La déhydroépiandrostérone (DHEA) et son ester sulfaté (DHEAS) sont les hormones stéroïdiennes les plus abondantes chez l’homme. La DHEA est produite à partir du cholestérol principalement au niveau des surrénales, mais également au niveau des testicules, des ovaires, de la peau et du cerveau.1,2 La DHEAS est produite, elle, uniquement au niveau de la zone réticulée des surrénales.1 Il s’agit d’une hormone hydrosoluble à longue demi-vie (10 à 20 heures), qui fournit un réservoir circulant relativement stable de DHEA.1,2 La DHEAS est ensuite transformée en DHEA au niveau tissulaire. La DHEA est liposoluble, pouvant plus facilement traverser les membranes cellulaires.1,3
La DHEA est produite initialement par les glandes surrénales fœtales. Après une période d’une année, ses taux baissent pour remonter à nouveau vers l’âge de six à huit ans (phénomène appelé «adrénarche»).1,3 Les taux plasmatiques de DHEA atteignent un pic aux alentours de la troisième décennie.1 Leur baisse ultérieure suggère l’existence d’un phénomène d’«adrénopause», caractérisé par des niveaux bas de DHEA et des niveaux normaux de cortisol.4 A l’âge de 70-80 ans, ses taux peuvent diminuer jusqu’à 10 à 20% de ceux rencontrés chez l’adulte jeune. Le mécanisme sous-jacent implique plutôt une diminution de la production au niveau surrénalien.5
La signification clinique de l’adrénopause est moins claire que celle de la ménopause ou de l’andropause. L’objectif de cet article est de revoir l’association entre la baisse de la DHEA et l’apparition de maladies liées au vieillissement, ainsi que de faire le point sur les bénéfices potentiels d’une supplémentation bien conduite.
La DHEA constitue un réservoir important d’hormones stéroïdiennes, permettant aux tissus de la transformer en androgènes ou œstrogènes selon les besoins locaux, avec un moindre effet systémique. Ce phénomène est appelé «intracrinologie». Chez les femmes, avant la ménopause, la DHEA est à l’origine de la production de 50 à 75% des œstrogènes et de la grande majorité des androgènes, par un mécanisme intracrine. Après la ménopause, la production d’œstrogènes par les ovaires s’estompe et les surrénales deviennent alors la source quasi exclusive d’œstrogènes et de testostérone. Chez les hommes, du fait d’une sécrétion relativement permanente de testostérone par les testicules, le rôle de la DHEA dans la production d’hormones stéroïdiennes est moins clair, mais reste significatif.1–3 La DHEA aurait également des effets propres par l’intermédiaire de récepteurs membranaires au niveau de l’endothélium, du cœur, des reins et du foie.6 Finalement, les dérivés 7α- et 7β-hydroxylés semblent interagir spécifiquement avec des récepteurs nucléaires, mais leur rôle exact n’est pas encore élucidé.6
Par conséquent, directement ou par l’intermédiaire de ses dérivés hormonaux, la DHEA semble pourvue d’un rôle physiologique significatif, dont l’importance croît avec la baisse de la production hormonale gonadique liée à l’âge. Par ailleurs, la baisse des niveaux plasmatiques de DHEA semble corrélée à diverses pathologies liées au vieillissement. Ainsi, des études suggèrent une corrélation positive entre les taux plasmatiques de DHEA et la masse musculaire,7 la force,7 la mobilité8 et une diminution du risque de chute.9 Une corrélation positive entre les niveaux plasmatiques de DHEA et la densité minérale osseuse (DMO) a également été décrite.10
La relation entre la baisse de la DHEA et la morbi-mortalité cardiovasculaire a fait l’objet de plusieurs travaux. Ainsi, des niveaux élevés de DHEA ont été corrélés avec un risque moindre d’apparition de coronaropathie,11 un meilleur pronostic chez des patients présentant une insuffisance cardiaque chronique12 ainsi qu’une diminution de la mortalité cardiovasculaire et globale.13 Un effet bénéfique de taux élevés de DHEA contre l’athérosclérose a été suggéré par des études sur des modèles animaux,14 en rapport avec des mécanismes physiopathologiques multiples (produits hormonaux terminaux, effet anti-inflammatoire,6,14 stimulation directe de la NO synthétase endothéliale6). Par contre, les taux de DHEA semblent peu corrélés au profil lipidique et les résultats des études sur sa relation avec l’intolérance au glucose sont discordants.5
Des études in vitro suggèrent un potentiel effet neurotrophique et neuroprotecteur de la DHEA.15 Toutefois, les résultats des travaux sont discordants sur la relation entre les taux plasmatiques de DHEA et le fonctionnement cognitif ou l’apparition d’une démence.16 Des études animales ont également démontré un effet de la DHEA sur des neurotransmetteurs impliqués dans les troubles de l’humeur comme la sérotonine, la dopamine, le glutamate et l’acide gamma-amino-butyrique (GABA).6 Contrairement aux troubles cognitifs, une association entre des niveaux bas de DHEA et des symptômes dépressifs semble mieux démontrée.17
Finalement, la DHEA est corrélée au fonctionnement sexuel. Ainsi, les hommes avec une DHEA basse ont un risque plus élevé de dysfonction érectile.18 Chez les femmes, la testostérone et les œstrogènes sont produits à partir de la DHEA au niveau du tissu vaginal.3 Des taux plasmatiques bas de DHEA après, mais également avant la ménopause, sont associés à une libido réduite.1
Par conséquent, la diminution des niveaux plasmatiques de DHEA avec l’âge est significative sur le plan clinique et concerne plusieurs pathologies liées au vieillissement.
Les médias attribuent souvent à la DHEA un rôle générique de «fontaine de jouvence», sans se focaliser sur ses effets thérapeutiques déjà étudiés. Ainsi, la prescription de DHEA est plus souvent basée sur ce mythe médiatique que sur les données de la littérature scientifique actuelle. Cette pression médiatique est par ailleurs responsable d’un refus en bloc de prescription de DHEA par certains praticiens, qui l’associent directement avec une médecine anti-âge peu scrupuleuse.
Plusieurs études soutiennent un effet bénéfique d’une supplémentation de DHEA sur la composition corporelle,19 la force musculaire19,20 et la performance physique.20 Malgré certaines études négatives, son effet positif au niveau musculaire semble relativement bien établi.5 Par ailleurs, la DHEA est intéressante pour la prévention et le traitement de l’ostéoporose, même si elle est d’une efficacité moindre comparée aux autres traitements actuellement disponibles. Ainsi, une relation positive entre l’administration de DHEA et la DMO au niveau vertébral mais aussi au niveau du col fémoral, a été décrite dans les deux sexes.21 Finalement, le traitement par DHEA a montré des effets bénéfiques au niveau des symptômes dépressifs, mais son rôle dans le traitement des troubles de l’humeur reste encore mal défini.22
La plupart des études soutiennent un effet positif de l’administration de DHEA sur la fonction érectile mais également sur le désir sexuel et l’activité sexuelle chez des hommes âgés.22,23 La DHEA n’a par contre aucune efficacité contre les troubles de l’érection en présence de maladies comme le diabète sucré ou d’une affection neurologique.24
Chez des femmes ménopausées, l’administration per os ou intravaginale de DHEA a été corrélée avec une amélioration du désir et du plaisir sexuel.4,22,25,26 Elle a également un effet bénéfique au niveau des symptômes de la ménopause.25 L’administration intravaginale a même permis une amélioration de l’atrophie de la muqueuse vaginale chez des femmes ménopausées.27,28
L’administration de DHEA a montré peu ou pas d’effets sur d’autres maladies liées au vieillissement. Ainsi, aucun effet bénéfique n’a été observé jusqu’à ce jour en termes de prévention ou de traitement des troubles cognitifs.29 Toutefois, les limitations des études disponibles (durées de suivi courtes et cohortes de petite taille) ne permettent pas de conclure sur l’effet potentiel de la DHEA dans la prévention de la démence. Concernant le risque cardiovasculaire, les effets de l’administration de DHEA au niveau du profil lipidique19 et de la sensibilité à l’insuline19,30–32 semblent plutôt neutres.
Sur le plan pharmacodynamique, le grand avantage du traitement par DHEA, qui est également son principal inconvénient, est son statut de préhormone. Ainsi, les différents tissus peuvent la transformer localement selon leurs besoins, avec peu d’effets systémiques. Par contre, il est quasiment impossible de contrôler quelle partie sera transformée et en quel produit hormonal final. Par exemple, des études chez l’humain montrent des effets intracrines différents entre hommes et femmes. Ainsi, l’administration de DHEA augmente plutôt les androgènes chez la femme et les œstrogènes chez l’homme.2,19,30,31 Le mode d’administration peut également influencer les produits hormonaux terminaux. Par conséquent, une prise orale, par l’intermédiaire de l’action de la 5α-réductase hépatique, entraîne une augmentation de la production d’androgènes, ce qui n’est pas le cas d’une administration transcutanée.1,33 De plus, des produits de métabolisme intermédiaires peuvent également avoir de faibles effets androgéniques (androstérone, épiandrostérone), œstrogéniques (androst-5-ene-3α, 17β-diol, androstane-3β,17β-diol), ou mixtes (androstane-3α, 17β-diol). Les dosages plasmatiques hormonaux sont d’une fiabilité médiocre, vu qu’ils reflètent mal la production hormonale au niveau tissulaire et qu’ils ne prennent pas en compte les produits hormonaux intermédiaires.5
Sur le plan pharmacocinétique, le premier passage hépatique après une prise orale est responsable d’une transformation accrue de la DHEA en DHEAS, permettant une prise journalière unique. Les études ont montré qu’une prise unique per os de 25 mg par jour suffisait pour ramener les niveaux plasmatiques aux valeurs cibles, c’est-à-dire aux niveaux rencontrés chez les jeunes individus. Le taux plasmatique de DHEA doit être contrôlé 24 heures après la dernière prise.33
Malheureusement, il n’y a pas de recommandations précises concernant l’âge et les indications du dépistage d’un déficit en DHEA. A ceci, il faudrait ajouter l’absence de recommandations concernant les indications et les modalités de suivi du traitement. Aussi, les cibles thérapeutiques sont mal définies, tant sur le plan clinique que sur celui des taux de DHEA visés (pas de seuil plasmatique cible bien défini).
En Suisse, la seule formulation commercialisée contenant de la prastérone (précurseur de la DHEA) est le «GYNODIAN Dépôt», qui est une forme injectable combinée à de l’œstradiol. L’indication du «GYNODIAN Dépôt» est celle d’une thérapie hormonale substitutive pour la ménopause. La DHEA orale n’est disponible qu’en préparation magistrale et coûte environ CHF 19.– par mois pour 25 mg/jour et CHF 22.– pour 50 mg/jour, non remboursés. Des formulations moins chères sont disponibles sur internet (par exemple, US$ 10.– pour 120 gélules).
La DHEA a démontré une très bonne tolérance dans les études employant des doses allant de 25 à 1600 mg/jour. De minimes effets androgéniques ont été observés chez les femmes (légère acné, séborrhée, augmentation de la pilosité faciale) ainsi que de légers œdèmes périmalléolaires.6 Peu de complications ont été observées au niveau endométrial, mammaire ou prostatique1,30 et des études chez l’animal semblent en faveur d’un potentiel effet anticancéreux de la DHEA, qui a pu inhiber des tumeurs induites expérimentalement au niveau du système lymphatique, du poumon, du côlon, du sein, du foie et de la peau.5,34 De manière générale, le profil de sécurité du traitement par DHEA semble être satisfaisant à court et moyen termes. Toutefois, les études les plus longues actuellement disponibles ont duré un4,21,25,29 à deux ans.30 Aucune donnée n’existe sur la sécurité du traitement au-delà de cette durée, notamment concernant les cancers hormono-dépendants (par exemple, sein, endomètre, prostate, etc.), le risque cardiovasculaire et la mortalité.
La possibilité d’administrer une préhormone semble extrêmement attrayante et nettement plus physiologique qu’une simple supplémentation en œstrogènes ou en androgènes. Ainsi, l’organisme pourrait utiliser ce «mortier hormonal» et optimiser de manière endogène les taux hormonaux en fonction de ses besoins. Les études montrent des effets positifs de la DHEA sur les systèmes musculo-squelettique, cardiovasculaire et sur la fonction sexuelle. De plus, le profil de sécurité de ce traitement a été jusqu’à présent satisfaisant malgré de nombreuses réticences. Des études sur des durées d’administration plus longues restent à faire, afin de pouvoir conclure formellement sur les effets d’une telle optimisation hormonale au niveau du vieillissement et des maladies qui y sont associées, mais aussi sur la sécurité de ce traitement à long, voire à très long terme.
Les données utilisées pour cette revue ont été identifiées par une recherche Medline des articles publiés en anglais ou en français sans limitation de temps. Les deux mots-clés principaux utilisés pour la recherche étaient «DHEA» et «ageing». Ils ont été appliqués à la recherche avec une limitation d’abord au «titre» de l’article, puis au «titre/abstract».
> La baisse de la déhydroépiandrostérone (DHEA) plasmatique avec l’âge a été corrélée à une augmentation du risque de perte de masse musculaire, d’ostéoporose, d’apparition de symptômes dépressifs, d’athérosclérose et de troubles sexuels
> L’administration de DHEA a eu des effets positifs au niveau de la composition corporelle, la force musculaire, la densité minérale osseuse, les symptômes dépressifs, les troubles sexuels et les signes de la ménopause
> La DHEA est trop souvent utilisée comme «fontaine de jouvence», sans prendre en compte les effets positifs déjà démontrés par les études. Les indications et les modalités thérapeutiques ainsi que la sécurité du traitement au long cours restent à être définis par des études longues et à large échelle