Au sujet de l’article : «Diagnostic de l’embolie pulmonaire chez la femme enceinte : comment faire ?» paru dans la Revue Médicale Suisse du 22 octobre 2014 (Rev Med Suisse 2014;10:1949-54).
Cher Confrère,
J’ai lu avec attention l’article de la revue médicale suisse d’octobre 2014 au sujet du «diagnostic de l’embolie pulmonaire chez la femme enceinte : comment faire ?»1 et il existe plusieurs inexactitudes et grossières erreurs qui méritent des commentaires. Je ne commenterai que la partie concernant la médecine nucléaire car c’est mon domaine de prédilection.
1. Les critères d’interprétation scintigraphique nommés PIOPED2 (prospective investigation of pulmonary embolism diagnosis) sont abandonnés depuis 2009 au profit de nouveaux critères proposés par l’EANM (European Association of Nuclear Medicine).3 En appliquant ces nouveaux principes d’interprétation, de récentes études, sur plus de 3000 patients, démontrent une valeur prédictive négative comprise entre 97 et 99%, une sensibilité de 96 à 99% et une spécificité de 91 à 98% pour le diagnostic d’embolie pulmonaire (EP), et un taux de résultats non concluants compris entre 1 et 3%4–7 (soit loin des 52-73% liés à l’utilisation des critères PIOPED). Avec ces nouveaux critères, les performances diagnostiques de la scintigraphie sont équivalentes à celles obtenues par les scanners multidétecteurs les plus récents mais avec un taux d’examens non diagnostiques beaucoup plus faible (de 10,5% d’après Parker).8
L’inconvénient principal de la scintigraphie, comme souligné dans l’article, est la difficulté de proposer un diagnostic alternatif.
2. Il faut cependant rappeler la parfaite innocuité de la scintigraphie pulmonaire (aucune allergie ni aucun effet secondaire) en raison de l’administration des radiopharmaceutiques à doses traceuses (ou infinitésimales). L’injection de produit de contraste iodé, du fait de son passage au travers de la circulation materno-fœtale n’est pas sans conséquence sur la fonction thyroïdienne du fœtus ; après douze semaines d’aménorrhée, la surcharge iodée ponctuelle consécutive à l’injection de produit de contraste iodé peut entraîner une dysthyroïdie fœtale transitoire, en général sur le versant de l’hypothyroïdie (fiche CIRTACI : produits de contraste et grossesse).9
En cas de doute sur l’examen à prescrire dans une situation clinique donnée, la lecture du guide du «Bon usage des examens de l’imagerie médicale», pourrait aider le praticien. Ce guide, édité par la Société française de radiologie et la Société française de médecine nucléaire et imagerie moléculaire, existe en version internet à l’adresse gbu.radiologie.fr.
3. Au sujet de la scintigraphie de ventilation et de perfusion pulmonaire, le guide précise que l’examen présente de très bonnes performances diagnostiques et qu’il est en particulier réalisable chez la femme enceinte.
4. Concernant les hypothétiques risques oncogéniques des examens faiblement irradiants, l’article vire malheureusement à l’obscurantisme. La recommandation de la CIPR (Commission internationale de protection radiologique) 10310 interdit l’utilisation de la relation linéaire sans seuil comme modèle prédictif de survenue d’éventuels cancers aux faibles doses. Cela signifie qu’il est scientifiquement faux de dire qu’avec une dose d’irradiation X il y a Y% d’excès de risque relatif de développer un cancer. Cette idée est délétère et alimente une peur disproportionnée, irrationnelle et fondée sur aucun fait avéré. Les faits épidémiologiques et de nombreux faits scientifiques plaident pour une très probable innocuité des rayonnements ionisants aux faibles doses et a fortiori aux très faibles doses. Le risque cancérogène éventuel des faibles doses, s’il existe, est extrêmement faible et ne peut pas être mis en évidence du fait de deux limites principales : épidémiologique et méthodologique. Un rapport publié à l’académie des sciences et l’académie de médecine sur la relation dose-effet et l’estimation des effets cancérogènes des faibles doses de rayonnements ionisants documente et explicite ces limites.11
5. Le principe de précaution ALARA (As Low that Reasonably Achievable) est basé sur trois principes : la justification (l’examen doit être justifié et permettre de répondre à la question posée par le praticien), le remplacement (d’un examen irradiant par un examen non irradiant de même performance diagnostique, s’il existe) et la limitation (délivrance de la dose d’irradiation la plus faible possible mais pour une performance diagnostique identique. Cette limite est régulièrement abaissée grâce au progrès technique permettant d’augmenter les performances de détection des appareils d’imagerie). Exiger plus des services d’imagerie, c’est plonger dans le cercle vicieux (figure 1), bien connu et largement décrié du «dangereux» principe de précaution.12,13
6. Je vous remercie donc de bien vouloir faire les corrections nécessaires et/ou de retirer l’article en question en raison de ces nombreuses approximations et inexactitudes.