Introduction
L’année écoulée a une nouvelle fois été riche en avancées utiles pour notre pratique quotidienne en médecine interne hospitalière. Les chefs de clinique du Service de médecine interne du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) ont sélectionné pour vous les articles qui suivent. Certains arrivent à la conclusion qu’une nouvelle technique invasive n’est pas supérieure à une prise en charge usuelle (prise en charge de l’hypertension artérielle réfractaire), d’autres mettent en avant la réduction du temps nécessaire aux soins (vitamine E dans la démence) alors que d’autres évoquent une stratégie «less is more». Ces trois exemples sont révélateurs de l’intérêt que portent les praticiens à une utilisation raisonnable des moyens mis à leur disposition à une époque marquée par une explosion tant de la disponibilité de ces derniers que des coûts qu’ils engendrent. Ils soulignent également l’importance de réaliser des études solides quant à l’utilisation de techniques innovantes, sur le modèle de celles devenues la norme pour tout nouveau médicament.
Urgences
Embolie pulmonaire : faut-il interpréter les D-dimères en fonction de l’âge ?
L’embolie pulmonaire (EP) est un diagnostic à la fois fréquent et de présentation clinique peu spécifique. Les D-dimères (DD) sont dosés en cas de probabilité clinique faible à modérée selon le score de Genève révisé pour écarter une EP (DD < 500 µg/l). Cependant avec l’âge, la spécificité de ce test diminue fortement, entraînant de nombreux examens radiologiques inutiles.
Cette étude multicentrique,1 européenne, prospective avait pour but de valider un seuil de DD inférieur à (10 x âge) en µg/l à partir de 50 ans. Les patients, avec un âge moyen de 62 ans ont été suivis trois mois et classés en trois catégories : DD < 500 µg/l, DD entre 500 µg/l et seuil lié à l’âge, ou DD > seuil lié à l’âge. Dans le deuxième groupe, un seul patient sur 331 a présenté une EP à trois mois (incidence 0,3 (IC 95% : 0,1-1,7). Ce taux d’erreurs correspond à celui d’un cut-off à 500 µg/l.
Chez les patients de plus de 75 ans, le seuil de DD adapté à l’âge permet un gain d’exclusion de l’EP sans augmenter les erreurs diagnostiques, passant de 6,4% (DD < 500 µg/l) à 30% (DD < (10 x l’âge)). Relevons toutefois le faible collectif de patients se situant entre 500 µg/l et la valeur seuil liée à l’âge et à la non-randomisation de l’étude.
Implications pratiques : l’utilisation d’un cut-off de D-dimères ajusté à l’âge (DD < (10 x l’âge)) dès 50 ans comme seuil d’exclusion d’une EP semble tout à fait validé et permet de limiter les investigations radiologiques. Des études doivent encore confirmer son implication dans la pratique.
Une proposition «less is more» pour améliorer la pratique aux urgences
Cette étude a utilisé une méthode Delphi pour identifier une liste de cinq mesures prioritaires dans les soins d’urgences.2 Ces mesures devaient être réalistes tout en ciblant des actes médicaux coûteux et sans bénéfice clair (initiative de type less is more). La première et la dernière étapes de cette méthode Delphi interrogeaient le même groupe d’experts issus de six services d’urgences américains ; l’étape intermédiaire a recueilli l’avis de 174 urgentistes.
Les cinq mesures :
ne pas effectuer un scanner du rachis cervical après traumatisme chez les patients qui ne remplissent pas les critères définis par la National Emergency X-Ray Utilization Study (Nexus)3 ou la Canadian C-Spine Rule.4
Ne pas effectuer un CT protocole EP sans avoir défini auparavant une probabilité prétest et, au besoin, mesuré les D-dimères.
Ne pas effectuer une IRM du rachis pour des douleurs lombaires sans «drapeau rouge».
Ne pas effectuer un CT-cérébral après traumatisme crânien mineur pour les patients qui ne remplissent pas les critères de New Orleans 5 ou ceux de la Canadian CT Head Rule.6
Ne pas faire de test de la crase s’il n’y a pas d’hémorragie ni de suspicion de coagulopathie.
La limitation principale consiste dans le choix de ces cinq mesures, plutôt que d’autres, car il n’y a pas eu de calcul coût-efficacité. La force réside dans la consultation de cliniciens conscients de l’utilisation, en pratique, de telles recommandations.
Plus que les mesures en soi, la démarche «less is more» mérite à notre sens d’être mise en avant dans le contexte actuel d’explosion des coûts de notre système de santé. Un projet similaire avait d’ailleurs été publié en 20117 concernant la médecine de premier recours, dont les propositions étaient pour rappel : pas d’imagerie lombaire en l’absence de drapeau rouge, pas d’analyse sanguine ou urinaire de routine chez des patients asymptomatiques hormis la glycémie chez l’hypertendu ou le profil lipidique, pas d’électrocardiogramme de routine chez les patients à bas risque cardiovasculaire, prescription de statines systématiquement génériques, pas de densitométrie de dépistage chez les femmes de moins de 65 ans ou les hommes de moins de 70 ans en l’absence de facteur de risque.
Pneumologie
Pirfénidone : un traitement de choix de la fibrose pulmonaire idiopathique ?
La fibrose pulmonaire idiopathique (FPI) est une maladie sans traitement efficace et au pronostic sombre. La pirfénidone a montré des résultats encourageants mais divergents dans trois études préalables, limitant ainsi sa commercialisation. Cette quatrième étude de phase 3 (étude ASCEND),8 multicentrique, randomisée, en double aveugle, confirme l’efficacité et la sécurité de la pirfénidone sur la progression de la FPI.
La conception est modifiée par rapport aux études précédentes avec un suivi plus court (un an), davantage de patients et à plus haut risque de progression, avec des critères diagnostiques plus stricts. Le déclin de la capacité vitale forcée est significativement plus faible dans le groupe pirfénidone (-235 ml vs -428 ml ; p < 0,001) et le test de marche est amélioré. La mortalité globale ainsi que celle liée à la fibrose pulmonaire idiopathique atteignent quant à elles la significativité uniquement en regroupant les données avec celles des deux études CAPACITY,9 c’est-à-dire en passant de 555 à 1249 patients. Dans le groupe pirfénidone, le risque relatif (RR) de mortalité globale est ainsi de 0,52 (IC 95% : 0,31-0,87 ; p = 0,01), et pour la mortalité liée à la FPI de 0,32 (IC 95% : 0,14-0,76 ; p = 0,006). En revanche, aucune différence significative ne ressort quant à la dyspnée.
Dans cette étude sponsorisée, avec des patients sévèrement atteints, la pirfénidone démontre une efficacité modeste, bien que sans amélioration claire de la qualité de vie. Au vu de l’absence d’alternative ou d’effets secondaires graves avec un bénéfice sur la survie et le déclin fonctionnel, les spécialistes hésitent de moins en moins à prescrire la pirfénidone.
Implication pratique : actuellement non encore commercialisée en Suisse, la pirfénidone pourrait faire son apparition prochainement pour le traitement de la FPI.
Pneumonie : un diagnostic par ultrason ?
Les recommandations actuelles pour le diagnostic de la pneumonie ne proposent pas l’ultrason pulmonaire (USP) comme alternative à la radiographie ou au CT-scan thoracique. Un groupe multidisciplinaire d’experts américains a conduit une revue systématique de la littérature avec méta-analyse10 pour regrouper les données existantes de la précision diagnostique de l’USP pour la pneumonie de l’adulte.
Des 2726 articles recensés initialement, 10 (0,4%) ont été retenus sur la base de nombreux critères d’exclusion et d’une évaluation méthodologique de la qualité. Seules les études comparant l’USP avec une radiographie pulmonaire ou un scanner thoracique concomitant étaient éligibles. Pour les 1172 patients inclus, la sensibilité et la spécificité de l’USP pour le diagnostic de la pneumonie étaient respectivement de 94% (IC 95% : 0,92-0,96) et de 96% (IC 95% : 0,94-0,97).
Cette méta-analyse valide l’USP comme outil diagnostique dans la pneumonie de l’adulte, s’il est effectué par un spécialiste. Il s’agit d’un examen rapide (durée maximale rapportée < 13 minutes) et sans irradiation, le rendant intéressant chez les femmes enceintes. Son utilisation au lit du malade par des médecins non spécialistes nécessite encore une validation par des études ultérieures.
Implications pratiques : l’USP effectué par un spécialiste est un outil validé pour le diagnostic de pneumonie. Les avantages de cette méthode rapide et non ionisante pourraient être exploités par une formation ciblée.
Soins intensifs
Quelle pression artérielle moyenne maintenir dans le choc septique ?
Basées sur de petites études,11,12 les guidelines de la Surviving Sepsis Campaign (SSC) recommandent le maintien d’une tension artérielle moyenne (TAM = (TA systolique + 2 x TA diastolique)/3) minimale de 65 mmHg (grade 1C).
Cette étude,13 multicentrique ouverte randomisée et stratifiée, a comparé chez 776 patients en choc septique les critères suivants : la mortalité globale à 28 jours, à 90 jours, l’absence de dysfonction d’organe à 28 jours et la durée de séjour aux soins intensifs en fonction d’une TAM cible entre 65 et 70 mmHg (basse) versus 80 à 85 mmHg (haute) pendant maximum cinq jours, la noradrénaline étant le vasopresseur de choix. Une stratification a été effectuée pour les patients chroniquement hypertendus. Aucune différence statistiquement significative n’a été mise en évidence pour ces différentes variables ; en revanche, chez les patients chroniquement hypertendus, on note une augmentation statistiquement significative de défaillance rénale et de recours à l’épuration extrarénale dans le groupe «TAM basse». A relever, enfin, une incidence significativement plus élevée de fibrillation auriculaire dans le groupe «TAM haute».
Cette étude comporte un certain nombre de limitations (grand nombre de critères d’exclusion, utilisation libre de corticoïdes et protéine C activée, TAM réelles régulièrement supérieures à 70 mmHg dans le groupe «TAM basse»), qui rendent les résultats difficilement généralisables. Il n’y a toutefois à l’heure actuelle pas de preuve indiquant qu’il faille viser des tensions artérielles moyennes plus élevées, avec une réserve concernant d’une part les patients chroniquement hypertendus, et d’autre part l’absence de données concernant les atteintes neurologiques centrales.
Implication pratique : il n’y a pas de preuve dans la prise en charge du choc septique qu’un maintien de la TAM > 80 mmHg par rapport à une TAM > 65 mmHg actuellement recommandée par la SSC réduise la mortalité ou les complications. Cependant, chez les patients chroniquement hypertendus, une TAM cible plus haute pourrait diminuer l’incidence d’insuffisances rénales sévères.
Néphrologie
Dénervation rénale pour le traitement de l’hypertension artérielle réfractaire : cherchez l’erreur dans la méthode
L’hypertension artérielle (HTA) réfractaire se définit par une tension artérielle systolique > 140 mmHg malgré un traitement médicamenteux maximal comprenant au minimum trois antihypertenseurs dont un diurétique à dose maximale. La dénervation rénale endovasculaire par radiofréquence vise à contrer l’hyperactivité du système nerveux sympathique au niveau des artères rénales. Cette intervention séduisante d’un point de vue théorique a montré jusqu’à présent des résultats encourageants.14,15 L’étude SIMPLICITY HTN 316 est la première étude randomisée en simple aveugle contre placebo. Sur 535 patients avec HTA réfractaire, deux tiers ont bénéficié d’une dénervation rénale, un tiers d’une angiographie simple.
Aucune différence significative quant aux end-points primaires (évolution de la tension artérielle systolique à six mois au cabinet) ou secondaires (tension artérielle systolique ambulatoire sur 24 heures à six mois) n’est relevée ; cependant, une baisse tensionnelle de 2,39 mmHg (p = 0,26) au cabinet, respectivement 1,96 mmHg (p = 0,98) en ambulatoire sur 24 heures est observée à six mois. Cette diminution, équivalente dans les deux groupes, pourrait s’expliquer par les effets placebo (intensifié par le caractère invasif) et Hawthorne (résultant de meilleurs soins et adhérence lors d’un suivi rapproché), et être responsable des données favorables retrouvées dans les études précédentes non randomisées et/ou en aveugle.
Cette étude vient nuancer l’enthousiasme suscité par les précédents résultats. Les mesures hygiéno-diététiques, médicamenteuses et l’adhérence restent les trois axes primordiaux dans la prise en charge de l’HTA réfractaire.
Implication pratique : les mesures hygiéno-diététiques, médicamenteuses et l’adhérence restent les trois axes primordiaux dans la prise en charge de l’HTA réfractaire.
Infectiologie
Dispositifs veineux centraux : les risques infectieux sont-ils identiques ?
L’utilisation de PICC (peripherally inserted central catheter) a explosé ces dernières années en raison de leur facilité d’insertion, leur sécurité d’emploi et leur confort d’utilisation aussi bien chez les patients hospitalisés qu’ambulatoires. Théoriquement, les PICC devraient être une source moindre d’infections systémiques liées aux cathéters que les VVC (voies veineuses centrales) en raison de leur long trajet qui diminuerait le risque de migration extraluminale des bactéries cutanées. Les données, quant au risque infectieux lié à ces dispositifs, sont toutefois discordantes, c’est pourquoi l’équipe américaine de Chopra et coll. a étudié le risque de bactériémie liée aux PICC (insertion en veine céphalique, basilique ou brachiale) par rapport aux VVC (jugulaires, sous-clavières ou fémorales) par une méta-analyse :17 23 études regroupant 57 250 patients adultes ont été inclues. Il en ressort un risque global d’infections systémiques liées aux PICC plus faible qu’aux VVC (RR : 0,62 ; IC 95% : 0,4-0,94). L’incidence d’infection en milieu hospitalier est de 5,2% pour les PICC contre 5,8% pour les VVC ; tandis qu’en milieu ambulatoire, elle est respectivement de 0,5 et 2,1%, peut-être en raison de manipulations moins fréquentes. Ces résultats sont à pondérer, car les données existantes comptées en infection par jour de cathéter (13 des 23 études) rapportent une incidence calculée ainsi équivalente entre les PICC et les VVC (rapport de taux d’incidence : 0,91 ; IC 95% : 0,46-1,79).
Les infections systémiques par cathéter veineux central augmentent les durées de séjour et la mortalité ; plus que le choix du dispositif, des efforts importants doivent donc être poursuivis afin de baisser leur incidence en établissant des procédures standardisées d’insertion, de maintien et de retrait. De telles mesures ont déjà prouvé leur efficacité dans les unités de soins intensifs et devraient s’étendre aux autres unités hospitalières ; de plus, elles concernent également les cathéters veineux périphériques (venflon), fréquemment négligés et également responsables de nombreuses infections systémiques. Enfin, le choix du type d’accès et du site doit prendre en compte le risque thrombotique.
Implications pratiques : en tenant compte du nombre d’infections par jour de cathéter, les dispositifs intraveineux centraux sont équivalents en matière de risque infectieux. Un avantage se dessine en faveur du PICC-line, en particulier en ambulatoire. La priorité doit être mise sur les mesures générales de diminution du risque d’infection par cathéter (protocoles standardisés de pose, maintien et retrait) dans les unités hospitalières.
Hématologie
Nouveaux anticoagulants oraux lors de fibrillation auriculaire : pour les personnes âgées et les insuffisants rénaux ?
Quatre études randomisées contrôlées comparant les nouveaux anticoagulants oraux (NACO) chez des patients avec fibrillation auriculaire (RE-LY, ROCKET AF, ARISTOTLE et ENGAGE AF-TIMI 48) ont démontré leur efficacité pour prévenir un accident vasculaire (AVC). Cette méta-analyse18 de 71 683 patients permet d’observer l’efficacité et la sécurité des NACO dans des sous-groupes de patients, tels que des patients âgés ou insuffisants rénaux, de comparer les molécules (inhibiteur de la thrombine versus inhibiteurs du facteur Xa) et leur dosages (dabigatran, 150 mg versus 110 mg, et edoxaban, 60 mg versus 30 mg).
Pour tous les patients, comparés à la warfarine, les NACO (utilisés à haute dose pour le dabigatran et l’edoxaban) réduisent de 19% les AVC (RR : 0,81 ; IC 95% : 0,73-0,91) et de 10% la mortalité globale (RR : 0,90 ; IC 95% : 0,85-0,95) mais augmentent les saignements gastro-intestinaux (RR : 1,25 ; IC 95% : 1,01-1,55) sans effet sur les saignements majeurs. Le dabigatran et l’edoxaban à faible dose diminuent la mortalité globale (RR : 0,89 ; IC 95% : 0,83-0,96) avec moins de saignements intracérébraux (RR : 0,31 ; IC 95% : 0,24-0,41) au prix d’une augmentation des AVC ischémiques (RR : 1,28 ; IC 95% : 1,02-1,6).
Bien que cette méta-analyse ne réponde pas à la question : «quel est le meilleur NACO ?», ces données confirment l’efficacité des NACO pour prévenir un AVC, en particulier dans des sous-groupes tels que les patients âgés ou avec une clairance de la créatinine < 50 ml/min. Néanmoins, ces conclusions ne s’appliquent pas aux patients de plus de 80 ans ni à ceux avec une insuffisance rénale sévère.
Implications pratiques : les NACO confirment leur profil favorable, y compris sur les risques hémorragiques intracrâniens, par rapport à la warfarine, et ce même parmi les patients âgés (jusqu’à 80 ans) ou avec une insuffisance rénale modérée. Les hémorragies digestives non sévères sont par contre plus fréquentes.
Maladie thromboembolique veineuse et risque hémorragique: antiagrégants à proscrire ?
Le risque de saignement d’un traitement combiné anticoagulant et aspirine est bien documenté pour la fibrillation auriculaire. Mais qu’en est-il pour la maladie thromboembolique veineuse ? Davidson et coll.19 ont, pour la première fois, analysé les données observationnelles de l’étude EINSTEIN TVP et EP pour comparer l’incidence d’événements hémorragiques cliniquement significatifs (EHCS) et d’hémorragies majeurs (HM) chez les patients traités pour une maladie thromboembolique veineuse (n = 8246) par anticoagulation (rivaroxaban ou énoxaparine – antivitamine K) recevant ou non des AINS ou de l’aspirine. 22,8% des patients dans le groupe rivaroxaban et 14,6% dans le groupe énoxaparine-antivitamine K ont reçu un traitement antiagrégant.
L’incidence d’EHCS chez les patients traités par AINS et anticoagulant était de 37,5 pour 100 patients/année versus 16,6 en cas d’anticoagulation seule (HR : 1,77 ; IC 95% : 1,46-2,14) et 6,5 respectivement 2 pour 100 patients/année pour les HM (HR : 2,37 ; IC 95% : 1,51-3,75). Cette incidence élevée se retrouvait également en cas d’association aspirine (à dose préventive) et anticoagulant lors d’EHCS (36,6 versus 16,9 pour 100 patients/année ; HR : 1,7 ; IC 95% : 1,38-2,11) mais était moindre et non significative pour les HM (4,8 versus 2,2 pour 100 patients/année ; HR : 1,5 ; IC 95% : 0,86-2,62). Le risque hémorragique n’était pas influencé par la durée d’exposition combinée et son augmentation était similaire pour les deux types de régimes anticoagulants.
Cette analyse post hoc souligne l’importance d’éviter de telles associations médicamenteuses chez les patients âgés et polymorbides chez qui le risque de saignement est probablement encore supérieur à celui de cette étude, dont le protocole excluait les sujets à risque hémorragique accru.
Implication pratique : le risque d’hémorragie cliniquement relevante est significativement augmenté en cas de traitement combiné d’AINS ou d’aspirine à dose préventive avec un traitement anticoagulant, ancien ou nouveau, lors de maladie thromboembolique veineuse.
Gastroentérologie
Diverticulite sigmoïdienne : sans antibiotique et sans chirurgien ?
Suite à des avancées dans la compréhension physiopathologique de la diverticulite, les stratégies de prise en charge sont en train d’évoluer. Morris et coll.20 ont revu 80 articles parus depuis 2000.
Le mécanisme d’inflammation d’un diverticule reste peu compris, mais on suspecte une altération de la motilité associée à un changement du micro-environnement. Des similitudes sont observées avec les maladies inflammatoires de l’intestin, tant du point de vue histologique que thérapeutique. Les manifestations chroniques de la diverticulite récurrente semblent en effet répondre aux anti-inflammatoires topiques (mésalamine) ou aux antibiotiques topiques (rifaximine), seuls ou en association.
Cette revue fait également ressortir que le risque de récidive chez un patient ayant présenté un premier épisode de diverticulite non compliquée est faible (13 à 36% sur un suivi de 8,9 et 10,7 ans, risque d’un troisième épisode à 3,9%). En plus, contrairement aux idées généralement admises, le risque de complication diminue avec chaque récidive. Moins de 5% des patients ayants présenté un premier épisode simple vont développer un deuxième épisode compliqué (abcès, fistule, perforation, obstruction, sepsis). Le rôle de la chirurgie élective pour prévenir les récidives, habituellement recommandée dès ≥ 2 épisodes, est ainsi remis en question dans les diverticulites non compliquées, et ce d’autant plus que la localisation des récidives semble imprévisible. Toutefois, parmi les maladies récurrentes, les patients opérés évoluent moins vers des douleurs abdominales chroniques (5 à 25% contre 20 à 30%).
Le traitement antibiotique en soi est également questionné pour la diverticulite non compliquée dans plusieurs études et méta-analyses, et le régime riche en fibres n’a pas fait ses preuves contre les récidives ni les symptômes. Les probiotiques ont peut-être une place en aigu dans le soulagement des symptômes.
Quant à l’endoscopie, elle est discutée après un épisode aigu non compliqué et ne devrait intervenir qu’à visée diagnostique à la recherche d’autres causes de colite, par exemple, ischémique, maladie de Crohn, ou d’un cancer.
Implication pratique : les recommandations de prise en charge de la diverticulite sigmoïdienne évoluent vers moins d’antibiotiques, d’interventions électives, et avec une place pour les anti-inflammatoires et antibiotiques topiques.
Déficit en vitamine B12 et inhibiteurs de la pompe à protons : à dépister ?
En inhibant la sécrétion gastrique acide qui libère la vitamine B12 des aliments, ainsi que la synthèse du facteur intrinsèque, les inhibiteurs de la pompe à proton (IPP) et les antihistaminiques 2 (anti-H2) peuvent entraîner une carence par malabsorption.
Jameson et coll.21 ont évalué la relation entre l’utilisation des antacides pendant au moins deux ans et l’hypovitaminose B12 dans une étude cas-contrôle de 1997 à 2011 sur une population nord-californienne. Parmi 25 956 patients avec un déficit en B12, 12% avaient reçu des IPP et 4,2% des anti-H2. Chez les 184 199 contrôles, ils étaient respectivement 7,2 et 3,2%. L’exposition aux IPP et aux anti-H2 augmente le risque de carence en B12 (OR : 1,65 ; (IC 95% : 1,58-1,73) et 1,25 (IC 95% : 1,17-1,34) respectivement). Ce risque semble plus important chez les utilisateurs récents (< 1 année depuis la dernière prise médicamenteuse), selon la dose, chez les moins de 30 ans et chez les femmes. Des biais de recrutement, l’absence de données sur l’automédication (vitamines, antacides) et l’adhérence au traitement limitent cette étude épidémiologique, néanmoins intéressante par sa taille. Le lien de causalité est jugé possible statistiquement.
En l’absence de données sur les conséquences cliniques de cette carence vitaminique, un dépistage systématique d’une hypovitaminose B12 chez les patients sous antacide ne peut être recommandé.
Implication pratique : le seuil de suspicion d’hypovitaminose B12 doit être très bas chez les patients sous antacides, en raison d’une association probablement causale existante, et de la fréquence de cette prescription.
Gériatrie
Une vitamine pour ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer ?
L’administration de vitamine E (alpha-tocophérol 2000 UI/jour) permet le ralentissement de la progression de la maladie d’Alzheimer (MA) dans les cas modérément sévères, mais pas lors de mild cognitive impairment. L’étude multicentrique randomisée en double aveugle de Dysken et coll.22 avait pour objectif de démontrer l’effet de cette dernière (seule ou en association avec la mémantine) sur l’évolution du score ADCS-ADL (de 0 à 78, un score bas reflétant une faible autonomie) pour les stades légers à modérés.
Six cent treize vétérans américains (âge moyen 78,8 ans, MMSE moyen 21, score ADCS-ADL moyen 56,8, suivi 2,2 ans), préalablement sous inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, ont été randomisés en quatre groupes : vitamine E, mémantine, vitamine E et mémantine, placebo. La perte d’autonomie dans le groupe vitamine E était de 6,08 points par an contre 7,47 dans le groupe placebo (-19%). Le bénéfice n’était statistiquement significatif que pour le groupe vitamine E versus placebo ; l’association à la mémantine n’apportait pas de bénéfice significatif et la valeur MMSE n’était pas affectée. A noter, une diminution (statistiquement non significative) du temps passé auprès des patients par les prestataires de soins dans le groupe vitamine E de 2 h/jour comparé au groupe mémantine.
Implication pratique : la vitamine E en association avec les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase semble être un traitement intéressant dans ce groupe de patients, au vu de son faible coût, de l’absence d’effet indésirable et du bénéfice sur la diminution du temps de soins.