Un test sanguin pour adapter au mieux la méthode antitabagique. Une mise au point sur le dépistage du cancer du poumon bronchopulmonaire dans les populations fortement exposées au tabac. Voilà, parmi d’autres, deux informations nouvelles en provenance du front multiforme de la lutte contre le tabac. Un fléau qui constitue (faudrait-il encore le rappeler ?) l’une des premières causes de décès prématurés évitables dans les pays occidentaux.
C’est une nouveauté dans le champ de l’addiction au tabac : des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie ont mis au point un test biologique, effectué à partir d’une prise de sang, qui permettrait selon eux d’améliorer les chances d’arrêter de fumer. C’est un travail de grande ampleur sur ce thème qui vient d’être publié dans The Lancet Respiratory Medicine.1 Il est fondé sur les aptitudes individuelles des fumeurs à métaboliser la nicotine inhalée. Il est désormais bien établi que, de toutes les substances addictives, la molécule de nicotine est l’une de celles qui déclenche l’une des plus solides et durables relations de dépendance. C’est, schématiquement, la chute des taux de nicotinémie qui déclenche l’envie irrépressible de reprendre la consommation de tabac. Et l’arrêt durable de cette consommation chez le fumeur souhaitant arrêter provoque des mécanismes physiologiques qui induisent très souvent l’échec du sevrage.
… quel peut être l’impact d’un dépistage systématique sur les comportements tabagiques ? …
Le travail dirigé par le Pr Caryn Lerman (Department of Psychiatry, Abramson Cancer Center, University of Pennsylvania) se fonde sur le fait qu’il existe des différences individuelles importantes dans le rapport à la nicotine.
L’étude a été menée (de septembre 2010 à novembre 2012) auprès de 1246 personnes participant à différents programmes de sevrage tabagique. Trois groupes ont été constitués : patch cutané à la nicotine, une substance placebo ou une spécialité pharmaceutique (la varénicline de la multinationale américaine Pfizer). Ce travail a été financé par des fonds publics, Pfizer n’ayant fourni que son médicament (mais ayant plusieurs liens financiers avec plusieurs des auteurs). Chaque participant bénéficiait, durant les onze semaines de la cure, de conseils comportementaux et psychologiques. Chacun a ensuite été suivi pendant un an. Le biomarqueur du «nicotine metabolite ratio» (NMR) est la 3′-hydroxycotinine : cotinine.
Sur les 1246 participants, 662 ont été identifiés comme des métaboliseurs «lents» de nicotine (cette dernière était dégradée lentement par leur organisme) et 584 comme des métaboliseurs «normaux» (environ 60% de la population). Il ressort de ce travail que ces derniers ont de bien meilleures chances de parvenir au sevrage avec la varénicline. Les autres sont en revanche plus aidés par les patches nicotinés. Ils sont en outre plus sensibles aux effets secondaires (parfois graves) du médicament – cas d’états dépressifs graves et de suicides.2
En France,la Haute Autorité de Santé conseille de n’avoir recours à la varénicline qu’en seconde intention, après échec des autres méthodes de sevrage tabagique. Fin 2013, cette spécialité avait toutefois (de même que le bupropion) été «innocentée» dans le British Medical Journal.
Pour le Pr Caryn Lerman, il ne fait aucun doute que le recours systématique à ce test augmenterait notablement (jusqu’à les doubler) les chances de sevrage tabagique.
Pour le Pr Neil Davies (Université de Bristol), il s’agit là d’une «avancée scientifique importante» qui pourrait conduire à des modifications importantes dans la pratique médicale. Actuellement, le taux de succès à un an des tentatives de sevrage tabagique est de l’ordre de 4%, la seule manière de réussir étant, pour le fumeur, d’augmenter le nombre des tentatives – au risque de se lasser. Une autre solution, de plus en plus fréquente, est de troquer les cigarettes de tabac contre la cigarette électronique qui offre l’avantage considérable de ne pas inhaler de produits toxiques et cancérigènes.
«Il s’agit là d’un travail intéressant, nous a déclaré estime le Pr Jean-François Etter (Université de Genève). Plusieurs points critiques doivent toutefois être soulignés.» Ce spécialiste souligne toutefois les cas de conflits d’intérêts extensifs avec Pfizer pour certains auteurs ainsi que le p = 0,03 à 6 mois et une différence non significative à 12 mois. «A 12 mois, l’effet est seulement de quelques points de pourcentage, observe-t-il. Sachant que 30% des ex-fumeurs à 12 mois vont rechuter 3 et que 50% des fumeurs mourront du tabagisme, on voit que l’effet sur la mortalité est marginal. D’autre part, 12 semaines de traitement est une période trop courte pour une condition chronique. Pourquoi ne pas tester 12 mois de traitement ? Les cas psychiatriques étaient exclus, ce qui limite la généralisation des résultats : beaucoup de fumeurs souffrent de dépression, etc. La varénicline a des effets secondaires ; en fait elle est peu prescrite à cause de cela, donc un intérêt limité de ce produit d’un point de vue de santé publique (même si c’était efficace, peu d’effet populationnel à cause de faible niveau d’adoption). Il reste enfin à étudier le rapport coût-efficacité de cette approche.» Le Pr Etter estime qu’une bonne mesure serait d’autoriser la cytisine, à la fois bon marché et efficace.4
C’est dans ce contexte qu’en France, la Haute autorité de santé (HAS) vient de publier une «note de cadrage»5 pour une évaluation de la pertinence d’un dépistage du cancer du poumon dans les populations fortement exposées au tabac. Cette évaluation fait suite à une saisine de l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT), de la Société de pneumologie de langue française (SPLF), du Groupe d’oncologie de langue française (GOLF), de la Société française de radiologie (SFR) et de la Société d’imagerie thoracique (SIT).
On sait que le cancer du poumon fait partie des cancers ayant les plus mauvais pronostics – avec 14% de survie à cinq ans, tous stades confondus. La HAS rappelle que 93% des décès par cancer du poumon sont associés au tabagisme. Si l’intérêt de principe du dépistage par scanner thoracique à faible dose est acquis, les modalités du dépistage, les populations à cibler et la répétition des examens dans le temps doivent encore être précisées. C’est pourquoi la HAS va donc mener une revue de la littérature afin de faire l’état des connaissances quant à l’efficacité, les inconvénients et les risques associés à un dépistage du cancer du poumon par scanographie thoracique non injecté à faible dose.
L’un des enjeux sera ici de comprendre quel peut être l’impact d’un dépistage systématique sur les comportements tabagiques (dans le contexte français). Si le rapport bénéfice-risque d’une telle politique devait se révéler positif, la HAS annonce qu’elle lancerait un deuxième travail afin d’en explorer les dimensions économiques, éthiques et organisationnelles. On sait, dans ce domaine, qu’un important essai mené aux Etats-Unis a montré une efficacité du dépistage par scanner thoracique à faible dose (par rapport à un dépistage par radiographie thoracique), et ce en termes de diminution de mortalité par cancer broncho-pulmonaire et de mortalité toutes causes. A l’inverse, d’autres études (avec des effectifs plus limités) menées dans des pays européens ne sont pas parvenues à démontrer de réels bénéfices.