothérapie systémique et avec des patients bien sélectionnés, a été validée pour les pseudomyxomes péritonéaux, les mésothéliomes, et même les carcinoses péritonéales de cancer ovarien.12,13 D’après une étude récente, la chirurgie de cytoréduction, associée à une chimiothérapie intrapéritonale de type mitomycine C, semble produire une réponse histologique et clinique supérieure à l’oxaliplatine dans les cas de cancers colorectaux avec carcinose.14 Plus récemment, une nouvelle technique, consistant en l’application d’aérosols pressurisés de chimiothérapie intrapéritonéale par voie laparoscopique (pressurized intraperitoneal aerosol chemotherapy, PIPAC), apparaît très prometteuse.15 Cette nouvelle technique, qui sera disponible au CHUV dès janvier 2015, permet d’obtenir des concentrations plus élevées de chimiothérapie en intrapéritonéal, avec une dissémination réduite au niveau systémique et une morbidité chirurgicale moindre.
Malgré les avancées substantielles dans la prise en charge du cancer de l’œsophage, le pronostic de ces patients reste incertain. La publication de l’étude CROSS (Chemoradiation therapy for Oesophageal Cancer Followed by Surgery Study) avait montré un bénéfice du traitement néo-adjuvant de radio-chimiothérapie surtout chez des patients avec des cancers localement avancés.16 Récemment, une étude française randomisée a pu infirmer l’efficacité de ce traitement chez des patients avec un cancer œsophagien de stade plus précoce (c’est-à-dire stades I et II).17 En effet, les résultats de cette étude ont montré qu’en comparaison avec la chirurgie seule, le traitement néo-adjuvant de radio-chimiothérapie (cisplatine, 5-FU) n’augmentait pas le taux de résections R0 (absence de résidu tumoral) ni la survie avec un effet délétère sur la mortalité postopératoire. La stratégie reste donc une radio-chimiothérapie préopératoire, suivie d’une chirurgie d’exérèse avec curage ganglionnaire à double (abdomen et thorax) ou triple abord (idem plus cervical). La survie à cinq ans a été multipliée par 5 ces dix dernières années.
Depuis la publication, en 2002, de la première chirurgie colorectale assistée au robot avec succès, de nombreuses études ont démontré la faisabilité et la sécurité de cette technique. Une étude récente, comparant la chirurgie colorectale laparoscopique conventionnelle à la chirurgie robotique, a pu démontrer un avantage de la chirurgie assistée au robot en termes de réduction des durées d’hospitalisation et des complications périopératoires.18 Pour la chirurgie rectale, le robot garantit une très bonne exposition du petit bassin et les résultats oncologiques à long terme semblent être prometteurs, avec une réduction significative du taux de récidives locales et des résultats à long terme supérieurs à la chirurgie ouverte.19 Les résultats de l’étude multicentrique ROLARR (Robotic versus laparoscopic resection for rectal cancer), encore attendus, permettront de mieux connaître les bénéfices et les indications de la chirurgie robotique pour le cancer du rectum.20 Concernant la chirurgie hépatique, il semble que la chirurgie robotique offre la même sécurité sans augmentation des complications postopératoires par rapport à la chirurgie laparoscopique conventionnelle.21 Il sera vraisemblablement bientôt démontré que le robot est surtout utile dans de petits espaces, tel le petit bassin (chirurgie gynécologique, urologique ou colorectale) ou dans la sphère ORL, et pour des gestes mini-invasifs complexes aux niveaux hépatobiliaire et pancréatique.
Le programme ERAS, implanté dans notre institution depuis le début de l’année 2011, est appliqué actuellement dans la plupart des hôpitaux de Suisse romande, et a permis de réduire de manière significative les complications (50%) et les durées de séjour. Nous avons aussi mesuré une réduction significative des coûts.22,23 Suite à ces résultats positifs, les principes d’ERAS ont été étendus à la chirurgie pancréatique et hépatique en 2013, et à la chirurgie gastrique et œsophagienne en 2014 et 2015. Pour la chirurgie hépatique, une récente méta-analyse a démontré que l’adhésion au protocole ERAS permet une réduction de la morbidité postopératoire avec une diminution des durées d’hospitalisation de 2,5 jours.24 Concernant la chirurgie pancréatique, des résultats similaires ont également pu être démontrés.25 En chirurgie gastrique, les guidelines ERAS ont été publiés récemment et permettront de faciliter la mise en place de registres multicentriques prospectifs.26 De plus, ERAS peut être appliqué avec des résultats similaires tant aux jeunes patients que chez ceux âgés de plus de 70 ans.27,28
Une antalgie multimodale et une gestion stricte de la balance hydrique dans la période périopératoire sont les deux maillons essentiels au succès d’ERAS, avec une nutrition optimale préopératoire et une mobilisation précoce. Actuellement, la péridurale reste recommandée comme gold standard pour la chirurgie colorectale ouverte.29 Par contre, une étude de notre service a démontré récemment que son utilisation en chirurgie colorectale laparoscopique n’est pas indiquée car elle ralentit la récupération médicale des patients (c’est-à-dire retour à une mobilisation complète et relai antalgique per os) sans améliorer le contrôle de l’antalgie en postopératoire.30 De plus, les patients ERAS bénéficiant d’une chirurgie colorectale sous péridurale présentent plus de complications et nécessitent plus fréquemment un soutien vasopresseur de catécholamines dans la période périopératoire immédiate (figure 1).
En 2014, la prise en charge des pathologies complexes en chirurgie digestive est spécifique à chaque patient particulier et nécessite une approche multimodale et, dans les cas les plus délicats ou les plus avancés, un regroupement dans des centres experts afin d’obtenir les meilleurs résultats, particulièrement dans le cadre de la chirurgie oncologique. Les nouvelles techniques développées, notamment dans la prise en charge des carcinoses primaire ou secondaire du péritoine, permettent d’obtenir de bonnes survies à cinq ans à condition de bien sélectionner les patients. Finalement, le programme ERAS permet d’améliorer significativement la prise en charge périopératoire des patients, même les plus âgés. ERAS est maintenant validé en chirurgie colorectale, et les résultats préliminaires obtenus en chirurgie hépatobiliaire et pancréatique sont excellents.
> Les tumeurs de la tête du pancréas à la limite de la résécabilité, chez des patients en bon état général, devraient bénéficier d’une approche agressive incluant une quadri-chimiothérapie de type folfirinox (5-FU, oxaliplatine, irinotécan, leucovorine), suivie d’une radio-chimiothérapie postopératoire
> La chirurgie de cytoréduction, associée à une chimiothérapie intrapéritonéale hyperthermique (hyperthermic intraperitoneal chemotherapy, HIPEC), permet d’obtenir une bonne survie à cinq ans dans les cas de cancers colorectaux avec résection complète de la tumeur primaire et une dissémination limitée au péritoine, même en cas de maladie métastatique hépatique limitée
> Actuellement, la péridurale reste recommandée comme gold standard pour la chirurgie dite «majeure». Cependant, son utilisation en chirurgie colorectale laparoscopique n’est plus indiquée car elle ralentit la récupération médicale des patients
En 2014, la chirurgie des pathologies complexes digestives nécessite une prise en charge multimodale. L’association de chimiothérapies à la chirurgie permet d’obtenir des survies à cinq ans, particulièrement pour des tumeurs localement avancées, telles que les adénocarcinomes de la tête du pancréas initialement non résécables ou pour les métastases hépatiques. La chirurgie associée à la chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale est en plein essor avec un bénéfice oncologique à long terme prouvé pour les tumeurs du péritoine. La réhabilitation améliorée après chirurgie (ERAS) est validée en colorectale, et les résultats préliminaires en chirurgie hépatobiliaire et pancréatique sont très prometteurs. ERAS permet de réduire les durées d’hospitalisation de même que les complications, à un moindre coût, même chez les patients âgés.